États-Unis : quand les extrémistes et les candidats à la présidentielle trompent les réseaux sociaux

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États-Unis : quand les extrémistes et les candidats à la présidentielle trompent les réseaux sociaux

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 Supporters du groupe Qanon dans le Minnesota en août 2020
Supporters du groupe Qanon dans le Minnesota en août 2020
© AFP - STEPHEN MATUREN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA VIA AFP

#USA2020. A l'approche de la présidentielle, les équipes de campagne tentent de contourner les réseaux sociaux pour passer leurs messages. Les extrémistes aussi. Et ils connaissent les méthodes les plus efficaces.

La campagne présidentielle se tend, alors que Donald Trump est toujours à la traîne derrière Joe Biden dans de nombreux États-clés. L'ambiance délétère sur les réseaux sociaux a poussé certains d'entre eux à durcir leur règles. Si l'on veut transmettre un message politique, qu'il soit modéré ou extrême, il faut parvenir à les berner. 

Dans une telle campagne hors norme, nous donnons la parole chaque semaine à un expert qui décrypte l'actualité politique américaine sur les réseaux sociaux : John Villasenor, directeur de l'Institut de Technologie, Loi et Politique à UCLA (Université de Californie à Los Angeles), professeur et expert à la Brookings Institution. 

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John Villasenor, directeur de l'Institut de Technologie, Loi et Politique à UCLA et expert à la Brookings Institution
John Villasenor, directeur de l'Institut de Technologie, Loi et Politique à UCLA et expert à la Brookings Institution
- John Villasenor

Les réseaux sociaux annoncent qu'ils sont plus stricts envers la publicité politique. Est-ce efficace ? 

Je suis assez sceptique quant à l'impact d'une politique de restriction des publicités comme Facebook qui interdira par exemple les spots politiques après la fermeture des bureaux de vote le 3 novembre. Ils avaient déjà annoncé qu'ils arrêteraient les publicités politiques une semaine avant le 3 novembre. Je doute de l'impact de telles mesures, surtout parce que sur les réseaux sociaux, vous recevez surtout des messages politiques de la part d'autres utilisateurs plutôt que de la part d'annonceurs eux-mêmes. Donc pas de pubs politiques ne veut pas dire pas de message politique.

Je n'ai rien contre le fait que l'on cible une population pour envoyer ses publicités. Par exemple, une compagnie aérienne cible des clients réguliers de l'avion qui voyagent beaucoup. Mais dans le contexte politique, il y a le micro-targeting, qui permet de cibler un groupe très très spécifique, cela crée une dynamique différente. Avoir une cible précise, cela s'est toujours fait. Par exemple à la télévision, les publicités diffusées pendant un évènement de sports sont différentes de celles diffusées pendant une autre émission. La même dynamique s'applique aux réseaux sociaux. 

Déjà, il faut se demander ce qu'est une publicité. La définition n'est pas la même pour tout le monde. Ce que je comprends, c'est que Facebook, par exemple, même pendant la semaine avant l'élection, va permettre les publicités approuvées auparavant. Donc ces restrictions très limitées  créent peu d'option à ceux qui veulent du temps d'antenne durant cette période. 

En même temps, il est possible de contourner les réseaux sociaux pour faire campagne. Par exemple, de plus en plus de messages sont envoyés sur les téléphones portables indiquant aux destinataires que leur vote par anticipation n'a pas été pris en compte, ou qu'ils ne sont pas inscrits sur les listes. Ils doivent cliquer sur un lien, et tombent sur de fausses informations sur une personnalité politique. 

Les réseaux sociaux sont évidemment plus largement efficaces que tout le reste, même si les équipes de campagne vont continuer de diffuser des spots sur les télés, et les radios. Même s'il y a des restrictions, les supporters des candidats ont déjà des moyens pour contourner les restrictions et passer leurs messages. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise idée. Les équipes ont le droit d'utiliser les réseaux sociaux. 

Le problème c'est les pubs payantes : jusqu'où les plateformes sont prêtes à aller dans leurs restrictions ? Que devraient-elles interdire ? Que devraient-elles autoriser ? 

Comment les complotistes du groupe QAnon parviennent-ils à s'immiscer eux-aussi dans la campagne électorale ? 

En août, Facebook a annoncé des mesures pour empêcher les supporters de QAnon d'utiliser sa plateforme. Ils disent qu'ils ont supprimé plus de 1 500 pages et groupes QAnon qui faisaient référence à la violence. La semaine dernière, ils ont annoncé qu'ils élargissaient leurs mesures à des pages Facebook et à des comptes Instagram qui représentent QAnon, même s'il n'y a pas d'appel à la violence. Le problème est que dès que vous avez affaire à un groupe déterminé ayant une forte capacité d'adaptation, il va trouver une manière pour contourner les restrictions. 

Quelles sont leurs méthodes ? 

Il y a plusieurs manières de le faire. Ils utilisent des mots codés qui ressemblent aux mots bloqués par les logiciels mais qui ne sont pas tout à fait les mêmes. Ils peuvent aussi intégrer des messages en images, des messages audio dans leur contenu, et ces images ou ces messages audio ne sont pas visés par l'interdiction. Chaque fois qu'un réseau social invente une nouvelle barrière, le groupe va trouver une nouvelle technique. C'est la même chose que ce que l'on voit dans d'autres domaines comme la cybersécurité. Les agresseurs vont attaquer, puis les compagnies visées vont trouver des pare-feux, puis les attaquants vont trouver une nouvelle manière d'attaquer. C'est la technologie. D'autant qu'il est toujours plus facile d'attaquer que de se défendre. Dans ce cas précis, les groupes extrémistes sont les attaquants et Facebook est sur la défensive.  

Prenez par exemple les captchas, qui vérifient si vous êtes un humain ou un robot. Ils sont très intelligents. Ils sont faits pour empêcher un algorithme automatique de remplacer l'humain. Par analogie, les mêmes approches qui permettent aux captchas de fonctionner, peuvent permettre à des gens voulant publier du contenu en images d'échapper à la détection de logiciels qui recherchent des mots-clés. Mais des personnes publiant du contenu sous forme d'images échappent au logiciel qui cherche uniquement des mots-clés. Il y en certains aussi qui utilisent la lettre Q uniquement, car elle est plus difficile à identifier par les logiciels que le mot-clé QAnon en entier.

Il n'y a pas de solution pour assainir cet environnement ? 

Ce n'est pas cela, c'est juste que Facebook ne peut répondre à tout ceci que de manière imparfaite. C'est comme en football : si vous êtes goal, vous ne pouvez pas bloquer tous les tirs. Vous n'allez pas quitter le terrain juste parce que vous avez raté des arrêts. Vous continuez à défendre et vous vous dites que vous avez été bon, mais l'adversaire a eu beaucoup d'opportunités de marquer. Facebook fait des efforts mais de nombreux contenus vont passer entre les mailles du filet. Ce qu'il faut se dire c'est que si Facebook bloquait plus de messages, il risquerait de bloquer des messages qu'il ne souhaite pas bloquer. Il risquerait de bloquer par exemple des articles critiquant un groupe, juste parce que le nom de ce groupe est mentionné à de multiples reprises. Et ceci n'est pas souhaitable.