Le Tour du monde des idées. En Pologne en 1942, pour effrayer l'occupant nazi, Eugeniusz Lazowski déclenche une (fausse) épidémie de typhus. La légende a fait ensuite du jeune médecin le "Schindler polonais". Un documentaire, diffusé sur la chaîne Toute l'Histoire, enquête sur la personnalité controversée de Lazowski.
Un jeune médecin juif polonais, échappé d’un convoi de déportation vers l’URSS en 1939, avait "sauvé 8 000 Juifs, pendant l’Occupation, dans la région de Stalowa Wola par un procédé particulièrement ingénieux". Telle était censée être l'histoire d'Eugeniusz Lazowski (1913-2006) découverte par un journal de l’Illinois, le Chicago Sun-Times le 19 août 2001 et publiée sous une "Une" très accrocheuse, et qui a ensuite abondamment circulé sur Internet.
Aidé du docteur Stanislaw Matulewicz, un de ses camarades de Faculté, ce jeune médecin de Varsovie a provoqué une panique chez les occupants allemands, en leur faisant croire que la région était en proie à une épidémie de typhus, une maladie particulièrement redoutée pour "la santé du grand peuple allemand". C’est l’histoire que Lazowski, devenu pédiatre à Chicago racontait dans un livre, paru en polonais et jusque-là passé inaperçu, Prywatna wojna (Une guerre privée). Il y relatait que Matulewicz avait appris, au cours de ses études, que l’injection d’une bactérie inoffensive, le Proteus OX19, découverte par Arthur Felix et Edward Weil en 1915, réagissait aux mêmes anticorps que le typhus.
Une bactérie inoffensive... mais une vraie panique sanitaire
Lazowski eut alors l’idée ingénieuse d’inoculer à de nombreux patients du village où il avait fui les rafles, Rozwadów, des doses de cette bactérie et d’envoyer des prélèvements de leur sang, pour analyse, à les laboratoires sous contrôle allemand. Il provoqua ainsi une panique sanitaire : l’occupant mit la région en quarantaine. Et ses soldats s’abstinrent de venir y traquer les résistants de l’Armée de l’Intérieur (AK) - la résistance polonaise anti-nazie, qui disposait sur place d’une unité combattante, spécialisée dans les sabotages.
Barbara Necek a consacré à Lazowski un documentaire, "A la recherche du Schindler polonais" qui vient d'être diffusé sur la chaîne Toute l’histoire. La réalisatrice a mené son film comme une véritable enquête policière, sur place, à Rozwadów, à Chicago, auprès des descendants du médecin, dans l’Oregon, à Tel Aviv, enfin. C’est aussi une occasion de découvrir quelques images d’archives, tournées sur place, en Pologne, à cette effroyable époque.
Une légende inventée par les médias
Et ce qu’elle découvre, c’est que, contrairement à la légende, Eugeniusz Lazowski n’a pas pu " sauver 8 000 juifs à Rozwadow". Pour la raison que les Juifs, qui composaient les 2/3 des habitants de la ville avant la guerre, avaient été déportés par les nazis dès l’été 1942. Avant que Lazowski ne lance sa campagne de fausse épidémie de typhus.
Le jeune médecin avait choisi l’automne et l’hiver, sachant que ce sont les deux saisons les plus propices à la diffusion d’une telle épidémie. Et il avait également sélectionné les sujets de ses prélèvements sanguins de manière à faire croire aux Allemands à une transmission suivant les principales voies de communication de la région.
Barbara Necek obtient un entretien téléphonique avec le journaliste qui a lancé la légende du "médecin polonais sauveur de Juifs", Art Golab. Il bat en retraite et refuse toute responsabilité dans l’invention du titre "le Schindler polonais" : il faut bien vendre du papier, le monde des médias est hyper-concurrentiel, c’est une trouvaille du rédacteur en chef, etc.
Faux scoop, mais vrai héros ?
"Il avait honte que son histoire ait été ainsi falsifiée" témoigne une étudiante américaine qui a rencontré Lazowski, dans le cadre d’un mémoire de recherches. Barbara Necek soulève, avec beaucoup de discrétion, quelques questions capitales parmi lesquelles : le fait de ne pas avoir mérité le titre de "Juste" - contrairement à ses parents, Kazimierz et Zofia Lazowski, dont les noms figurent au mémorial de Yad Vashem pour avoir sauvé plusieurs Juifs, à Varsovie – doit-il empêcher qu’on reconnaisse à ce médecin résistant le titre de héros ?
Comment doit réagir un inconnu sur lequel se tournent soudain les projecteurs de médias, avides de scoop et de légendes ? Comment peut-on échapper à un mythe forgé, à son sujet, au mépris de sa propre histoire ?
Le problème, c’est qu’on a tendance, de nos jours, à considérer l’histoire comme un buffet où chacun choisit le mets qu’il préfère. Les uns ne veulent voir, chez les Polonais qui ont vécu l’époque de l’Holocauste, que des Justes, d’autres que des collaborateurs… Mais bien peu prennent en considération tout le nuancier des positions intermédiaires. Or, elles étaient surtout faites d’indifférence et de peur. Agnieszka Haska, historienne de l’Institut d’histoire juive de Varsovie, interrogée par Barbara Necek.
Entre l’histoire héroïsée par le nationalisme ambiant, en Pologne, et la dépréciation systématique de la Résistance polonaise, alimentée après la guerre par la propagande soviétique - qui cherchait à justifier la mise au pas du pays - comment apprécier en effet avec justice l’attitude la population polonaise face au plus grand crime de masse de l’histoire moderne, qui se déroulait en grande partie sur son sol ?
A voir
" A la recherche du Schindler polonais". Prochaine diffusion : 3 mai 17 heures sur la chaîne Toute l’histoire