"Fausses informations" : a-t-on besoin de nouveaux outils juridiques ?

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"Fausses informations" : a-t-on besoin de nouveaux outils juridiques ?

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 La France n'a pas découvert les "fake news" avec la dernière élection présidentielle
La France n'a pas découvert les "fake news" avec la dernière élection présidentielle
© Getty - Nora Carol Photography

La double proposition de loi sur la lutte contre la manipulation de l’information est débattue à l’Assemblée nationale ce jeudi. Mais est-il si simple de définir ce concept de "fausses informations" ? Et ce texte ne risque-t-il pas de se retourner contre la liberté d’expression ?

Lors de la dernière campagne présidentielle, de nombreuses rumeurs ont circulé sur les candidats via les réseaux sociaux. Le chef de l’Etat en a été la cible pendant l’entre-deux-tours. Sa rivale Marine Le Pen ayant relayé sans fondement qu’il avait un compte offshore au Bahamas. Alain Juppé, surnommé " Ali Juppé" sur le web, a lui aussi été victime de rumeurs sur ses liens supposés avec des membres de l’Islam politique. Il y a bien d'autres exemples et l’exécutif a décidé d'agir pour limiter la propagation de ces "fausses informations" 2.0, lors des périodes préélectorales et électorales. 

La nouvelle législation compte deux parties : une proposition de loi classique et une proposition de loi organique pour des questions de procédures car l'élection présidentielle est concernée. Nous nous intéresserons à la proposition de loi classique (en 10 articles) qui définit les évolutions législatives à venir. Comment définir une "fausse information" ? 

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Présentation du débat par Anne Fauquembergue

1 min

La loi définit déjà et sanctionne les "fausses nouvelles"

La diffusion de "fausses informations" a toujours existé. "Homo sapiens savait déjà mentir, Ulysse, ruser, et Sun Tzu inventait des stratagèmes il y a vingt-quatre siècles" a expliqué François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et auteur de Fake news : la grande peur, lors des auditions devant les députés de la commission des affaires culturelles et de l'éducation. 

Concordance des temps
59 min

Rumeurs : le plus vieux média du monde, c’est aussi le titre d’un ouvrage publié en 1987 par Jean Noël Kapferer aux éditions du Seuil. La France n'a pas découvert les "fake news" avec la dernière élection présidentielle. Nous disposions déjà d’un cadre juridique grâce à l’article 27 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Cet article pénalise la diffusion de "fausse nouvelle" décrite comme suit : 

La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros. 

Par ailleurs, l’ article 97 du code électoral punit ceux : 

qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter, seront punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros.  

Concordance des temps
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Elargir la notion de "fausse nouvelle" à celle de "fausse information"

Selon le rapport de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, "le cadre juridique actuel, essentiellement répressif, peine à appréhender les nouveaux modes de propagation des informations volontairement contrefaites", notamment les éléments diffusés de façon artificielle et en masse via des robots internet, des bots. C'est pourquoi la proposition de loi élargit la notion de "fausse nouvelle" à celle de "fausse information". 

Une "fausse information" définie selon le texte amendé en commission des lois le 30 mai dernier comme :

Toute allégation ou imputation d’un fait dépourvu d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable constitue une fausse information.

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"Protéger la démocratie"

Pour la député Naïma Moutchou, rapporteure de la majorité pour la commission des lois, il ne s'agit pas de viser les journaux notamment les publications satiriques, il s'agit de se doter d'un nouvel outil pour "protéger la démocratie" en période électorale. L’élue du Val d’Oise défend ainsi la nouvelle procédure en référé qui sous 48 heures pourra suspendre la diffusion d'une "fausse information" avant des élections générales (présidentielle, législatives, sénatoriales, européennes et référendum). 

Cette disposition de l'Article 1 est également soutenue par Bruno Studer (LaREM), rapporteur pour la Commission des affaires culturelles et de l’éducation : 

"Le juge du référé qui est le juge de l'urgence et de l'évidence pourra se prononcer pour demander le déréférencement du lien"

2 min

Pour qu'une personne qui aurait intérêt à agir puisse saisir le juge, il faut déjà qu'il s'agisse d'une information qui ait été diffusée de façon massive et artificielle. Une information inexacte ou trompeuse, diffusée délibérément, de mauvaise foi, et qui bien entendu vise à nuire au bon déroulement du scrutin.

