Eugène Green : "De même qu’il faut protéger la terre, il faut protéger toutes les langues"
Par Elsa MourguesLe dernier film du cinéaste Eugène Green est entièrement en basque, un acte culturel fort dans le cinéma d'aujourd'hui. Pour le réalisateur franco-américain défendre les langues régionales c'est aussi une façon de défendre la langue française contre celle des "barbares" : l'anglais.
"De même qu’il faut protéger la terre, il faut protéger toutes les langues. Pas protéger dans un sens de les isoler mais au contraire il faut les faire rentrer dans la vie puisqu'elles constituent une part très importante de la vie." C'est ce que défend le cinéaste Eugène Green qui à l'occasion de la sortie de son dernier film, Atarrabi et Mikelats, nous livre une tribune pour la défense des langues régionales.
Pouvoir s'exprimer en basque
Eugène Green est un cinéaste radical, original, engagé et poétique qui place la langue au cœur de son art. Américain, il a choisi de faire du français sa langue d’expression. C’est un amoureux du basque, cette langue unique qui n’appartient à aucune famille de langues et qui est parlée par plus d’un million de locuteurs. C'est peut-être la plus ancienne des langues européennes mais ses origines sont un mystère linguistique.
Le dernier film d'Eugène Green, mythe basque dans un décor contemporain est entièrement en langue basque.
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Puisque ces langues sont des espèces en danger, comme le thon rouge ou je ne sais quelle autre espèce animale, il faut dans un premier temps les ramener à leur état naturel, qu’elles avaient au début du XXe siècle. Il faut justement que ces langues soient présentes dans chaque élément de la vie quotidienne, ce qui veut dire que si on va dans une boulangerie et qu’on commence à parler en basque, ça ne devrait pas être scandaleux, mais au contraire, le boulanger devrait être capable aussi de répondre en basque.
Eugène Green, écrivain, réalisateur
Au début du XXe siècle, la moitié des Français parlait une langue régionale mais dans les années 1960, toute une génération de parents a été convaincue de ne pas transmettre cet héritage linguistique. Un effacement des langues accentué par l’école républicaine.
C’est une violence qui, pour moi, au moins en partie ne se voit pas, mais il y a eu un moment où ça a été une violence très ouverte, physique et surtout mentale, parce que ça passait par l’école Jules Ferry. Dans toutes les régions où il y avait une autre langue, quand les enfants arrivaient à l’école en parlant une autre langue on les punissait, souvent physiquement et sinon en tout cas moralement quand ils parlaient leur langue. Chaque fois qu’un enfant parlait sa langue, par exemple le basque, on lui mettait le bonnet d’âne et parfois il recevait aussi des coups de règle sur les doigts.
Eugène Green, écrivain, réalisateur
Même le français est menacé
Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement des langues régionales, pour le cinéaste le français est également menacé par ce qu’il appelle la langue des barbares : l’anglais.
Les barbares [les anglophones] n’ont pas de langue. Ils ont une sorte de sabir qui est un peu comme le sabir qui existait autour de la méditerranée au Moyen Âge et jusqu’au XVIIIe siècle et qui permettait de faire du commerce. Cette langue tout le monde la connaît puisqu’elle est utilisée par Molière dans les scènes de ses pièces où les gens sont censés parler en turc ou dans une autre langue exotique. C’est une langue sans grammaire, avec un vocabulaire vraiment très primitif, emprunté à toutes les cultures autour de la méditerranée. On ne peut exprimer aucune pensée, ni aucune nuance de sentiment dans cet idiome mais on peut faire du commerce. Et l’idiome parlé par les barbares [l’anglais] c’est un peu comme ça. Comme je l’ai dit en perdant une langue, on perd une partie de l’humanité et l’humanité qui reste se trouve un peu plus sous la pression des langues dominantes.
Eugène Green, écrivain, réalisateur
Il existe des moyens culturels, éducatifs, et institutionnel de préserver les langues régionales : affichage bilingue, démarche administrative en langue régionale et surtout écoles immersives.
Je pense qu’il faut défendre toute langue, quel que soit son statut, parce qu’une langue régionale c’est juste la langue d’une population qui n’a pas eu la chance d’avoir un État pour la défendre. Toutes les langues sont sacrées d’une certaine manière parce que chaque langue représente une autre vision du monde et structure aussi intérieurement les personnes qui la parlent.
On n’est pas la même personne selon la langue qu’on parle. Je parle plus ou moins, à des niveaux différents, je parle six langues, et je sais que dans chacune de ces langues je suis une autre personne.
Eugène Green, écrivain, réalisateur