Feuilletez "Ecoutez nos défaites" de Laurent Gaudé avec les oreilles

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Feuilletez "Ecoutez nos défaites" de Laurent Gaudé avec les oreilles

Un soldat de la force armée de coalition sur les hauteurs d'une montagne dans la province de Kaboul en 2013
Un soldat de la force armée de coalition sur les hauteurs d'une montagne dans la province de Kaboul en 2013
- Matthew Freire/DVIDSHUB via Flickr

Explorez le succès littéraire de la rentrée à travers une sélection d'archives sonores qui vous feront voyager de Hannibal et ses éléphants à la guerre de Sécession, en passant par l'invasion italienne en Ethiopie ou encore la poésie de Mahmoud Darwich.

>>> Retrouvez ici tous les autres romans de la collection "Feuilletez avec les oreilles"

Ecoutez nos défaites, dernier roman de Laurent Gaudé qui fut lauréat du Prix Goncourt en 2004 pour Le Soleil des Scorta, figure en tête du palmarès des libraires de la rentrée littéraire 2016. Roman choral et documenté, il marie imaginaire et événements historiques. Sa trame se déplie sur plusieurs époques et met en scène des personnages fictifs, Assem un agent des services secrets français et Mariam une archéologue irakienne, et des personnages historiques, Hannibal, le Général Grant et Haïlé Sélassié. En rapprochant l’époque contemporaine de la guerre entre Hannibal et Rome, la guerre de Sécession, et la deuxième guerre italo-éthiopienne, Laurent Gaudé explique qu'il a voulu répondre à la question "qu'est-ce que vaincre ?". Essayé "de saisir ce continuum qui nous traverse, nous lie aux époques précédentes, dans une sorte de mystérieuse verticalité. Un peu comme le font ces objets archéologiques qui traversent les siècles, surgissent parfois à nos yeux, au gré d’une fouille, nous regardent avec le silence profond des âges et disparaissent à nouveau, vendus, détruits ou engloutis pour quelques siècles encore."

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Dans un entretien au journal l'Humanité, il précise le pas qu'a représenté l'écriture de ce roman pour lui :

"J’ai eu l’impression de passer un cap dans la douleur. En termes d’écriture, il y aura un avant et un après Écoutez nos défaites . Je n’avais jamais écrit un livre avec un personnage français vivant aujourd’hui. C’est aussi à ce jour un des livres dans lequel j’ai mis le plus de moi. Je ne travaille pas pour les services et je ne suis à la tête d’aucune armée d’éléphants, mais je connais les lieux dont je parle, j’ai vécu de nombreuses scènes. J’ai été au musée du Bardo, au cimetière marin de Sidi Bou Said, j’ai eu la chance de voir Palmyre, le musée de Beyrouth, qui est une petite merveille. J’ai ressenti le vertige de la transition entre deux mondes à l’aéroport de Vienne, en rentrant du Kurdistan irakien. Ce livre me ressemble et est empreint d’une mélancolie absente de mes autres romans."

Place au texte de Laurent Gaudé à travers dix extraits de son roman illustrés par autant d'émissions sélectionnées dans les archives de France Culture.

Vue d'Alexandrie en 2007.
Vue d'Alexandrie en 2007.
- Tinou Bao via Flikr C.C.

Saluer Alexandrie

Laurent Gaudé a choisi de mettre en exergue de son roman ce texte du poète Constantin Cavafy tiré de Les dieux désertent Antoine (traduction de Marguerite Yourcenar)

"Quand tu entendras, à l’heure de minuit, une troupe invisible passer avec des musiques exquises et des voix, ne pleure pas vainement ta Fortune qui déserte enfin, tes œuvres échouées, tes projets qui tous s’avérèrent illusoires. Comme un homme courageux qui serait prêt depuis longtemps, salue Alexandrie qui s’en va. Surtout ne commets pas cette faute : ne dis pas que ton ouïe t’a trompé ou que ce n’était qu’un songe. Dédaigne cette vaine espérance… Approche-toi de la fenêtre d’un pas ferme, comme un homme courageux qui serait prêt depuis longtemps ; tu te le dois, ayant été jugé digne d’une telle ville… Emu, mais sans t’abandonner aux prières et aux supplications des lâches, prends un dernier plaisir à écouter les sons des instruments exquis de la troupe divine, et salue Alexandrie que tu perds."

