Fela Kuti : l'afrobeat est mon arme

Fela Kuti, lors d'un concert, dans les années 1980
Fela Kuti, lors d'un concert, dans les années 1980

Fela Kuti, l'afrobeat est une arme

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Fela Kuti : l'afrobeat est mon arme

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Le son du père de l’afrobeat était si puissant que les autorités nigérianes ont voulu l’empêcher de jouer, en lui écrasant les doigts. Mais la foi en sa musique lui a permis de poursuivre sa guerilla par la fête, la danse et le rythme.

50 ans après la sortie de deux de ses meilleurs albums "London Scene" et "Live! With Ginger Baker", plusieurs rééditions, intégrales et inédits viennent rendre hommage à Fela Kuti en cette fin 2021. Un recul propice pour revenir sur son parcours d'activiste, grâce à des archives rares et précieuses exhumées par l'Ina.

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Une musique qui danse et qui pense

Il a survécu à la torture, à l’assassinat de sa mère, à l’incendie de sa maison… porté par l’énergie de sa musique. Pour Fela Kuti, l’inventeur de l’afrobeat, la musique était un sport de combat, une guérilla à mener. Fela Kuti le disait en 1983, lui qui venait de fonder un parti politique : "Ça prendra du temps, mais la musique c’est l’avenir. Je pense qu’il faut maintenant que nous ayons des présidents musiciens."

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Chef d’orchestre d’un big band d'une vingtaine de musiciens, dirigeant avec panache choristes et danseuses, il sort jusqu'à 12 albums par an, devenus depuis une influence dans le monde entier, musicale et politique. 

François Bensignor, journaliste musical, revenait sur cette aura dans " Une vie une oeuvre", sur France Culture, en 2011, au micro de Jérôme Sandlarz : "Ce son, qui permet à la fois de danser et de penser, a tellement frappé les jeunes générations qui l’ont écouté, que ça a permis aussi aux DJ de l’intégrer aujourd'hui pour en faire une musique qui vit."

Une musique démesurée 

Né au Nigeria, trompettiste de formation, Fela est fasciné par le jazz qu’il découvre à Londres dans les années 1950. De retour à Lagos, il invente avec son comparse le génial batteur Tony Allen un style nouveau : l’afrobeat, mélange de jazz, soul, funk, transe éruptive et rythmes nigérians hypnotiques. Ensemble, ils construisent des morceaux démesurés, qui durent parfois plus d’une heure. Fela Kuti, sur RFO en 1989, précisait sa méthode avec malice : "C’est en Europe qu’on a inventé la montre pour travailler. En Afrique, c’est avec notre intelligence que nous faisons les choses. Je compose donc ma musique avec mon esprit et non pour la conformer aux standards d’un disque."

Fela Kuti lors d'un concert dans les années 1980
Fela Kuti lors d'un concert dans les années 1980
© Getty

Une musique politisée

Fela est le premier à utiliser le pidgin, la langue de la rue, créole anglais des faubourgs de Lagos, pour chanter les injustices subies par le peuple, les scandales de corruption, la dictature. 

Lors d’un voyage aux Etats Unis en 1969, sa nouvelle petite amie, proche des Black Panthers, l’initie à l’activisme et l'introduit à l’histoire de l’Afrique. De retour au Nigeria, quelques mois plus tard, sur la scène de sa boîte de nuit, le "Shrine", il se fait tribun, chansonnier, et commente avec verve l’actualité politique. Le peuple rit, danse, l’admire. Le pouvoir le craint. Arrestations, procès truqués, doigts écrasés pour l’empêcher de jouer… Rien ne l’arrête. Au contraire. Fela Kuti le clame à la télévision européenne : "Si la musique raconte, montre comment devenir joyeux, alors elle devient une arme très puissante.

Il vit avec ses proches dans une villa de la banlieue de Lagos, un QG surnommé “La république de Kalakuta”,  proclamée indépendante par provocation envers le pouvoir, et qui sert aussi de studio de musique et de clinique gratuite. En 1977, après le succès de son morceau "Zombie" qui assimile les soldats à des morts-vivants, sur ordre du pouvoir un millier de militaires l’assiègent, l’incendient. Ses choristes sont violées, ses frères et camarades passés à tabac, sa mère défenestrée. 

Pochette de l'album de Fela Kuti qui représente le cercueil de sa mère sur les marches du palais présidentiel
Pochette de l'album de Fela Kuti qui représente le cercueil de sa mère sur les marches du palais présidentiel

Hanté par la mort de sa mère, féministe panafricaine qui l’a formé au militantisme, Fela ira déposer son cercueil sur les marches du chef de l'Etat. La rage de Fela grandit. Il ne fait pas plus que dénoncer la corruption, l’armée et le néocolonialisme. Fela Kuti, en 1983, répondait à la télévision française lors d'une tournée : "Fatigué ? Non, je ne suis pas fatigué. Je veux être président pour changer les choses dans mon pays." Il se présente à l’élection présidentielle. Son surnom, désormais sera “Black President” 

Une musique spirituelle

Accompagné par un mage rebouteux, Fela passe ses dernières années dans un tourbillon de concerts, de drogue, de mysticisme, de complotisme. Malade, encore emprisonné à plusieurs reprises, se soignant à la marijuana, il meurt du Sida à 58 ans. 

La spiritualité, c’est l’essence de la vie humaine. Fela Kuti

Son fils, Femi, et ses petits-enfants ont dans son sillon repris le flambeau, musical et politique  Son fils aîné Femi, et son cadet Seun, et même son petit-fils Made, reprennent son flambeau, et font aujourd’hui vivre son triple héritage, spirituel, militant et musical.
 

A écouter 

Fela Kuti  - Vinyl Box #5, Partisan Records (Décembre 2021)

Une vie, une oeuvre - Fela Kuti, par Jérôme Sandlarz, réalisé par Anne Franchini, France Culture, 2011

Archives Ina : Antenne 2, FR3, RFO (doc Ina : Anne Delaveau)

Affaires culturelles
55 min