Une nouvelle procédure en référé qui suscite le débat 

La proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation des "fausses informations" tente de mettre la sincérité du scrutin à l’abri de tout parasitage. Mais plusieurs personnalités émettent des doutes sur la nouvelle procédure en référé. Dans une tribune au Monde, l'avocat Jean-Pierre Mignard met en garde contre un texte susceptible d'être interprété de manière liberticide. Selon lui, "la vitesse de la justice ne pourra jamais égaler celle de la propagation des fausses infos". 

Quant aux défenseurs de la liberté de la presse, Dominique Pradalié, secrétaire nationale du Syndicat des Journalistes, premier syndicat français de la profession, estime que "ce qui part d’une bonne intention ne trouve pas la réponse appropriée".

Le SNJ demande l ’abandon de ce texte qui peut aussi devenir un moyen d’entraver le travail des professionnels. Dominique Pradalié : 

"Les seuls qui peuvent avec crédibilité enquêter et dire ça c'est vrai ça c'est faux, ce sont les journalistes

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Comment un magistrat, quelles que soient ses compétences dont on ne doute pas, mais avec de si petits moyens et un temps réduit, comment pourra-t-il ? 1/ découvrir que c'est une fausse nouvelle 2/ découvrir qu'il y a une manipulation et une intention néfaste. En moins de 48h, c'est impossible, voyons !

Du même avis, Reporters sans Frontières a formulé des contre-propositions, demandant notamment que "soient rejetés les amendements relatifs à la “mauvaise foi” et à la définition de la “fausse information”".

Pour Richard Ferrand, le président du groupe LaREM, il s'agit au contraire de "protéger à la fois la démocratie et le journalisme". Il a dit à la presse : 

A l'inverse du journalisme qui vérifie, croise un certain nombre d'informations et éclaire l'opinion publique, il y a de la propagation de fausses nouvelles, que nous avons vécue lors de débats électoraux récents. 

Et sur notre antenne, la députée LaREM Frédérique Dumas, qui a présidé la réunion de commission à ce sujet, a répondu aux critiques du député Les Républicains Eric Ciotti en soulignant que le juge tranchera et que "le pouvoir ne contrôle pas les juges".

Eric Ciotti, "très inquiet" se demande s'il "va y avoir désormais une vérité officielle ?" Frédérique Dumas lui répond par l'indépendance du juge qui tranchera

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L'opposition s'oppose à l'Article 1

"On est en train de mettre en place la police de la pensée, ce que M. Macron considère comme étant bien ou mal", a dénoncé mardi le président du groupe Les Républicains, Christian Jacob. 

Sur son blog, le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon estime que "Il ne s’agit de rien d’autre que d’une grossière tentative de contrôle sur l’information et les moyens de celle-ci. (...) Sous prétexte de viser « Russia today » et « Sputnik », tous les sites sont désormais sous la menace d’une interruption décidée par le pouvoir."

La députée communiste Elsa Faucillon a évoqué quant à elle "un climat de suspicion vis-à-vis de l'information et donc vis-à-vis de la presse, qui touche fondamentalement à la liberté d'expression et vient instaurer l'idée d'une vérité officielle." 

Au Rassemblement (ex-Front) National, Marine Le Pen juge "liberticide" la définition de la majorité. 

Le Numérique est politique
14 min

Un renforcement de l'éducation aux médias 

Outre un rôle accru du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la proposition de loi prévoit un devoir de coopération des plates-formes en ligne (Facebook, Google, Twitter), impliquant un signalement et l'obligation de rendre public les moyens alloués à la lutte contre les contenus illicites.  

Par ailleurs, en commission, les députés ont ajouté à l'Article 9 plusieurs amendements pour renforcer le rôle de l'éducation aux médias. "La semaine de l'éducation à la presse organisée en lien avec l'éducation nationale ne suffit pas", explique le député Modem Erwan Balanant. Le texte a vocation à être effectif pour les élections européennes de mai 2019.

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4 min