( Ecoutez nos défaites , page 7)

En 2004, l'émission "Une vie une œuvre" était consacrée au poète grec Constantin Cavafy. (Re)découvrez ici le documentaire de Yorgos Archimandritis, réalisé par Nathalie Triandafyllidès, avec les interventions de Denis Kohler, professeur de littérature et Dominique Grandmont, traducteur :

"Une vie une oeuvre" sur Constantin Cavafy, documentaire diffusé le 14/11/2004.

1h 28

Gravure de A.Gusmand représentant le serapeum de Saqqarah découvert par Mariette Pacha (1860)
Gravure de A.Gusmand représentant le serapeum de Saqqarah découvert par Mariette Pacha (1860)
- Memphis via Flickr

Auguste Mariette : Le petit Boulonnais qui devint Pacha

« C’est quoi, le Sérapéum ? » j’ai expliqué que c’était un tombeau pour les taureaux Apis. Cela l’a intrigué. « Les taureaux Apis… ? » Alors j’ai détaillé : les prêtres qui désignent un taureau sacré, à la robe noire, avec un triangle inversé blanc sur le front. J’ai raconté la longue procession de la bête sur le Nil et, partout, sur les berges, les hommes qui se prosternent. J’ai raconté, à la mort de chaque taureau Apis, les soixante-dix jours de deuil, l’embaumement de la bête, sa sépulture dans ce temple où tous les taureaux se succèdent, génération après génération, et les prêtres, déjà, qui repartent à la recherche de la réincarnation de celui qui vient de mourir. « Tout cela pour un taureau ? » a-t-il dit, avec admiration. Oui. Et Mariette Pacha qui découvre le lieu. Le premier. Sans savoir encore qu’après cela, sa vie ne sera plus jamais la même et qu’il sera lié pour toujours à l’Egypte, lui, le petit Boulonnais qui finira Pacha, enterré au musée de Boulaq. La difficulté des fouilles. L’attente de l’obtention du fameux firman qui permet de creuser et le jour, enfin, où ils peuvent ouvrir la porte qu’ils ont réussi à dégager du sable. J’ai raconté la colonne de vapeur bleue qui sort de la porte ouverte, « comme de la bouche d’un volcan », dit Mariette dans ses écrits. Pendant quatre heures, la tombe se vide de cet air prisonnier depuis des siècles.

Je vois Assem fermer les yeux, imaginer ce spectacle. Plus loin, dans la chambre mortuaire, Mariette découvre non seulement les sarcophages des taureaux, mais là, sur le sol, la forme d’un pied dans la poussière. Le dernier prêtre qui s’est retiré avant de fermer la porte. La forme de son pied, figée dans la poussière, immobile pour trente siècles. Et ce qui était fragile, ce qui aurait dû être effacé au premier coup de vent a survécu à tout, aux guerres, aux famines, aux déclins des civilisations, aux convulsions du monde."

( Ecoutez nos défaites, pages 21 - 22)

Pour mieux connaître l'égyptologue Mariette Pacha, digne successeur de Champollion, écoutez Elisabeth David, qui lui a consacré un livre et était l'invitée de l'émission "Archéologiques" de Vincent Charpentier sur France Culture en 1994 :

Emission "Archéologiques" sur Mariette Pacha le 31/12/1994.

19 min

Hannibal et son armée traversant le Rhône. Gravure d'Henri Motte (1878).
Hannibal et son armée traversant le Rhône. Gravure d'Henri Motte (1878).
- C.C

Des éléphants contre l'Empire Romain

« Ont-ils vu les éléphants ? » Hannibal pose la question pour la troisième fois et les hommes autour de lui hésitent – oui, ils les ont vus, il était impossible de ne pas les voir, mais ils ne savent pas si cette réponse va déclencher la colère de leur chef ou au contraire le faire sourire. Alors, ils gardent le silence et baissent la tête. Puis enfin un cavalier numide se redresse bien droit sur son cheval et dit : « Oui, Hannibal, ils les ont vus. » Hannibal contemple le Rhône derrière lui et les corps qui jonchent le sol. Les premiers morts de l’Empire romain sont là, casques transpercés, mains encore crispées sur leur glaive ou sur leur plaie, le visage défiguré de douleur ou figé dans la stupeur. Il fait chaud. Le mois d’août pèse sur les rives du fleuve et fait danser les moustiques. La première bataille contre les Romains vient d’avoir lieu. Une escarmouche plus qu’une bataille, mais dorénavant Rome ne peut plus ignorer que les Barcides marchent sur elle. La nouvelle va se répandre. Les soldats qui se sont repliés vont raconter ce qu’ils ont vu. Ils parleront de cette armée où se mêlent Ibères, Gaulois et Numides. On les interrogera sur le nombre exact d’hommes de l’armée ennemie, sur la proportion de cavaliers et de fantassins. Et surtout, ils parleront des éléphants… Hannibal sourit. Les quarante éléphants qu’il amène avec lui vont grossir, devenir des monstres énormes, des bêtes avides de sang. Les récits vont se construire. Ils ne seront plus quarante mais quatre-vingts, cent… Et la peur va naître de partout. Oui, ils ont vu les éléphants."

