Évadez-vous grâce au "Manège" de Petit Pierre, chef d’œuvre d’ingéniosité et d’émerveillement

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Évadez-vous grâce au "Manège" de Petit Pierre, chef d’œuvre d’ingéniosité et d’émerveillement

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Le "Manège" de Petit Pierre
Le "Manège" de Petit Pierre
- Jean-François Hamon

Découvrez l’incroyable "Manège" de Petit Pierre, garçon vacher du Loiret. Céline du Chéné, productrice de documentaires et chroniqueuse à Mauvais Genres, rend hommage à une œuvre inclassable, trésor de mécanique et de poésie.

Ça couine, ça grince, ça racle et c’est une véritable merveille visuelle et sonore que le Manège de Pierre Avezard, dit « Petit Pierre ». Fabriqué pendant un demi-siècle, à partir de bouts de tôles, de morceaux de fer blanc récupérés, de boulons, de débris de métaux, ce Manège - ainsi nommé par son créateur- tient plus du spectacle total que de la mécanique foraine. On y pénètre par une sorte de petit sas qui fait aussitôt basculer le visiteur dans un univers parallèle, entièrement animé.

Entourés de machines mouvantes et bruyantes qui reconstituent le quotidien de Petit Pierre, on découvre alors un univers campagnard et onirique, réel et rêvé, authentique et farceur, rempli de personnages rigolards et d’animaux facétieux - comme cette vache électrique qui prend un malin plaisir à asperger d’eau le visiteur imprudent- sans oublier des véhicules en tout genre : des voitures, des chars, des tracteurs, mais aussi des tramways qui passent en brinquebalant au-dessus de nos têtes, des bombardiers qui lâchent des billes sur une tôle dans un son d’enfer, peinant à couvrir le bruit du moteur qui fait mouvoir l’ensemble des machines ; le tout étant dominé par une immense tour Eiffel de 23 mètres de haut.

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Une bonne étoile malgré le handicap

A l’origine de ce Manège, Petit Pierre. Il est né en 1909, frappé du syndrome de Treacher-Collins, une malformation congénitale : il n’avait ni palais ni pavillons d’oreilles. Enfant, il quitte très vite le chemin de l’école, son apparence suscitant moquerie et méchanceté. A quoi bon servir de bouc émissaire à chaque récréation ? Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, Petit Pierre était né sous une bonne étoile. Il avait une famille aimante et protectrice, et sa grande sœur Thérèse lui apprendra à lire et à écrire.

Vivant en pleine campagne, dans le Loiret, ses parents lui proposent de devenir vacher. Petit Pierre sait parler aux animaux, il les aime et en prend soin. Il travaille ainsi dans diverses fermes, retrouvant chaque dimanche ses parents, Thérèse, et Léon son petit frère. Il leur rapporte de petits objets qu’il fabrique à partir de matériaux glanés de-ci de-là : jouets, moulins à vent, bouquets de fleurs en métal.

La mécanique au service des vaches méritantes

En 1935, il est embauché dans une ferme à La Coinche, à une quinzaine de kilomètres de chez lui. Ses compagnons le malmènent sans cesse, se moquant de son handicap et détruisant systématiquement ses maigres biens. Qu’à cela ne tienne, Petit Pierre transporte son lit sur une plateforme qu’il fabrique et à laquelle il accède par une échelle mécanique repliable, se préservant ainsi de la vindicte des autres vachers. Quelques années plus tard, il construit sa première machine : "un système mécanique de distribution de betteraves aux vaches méritantes", tapis roulant actionné à partir d’un pédalier de vélo. Admiratif de ce vacher si ingénieux, son patron, le bienveillant monsieur Hareng, lui offre un lopin de terre pour y vivre en paix et y exercer son art. C’est ainsi que le Manège de Petit Pierre prend forme, s’agrémentant, au fil des ans, de nouveautés : son frère Léon, devenu ingénieur en aéronautique, l’emmène sur ses chantiers de construction et dans les grandes capitales européennes. Ces voyages fournissent naturellement une inépuisable source d’inspiration à Petit Pierre pour embellir ses créations.

