"Feminism-washing" : quand les séries feignent d'être féministes

Une partie du casting de la série "Orange is The New Black"
Une partie du casting de la série "Orange is The New Black"

Feminism washing : les pièges de vos séries préférées

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"Feminism-washing" : quand les séries feignent d'être féministes

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Depuis une dizaine d'années, les séries font la part belle aux personnages féminins. Mais derrière cette offre pléthorique d’héroïnes se cachent des pièges marketing dont les plateformes ont le secret.

Les femmes ont-elles pris le pouvoir sur les écrans ? C'est ce qu'on pourrait croire en regardant les séries de la dernière décennie. Des séries qui mettent en avant des personnages féminins plus forts et plus complexes que ceux que l'on pouvait voir dans la fiction jusqu'alors.

Les plateformes et les chaînes de télévision ont bien compris l'intérêt en termes de marketing et d'image et n'hésitent pas à "surfer" sur cette tendance. C'est ce que pointe notamment la journaliste et autrice Jennifer Padjemi dans son essai Féminismes & pop culture (Stock, 2021).

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Jennifer Padjemi : "On peut parler aussi bien de “feminism-washing” que de "diversity-washing''. C'est le fait de montrer une femme ou des personnes non-blanches et d'en faire des espèces d'étendards pour montrer qu'on est ouvert, qu'on est progressiste. Ce sont souvent des attrape-téléspectateurs pour finalement nous servir des clichés, des stéréotypes qu'on voit habituellement. L'un des meilleurs exemples qu'on ait pu voir ces dernières années, c'est Girlboss. C'est une série qui parle de l'ascension de Sophia Amoruso, qui a écrit Girlboss et qui a fondé une marque qui s'appelle Nasty Gal. On ne voit que les bons côtés, que l'aspect plutôt positif de comment elle en est arrivée là. Mais on ne voit pas forcément ce qui s'est passé en coulisses. Quand la série est sortie, notamment la saison 1, il y avait eu des accusations de harcèlement moral, de comportements déplacés et donc ça, c'est vraiment le double discours entre ce que l'on montre à l'écran de positif et ce que l'on ne voit pas de négatif." 

La Théorie
3 min

Un feminisme mainstream et consensuel

Jennifer Padjemi invite les spectateurs à regarder les séries avec un oeil critique et attentif pour déceler les pièges marketing qui réduisent le féminisme à un argument de vente.

Jennifer Padjemi : "Une série vraiment féministe n'a pas besoin de le dire, premièrement. Ce n’est pas un symbole ou un étendard qu'on est obligé de mettre en avant, mais il y a une forme de présence naturelle de personnages féminins intéressants, qui ne sont pas réduits à leur genre et qui n'ont pas besoin de toujours avoir une aventure amoureuse. On se rend compte aussi que ces séries ont des limites et que très vite, il n'y a pas forcément de pluralité dans les rôles proposés, avec toujours un certain type de femme qui rentre dans les normes, un physique plutôt bien senti dans la société, plutôt mince, etc. "

Certaines séries limitent leur ambition à présenter un personnage féminin principal, quitte à reproduire des stéréotypes de genre avec les personnages secondaires ou les situations. Les personnages féminins les plus complexes et subtils ne sont pas forcément là où on les attend.

La Grande table idées
34 min

Jennifer Padjemi : "Cristina Yang, de la série Grey's Anatomy, est un personnage vraiment important dans la représentation du féminisme à l'écran. Elle n'est pas réduite à ses relations amoureuses. Elle n'est pas réduite à son identité raciale. C'est vraiment une femme ambitieuse, mais sans les clichés qu'on peut avoir des femmes qui sont carriéristes et qui veulent absolument détruire tout le monde pour aller en haut de l'affiche."

Un environnement encore très masculin

80% des showrunners de séries sont des hommes. Mais la profession comporte de plus en plus d'autrices qui portent un regard nouveau et émancipateur comme Michaela Coel et sa série I may destroy you ou Phoebe Waller-Bridge avec Fleabag.

Jennifer Padjemi : "On ne peut pas s'arrêter juste sur du “feminism washing” en se disant c'est pas grave, ça nous suffit. Je pense qu'il faut vraiment aller encore plus loin et toujours se poser la question de pourquoi on en parle, qui ça va intéresser et pourquoi on le fait. Les séries sont beaucoup plus importantes qu'on ne le pense. Ça peut être du divertissement, mais ce n'est pas que ça. Ce sont ces ressorts scénaristiques et ces stéréotypes qui vont influencer des jeunes générations qui ne savent pas qu'on les manipule. Parfois, c'est important aussi pour les producteurs, pour les chaînes, d'arrêter de surfer sur des vagues et de vraiment de comprendre comment eux, ils peuvent apporter leur pierre à l'édifice pour changer la société."

La Critique
27 min