( Ecoutez nos défaites, page 52)

D'où venaient les éléphants d'Hannibal ? Pour le savoir, écoutez Eric Baratay, spécialiste de l'histoire des animaux, sur France Culture au micro de Jean-Noël Jeanneney dans l'émission "Concordance des temps" en 2013 :

"Concordance des temps" du 02/02/2013 sur l'histoire des relations entre l'homme et l'éléphant

7 min

Vue de Beyrouth et de la Corniche. 2013.
Vue de Beyrouth et de la Corniche. 2013.
© AFP - Antoine Lorgnier/Only World/Only France

Beyrouth et ses blessures

"Tout est là, chrétiens et musulmans, visages pauvres et sourires cosmopolites. Il aime cette ville plus que toute autre, sa violence épaisse, vieille comme une vendetta des montagnes, sa nervosité dans les rues de Hamra et son calme majestueux, le matin, sur les restaurants de la Corniche où l’on peut prendre le petit-déjeuner face à la mer. Il aime cette ville qui hésite sans cesse, ne sachant si elle doit tout raser pour se reconstruire ou tout conserver pour que les blessures du passé soient visibles et servent de leçon aux générations à venir, qui hésite toujours et ne choisit jamais car avant qu’elle n’ait le temps de le faire, elle est reprise par ses démons et se mord à nouveau avec voracité, saigne et se met en lambeaux.

Il aime cette ville parce que le monde entier est là, les Druzes, les Kurdes, les Palestiniens, les Arméniens, ceux qui reviennent au pays une fois l’an pour voir leur vieille mère, arrivant du Caire ou de Bamako, de Pékin ou de Port-au-Prince, et qui parlent toutes les langues car cela fait longtemps que le monde est aux Libanais, eux qui se déchirent leur terre mais parcourent les mers, fils de Phéniciens. Aujourd’hui, la ville craque sous l’afflux des réfugiés. Les Syriens arrivent sans cesse. Ils regardent les camps de Palestiniens qui sont devenus des villes de béton, affreuses, serrées dans un entremêlement inextricable de fils électriques, et ils savent que c’est le mieux qu’ils peuvent espérer : rester ici et vieillir comme des exilés dans une ville qui ne sait plus pleurer sur ceux qui ont fui leur terre parce qu’elle a trop besoin de se battre encore pour survivre, et trop envie de s’étourdir…"

( Ecoutez nos défaites, pages 85-86)

Partez à la découverte de Beyrouth à travers le documentaire de Nedjma Bouakra diffusé en 2013 sur les ondes de France Culture. Un voyage en deux escales dont nous vous proposons d'écouter la seconde partie en compagnie d'artistes beyrouthins :

"Villes-Mondes" sur Beyrouth diffusé le 01/12/2013 sur France Culture.

59 min

Portrait de Mahmoud Darwich.
Portrait de Mahmoud Darwich.
- via mahmouddarwish.com

Le voleur de mots

"Il s’était présenté, avait hésité : fallait-il inventer une identité, dire qu’il était libraire, professeur ou autre chose ? Il se souvient encore de cela : les secondes où il s’était approché, le regard de cet homme sur lui, et alors il avait su qu’il ne mentirait pas, il avait tendu la main, en disant : « Monsieur Darwich ? Je travaille pour les services français… mais je voudrais savoir si vous accepteriez de parler poésie un court instant avec moi ? », et l’homme n’avait pas frémi ni même paru surpris. Il avait montré de la main le fauteuil en face de lui, Assem s’était assis et ils avaient parlé. « Si cet automne est le dernier, demandons pardon, pour le sac et le ressac de la mer… » Ils avaient parlé sans que Darwich ne lui demande rien sur ce qu’il était. Juste, au moment de se quitter, lorsqu’ils se serraient la main, cette phrase que le poète palestinien lui avait dite, les yeux plantés dans les siens : « Ne laissez pas le monde vous voler les mots. » Il le revoit là, avec ce visage de pierre, et c’est la première fois qu’il y repense. C’était des années plus tôt. Et il doit bien avouer qu’il a laissé le monde lui voler les mots. Il n’a été question que de gestes. L’action, qui s’empare de tout, ne laisse plus de place à rien. L’action avec son ivresse et son intensité qui rend tout si fade en comparaison."