Extrait d'une planche de « Petit Pierre, la mécanique des rêves » de Florence Lebonvallet et Daniel Casanave (Casterman, 2019)
Extrait d'une planche de « Petit Pierre, la mécanique des rêves » de Florence Lebonvallet et Daniel Casanave (Casterman, 2019)
- © Casanave – Lebonvallet, Casterman 2019

Un lieu de fête et de partage

Le bouche à oreille fonctionne. Désormais, les visiteurs viennent de toute la région pour découvrir ce lieu unique. Petit Pierre, sans le vouloir, est devenu une célébrité, et son Manège un endroit festif qui enchante les dimanches campagnards. On y boit et on y danse au son d’un vieux tourne-disque, ou accompagné des notes endiablées de la guimbarde de Petit Pierre. Hélas, en 1974, les belles heures du Manège se grippent. Victime d’une crise d’hémiplégie, Petit Pierre doit se retirer en maison de repos. Cependant, tous les dimanches, un taxi le dépose à La Coinche où il continue d’accueillir les visiteurs dans son Manège. C’est en 1980 que le grand public le découvre grâce au film d’Emmanuel Clot, Petit Pierre, qui reçoit le César du meilleur court-métrage documentaire : "La première fois que j’ai vu ce petit homme de 70 ans avec son visage torturé devant ce Manège qui est l’œuvre de sa vie, j’ai eu un choc… il fallait que j’en fasse un film. C’est maintenant l’être au monde que j’aime le plus, car il a su communiquer avec une société qui le rejetait.", explique-t-il dans une interview accordée au Matin de Paris, en février 1980.

Un air de musique avant la sortie
Un air de musique avant la sortie
- La Fabuloserie

Le "Manège" doit continuer de tourner !

Il était temps que le Manège se fasse connaître au-delà du Loiret. Petit Pierre commence à vieillir et il lui devient difficile d’entretenir une telle mécanique. Pire encore, son créateur étant moins présent à La Coinche, le Manège commence à être vandalisé et pillé. Une association de sauvegarde est créée ; la Région et le ministère de la Culture sont alertés. Plusieurs projets voient le jour, comme celui de mettre le Manège sous une grande verrière ou de le délocaliser dans le parc de la Villette à Paris. Hélas, trop cher... Mais rappelez-vous, Petit Pierre est née sous une bonne étoile. Elle s’incarnera cette fois-ci en la personne d’Alain Bourbonnais, architecte et collectionneur d’art brut qui a créé avec son épouse Caroline, La Fabuloserie, à Dicy dans l’Yonne. Il offre son aide à Petit Pierre. Courant 1987, avec son accord et celui de sa famille, le Manège est ainsi démonté pièce à pièce, classé, répertorié, puis patiemment remonté par Caroline Bourbonnais et ses amis, Alain Bourbonnais étant prématurément décédé. Le 26 août 1989, le Manège est inauguré à La Fabuloserie, sans la présence de Petit Pierre trop fatigué pour se déplacer. Il meurt en 1992, sans l’avoir revu. Mais trente ans plus tard, le Manège fonctionne toujours. En 2019, Agnès et Sophie Bourbonnais, les filles d’Alain et Caroline organisent une exposition pour raconter l’incroyable destin de Petit Pierre. Le jour du vernissage, tous les enfants de Léon Avezard sont présents, dont une certaine Nicole Avezard, docteure en mécanique des fluides, plus connue sous le nom de Lucienne Beaujon du duo des « Vamps ».

Facétie et ingéniosité, deux caractéristiques de la famille Avezard.

Pour aller plus loin :

  • Petit Pierre et son Manège, film de famille tourné en super 8 en 1977 à La Coinche. On y voit Petit Pierre et son frère Léon (5’03)
  • La Fabuloserie, où se trouve aujourd’hui le Manège de Petit Pierre se situe à à Dicy, dans l’Yonne. L’exposition « Petit Pierre » y est toujours visible. Plus d’infos sur le site internet : www.fabuloserie.com
  • La chronique "L’encyclopédie pratique des mauvais genres" dans l'émission Mauvais Genres à réécouter ci-dessous est consacrée à La Fabuloserie et au Manège de Petit Pierre (à 5’02) :
Mauvais genres
59 min

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