Fachosphère et insconcient de l'extrême-droite

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Fachosphère et insconcient de l'extrême-droite

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On peut difficilement fréquenter le web sans s’étonner de la vigueur de ce qu’on appelle la fachosphère et sans se demander si le web n’est pas, comme le disent certains, un formidable moteur pour la diffusion de ces idées.

D’abord, quand on regarde d’un peu plus près ce qu’on appelle la « fachosphère », on constate le flou de ces contours. Le centre est clairement identifié : ce sont des sites et des blogs clairement xénophobes et racistes, voire antisémites, qui peuvent par ailleurs coïncider avec des groupes constitués. Mais qui ne sont pas forcément en accord total avec le Front National. Via l’antisémitisme, on tombe sur toute une constellation autour de Dieudonné et d’Alain Soral. Constellation qui mène aussi bien à des personnes qui, sur les réseaux sociaux, se photographient en faisant la queunelle (le geste inventé par Dieudonné), que vers des sites complotistes qui considèrent que le 11 septembre est l’œuvre de la CIA et du Mossad, ou ceux qui imaginent le monde sous la coupe des Illuminati ou autre « mondialistes ». Faudrait-il compter aux confins de cette sphère les centaines de milliers de gens qui ont « liké » ce week-end la page FB de soutien au bijoutier niçois ayant abattu l’un de ses braqueurs ? C’est une question. Bref, ce paysage de la « fachosphère » est complexe, contradictoire parfois, mais il est vigoureux sur les réseaux. Et pour plusieurs raisons.

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La première est évidente : ces idées trouvent sur Internet une place qu’elles n’ont pas ailleurs. Avec Internet, elles ont trouvé leur média. Parce qu’il n’y a pas de filtre à la diffusion de l’information – dès les débuts de l’Internet, bien avant le web, les réseaux ont vu arriver les suprématistes blancs américains et autres militants du KKK. Parce que l’Internet reste encore marqué par une idéologie de la liberté d’expression qui a présidé lors de sa création. Il existe aujourd’hui des dispositifs légaux qui interdisent certains propos. Mais dans les faits, les réseaux sociaux, qui sont américains pour la plupart, tolèrent beaucoup plus facilement des propos xénophobes qu’une photo de l’Origine du Monde de Courbet. Parce qu’aussi règne sur la toile, à côté des sites institutionnels et très officiels, une sorte d’idéologie antisystème, anti-élite, anti média dominants qui est un ferment de l’idéologie d’extrême droite. On pourrait aussi évoquer la surreprésentation des jeunes, notamment sur les réseaux sociaux, et invoquer une opinion en formation, le goût pour ce qui choque etc.

Même il me semble qu’il y a quelque chose de plus profond, et qui tient à la structure même du réseau. Je m’explique. Cette « fachosphère » aux contours flous, ce qui la réunit sur le plan intellectuel, c’est le raccourci, c’est créer des liens de causalité ou il y a au mieux des corrélations (par exemple entre chômage et nombre d’étrangers, entre incertitude et vérité cachée etc.). Or, le web dans son fonctionnement technique, favorise à plein ces rapprochements. Ce qui caractérise techniquement le web, c’est l’hypertexte, c’est le lien qui vous permet de circuler d’un site à l’autre, de glisser d’une idée à l’autre, or, quand on a une petite tendance à la simplification ou à la paranoïa, ce fonctionnement est favorable à tous les raccourcis.

Alors, oui, tout ce qui dans Internet est merveilleux – l’hypertexte comme rêve réalisée de la pensée encyclopédique, diffusion d’une pensée critique, expression libre – est aussi ce qui permet à cette fachosphère d’exister et de se diffuser sur les réseaux. Mais ce qui diffuse dans les réseaux, c’est une sorte d’inconscient de l’extrême droite – avec ses contradictions, ses flous et ses folies -. Un inconscient que l’Internet documente et expose à livre ouvert. Or l’inconscient, c’est confus, c’est pas très beau et ça fait peur. Mais c’est instructif.

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