( Ecoutez nos défaites , page 95)

Le 27 mars 2000 à la Maison de la Poésie, Mahmoud Darwich lisait un de ses poèmes, Un mètre carré de prison**. Un extrait de cette lecture a été diffusé quelques semaines plus tard sur France Culture dans l'émission "Les jeudis littéraires", de Pascale Casanova. La traduction simultanée est assurée par Michel de Meaulnes :

Mahmoud Darwich lit son poème "Un mètre carré de prison" à la Maison de la Poésie en mars 2000 rediffusé dans l'émission "Les Jeudis littéraires" du 04/05/2000.

3 min

Statue assyrienne du Musée de Bagdad - Photo captée du documentaire "Trafic d'art, le grand marchandage" de T.Rakhmanova diffusé sur Arte le 06/09/2016.
Statue assyrienne du Musée de Bagdad - Photo captée du documentaire "Trafic d'art, le grand marchandage" de T.Rakhmanova diffusé sur Arte le 06/09/2016.
- Arte

Le spectacle du pillage

"Elle traverse les salles en silence. Tout est là, à sa place. Elle refait le compte de tous ces objets et il lui revient en mémoire que douze ans plus tôt, en 2003, elle avait fait de même, arpentant les pièces dans un sens puis dans l’autre, mais tout était par terre alors : les vitres brisées, les chaises renversées, les objets à terre, les présentoirs vides. Elle avait erré, elle et plusieurs autres de son âge venus prêter main-forte à la directrice, découvrant le spectacle du pillage. Elle était jeune alors mais elle se souvient encore parfaitement de son état d’hébétude. Un grand crime avait été commis, là, sous leurs yeux, de bêtise et de laideur. Un crime qui allait contre la lumière des civilisations et ensemble, pendant des heures, ils s’étaient penchés pour ramasser des débris, balayer, faire le compte de ce qui manquait mais tout manquait… Plus de dix mille objets perdus.

L’Irak était un vaste terrain de jeu pour les trafiquants de toute espèce. Ils avaient assisté au sac sans pouvoir rien faire. Bagdad était à feu et à sang. Elle se souvient de sa colère ; lorsque dans la ville en feu les pillards avaient surgi de partout, pénétrant dans le musée, se servant en plein jour. Elle se souvient des soldats américains qui ne faisaient rien, ne bougeaient pas, regardaient ces bandes organisées mettre la main sur les richesses patrimoniales du pays. Elle avait contemplé, comme les autres, impuissante, le pillage du musée. Elle avait hurlé, comme les autres, en direction des soldats américains pour qu’ils interviennent. L’impunité des pilleurs. C’est là qu’est née sa vie."

( Ecoutez nos défaites, pages 140-141)

En 2006, l'émission "Sur les docks" diffusait un documentaire de Simon Guibert et Yvon Croizier sur le pillage du musée de Bagdad qui montrait l'ampleur du trafic illégal d'antiquités. Un long extrait est à écouter ici :

Documentaire "L'art de la guerre" consacré au pillage du Musée de Bagdad diffusé sur France Culture le 13/12/2006 dans l'émission "Sur les docks".

45 min

Hailé Sélassié, empereur d'Ethiopie, dans les années 1930 prononçant un discours avant son exil en Angleterre.
Hailé Sélassié, empereur d'Ethiopie, dans les années 1930 prononçant un discours avant son exil en Angleterre.
© Getty - Hulton Deutsch / Corbis

Hailé Sélassié et l'impasse de la SDN

« Ils l’écoutent en silence, maintenant, espérant probablement que le discours ne dure pas trop longtemps, pressés qu’ils sont de rejoindre leur hôtel, de se promener sur les bords du lac et d’oublier au plus vite ce moment désagréable où un petit homme de 1,50 mètre, empereur déchu d’un royaume lointain, leur dit ce qu’ils sont. Ils l’écoutent en silence et les cris obscènes des journalistes italiens sont oubliés. Ce sont ses mots à lui qui règnent sur l’assemblée. Il parle des gaz moutarde pulvérisés sur les troupes éthiopiennes ou même en dehors des zones de combat, sur le bétail, sur les villages. La guerre totale pour terroriser tout un pays. « Cette technique de la peur a réussi. Les hommes et les animaux ont succombé, la pluie de mort qui tombait des avions a fait hurler de douleur tous ceux qu’elle touchait… » Il dit tout et cela prend du temps. Mais il ne leur épargnera rien. Ce n’est pas la pitié qu’il demande mais cela, ils ne le comprennent pas encore. « … Tous ceux qui ont bu de l’eau empoisonnée ou mangé de la nourriture infectée sont également morts dans d’horribles souffrances… » Il les voit, lui, ces corps suppliciés, il les a sous les yeux. Il sait qu’il aurait pu être un d’entre eux.

Le silence de l’assemblée devient plus dense. Quelque chose vibre dans l’air qui n’a rien à voir avec la compassion que l’on peut avoir pour un vaincu. Et le petit homme, dans son uniforme impeccable, qui parle un parfait anglais, se tient droit comme si personne ne lui avait dit que son armée avait été défaite et que son pays était envahi. « … C’est pourquoi j’ai décidé de venir en personne témoigner devant vous des crimes perpétrés contre mon peuple et adresser à l’Europe un avertissement de ce qui l’attend si elle s’incline devant le fait accompli… »

( Ecoutez nos défaites , pages 162-163)

Dans le troisième volet d'une série de "La Fabrique de l'histoire" consacrée à la colonisation comparée, Emmanuel Laurentin proposait en 2013 un débat sur l'empire colonial italien. L' occasion, en fin d'émission, de diffuser cet extrait du discours d'Hailé Sélassié prononcé à la Société des Nations le 30 juin 1936 :

Débat sur l'empire colonial italien dans l'émission "La Fabrique de l'histoire" sur France Culture le 03/04/2013.

53 min

Photo captée du film  "SEAL Team Six: The Killing of Osama bin Laden".
Photo captée du film "SEAL Team Six: The Killing of Osama bin Laden".
© AFP - Ursula Coyote/National Geographic Channel

Eliminer Ben Laden

"Lui aussi a connu ces moments d’étirement du temps où les secondes s’allongent et où l’Histoire hésite. Lui aussi a appuyé sur la détente de son arme, trois balles, un son sourd, le corps qui tombe, le corps qu’il a à peine eu le temps de voir, cela a été vite, cela va toujours très vite, cela se passe sans émotion, avec de la tension, mais sans peur ni joie, car il n’y a pas le temps, trois coups et le monde entier va savoir qu’une histoire s’achève, les dix ans de traque du terroriste qui a défié les Etats-Unis, et on dira d’eux que ce sont des héros, mais ils savent que tout aurait pu basculer au moment où l’hélicoptère s’est posé dans la maison d’Abbottabad, avec ce déséquilibre, les pales qui se cassent, cela aurait pu être la nuit d’un ratage, on aurait retrouvé des corps de soldats américains morts, le Pakistan aurait exigé des explications, Al-Qaida aurait pavoisé, ils savent que tout se joue toujours sur de toutes petites choses, le réflexe du pilote, le muscle dans le poignet, qui fait que l’appareil se pose malgré tout, et ce geste qui les sauve les mène directement aux trois coups parce qu’à partir du moment où l’hélico se pose, l’Histoire a choisi et il n’y a plus qu’à parcourir le chemin qu’elle déroule. Il aime cela au fond. Les moments d’hésitation de l’Histoire."

( Ecoutez nos défaites, page 166)

Le 4 mai 2011 dans "Les Matins de France Culture", on pouvait écouter un reportage d'actualité qui se déroulait à Abbottabad. Des habitants de la ville témoignent de l'assaut américain qui s'est soldé par la mort d'Oussama Ben Laden :

Reportage d'Eric de La Varenne à Abbottabad diffusé le 04/05/2011 dans le dossier de la rédaction des "Matins de France Culture"

3 min

Bataille de Shiloh par Thure de Thulstrup (1888).
Bataille de Shiloh par Thure de Thulstrup (1888).
- Adam Cuerden / Library of Congress

L'enfer de la guerre de Sécession

"« War is hell », dit son ami Sherman. Il faut châtier les civils et couper l’ennemi de ses bases. « Je peux faire hurler de douleur la Géorgie », lui a-t-il écrit, et il l’a fait, détruisant tout sur son passage. Les voilà, devant ses yeux, les vaincus aux corps creusés, aux lèvres blanches, hallucinant de faim. Faut-il se réjouir ? Oui, car ils sont le signe de la victoire. L’armée de Lee fond à vue d’œil. Ils ne doivent même plus être trente mille et ils sont tous affamés. « La guerre est cruelle. » Il repense toujours à Sherman parce qu’il n’y a que lui qui soit lucide et dise les choses avec la brutalité qu’elles contiennent. « Plus elle sera cruelle, plus vite elle sera terminée. » Les villages brûlent. Les hommes meurent de faim le long de la route. Rien n’empêche Sherman d’avancer. Il traverse la boue, les forêts. Il saccage tout et le Sud hurle de douleur. Faut-il se réjouir ? Grant songe à cet instant que la victoire est une épreuve. Il laisse les confédérés en haillons passer et il lui semble que c’est lui qui est humilié, pire, il sent que cette humiliation ne le quittera plus, qu’il va devoir apprendre à la porter en lui, même lorsque les cris de victoire retentiront – car ils retentiront –, même là, elle sera en lui, sourde, pénétrante, il ne pourra pas la fuir, et jusqu’à sa mort il y aura cela en partage entre lui et les troupes ennemies : cet instant-là, tête basse, où l’homme est allé si loin qu’il n’en était plus un."

( Ecoutez nos défaites, pages 221-222)

Pap Ndiaye, historien spécialiste de l'Amérique du Nord, racontait l'histoire un peu oubliée de la guerre de Sécession au micro de Jean-Noël Jeanneney dans l'émission "Concordance des temps" en 2013. Relatant les grandes étapes de cette guerre civile américaine, il expliquait la politique de terre brûlée et ses conséquences politiques :

Pap Ndiaye dans l'émission "Concordance des temps" diffusée sur France Culture le 12/10/2013 raconte l'histoire de la guerre de Sécession.

59 min

Hannibal vainqueur considérant l'Italie depuis les Alpes (détail) - Francisco de Goya (1770)
Hannibal vainqueur considérant l'Italie depuis les Alpes (détail) - Francisco de Goya (1770)
- C.C.

La bataille de Canne

"Canne della Battaglia. C’est ainsi que le lieu se nomme désormais. D’en haut, il voit la mer. Le soleil se couche dans son dos. Le vent – doux – vient du large et fait un léger bruit dans les pins. Il n’y a aucune présence humaine. Un silence de siècle. A gauche, au loin, on voit parfaitement le promontoire du Gargano. A ses pieds, partout le long de la colline jusqu’à la mer, des lauriers, des pins, et ce silence toujours. Des vignes recouvrent maintenant la zone du champ de bataille. Quel vin donnent-elles ? Les racines ont dû, au fil des années, se frayer un chemin au travers des bris d’armes et des squelettes. Il entend le roucoulement paisible de tourterelles au loin. Tout dégage un sentiment de paix. La route, les villes, la chaleur de la foule sont loin. Et pourtant il est sur un cimetière. Canne della Battaglia. C’est ici qu’Hannibal a défait l’armée romaine. Ici qu’en quelques heures quarante-cinq mille Romains ont été tués. La plaine si belle, si douce, qu’il a sous les yeux a longtemps pué les viscères. Il essaie d’imaginer cela : quarante-cinq mille corps mutilés, agonisant, bougeant encore un peu, essayant en vain de se traîner ou implorant qu’on leur vienne en aide. Le silence du lieu vient peut-être de cela : un silence de tombeau. Comment se fait-il que le lieu d’un des plus grands bains de sang de l’humanité soit magnifique ? Il se laisse emplir par le vent chaud qui remonte de la mer. La lumière d’été se pose sur les collines au loin, avec grâce."

( Ecoutez nos défaites, page 277)

En 2012, l'émission "Tout un monde" de Marie-Hélène Fraissé consacrait un numéro à l'aventure d'Hannibal, qui fascine encore historiens et écrivains voyageurs à la recherche de son itinéraire mythique à travers les Alpes ** :**

L' aventure Hannibal racontée dans l'émission "Tout un monde" diffusée sur France Culture le 05/06/2012.

1h 02

Choix des extraits littéraires : Annelise Signoret, de la Documentation de Radio France.

Sélection d'archives radiophoniques : Odile Dereuddre, de la Documentation de Radio France.

Archives INA - Radio France