Forêt et climat : liaisons dangereuses ?

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Forêt et climat : liaisons dangereuses ?

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En complément de l’émission de Planète Terre de ce mercredi 6 octobre, disponible à la réécoute et au podcast ici, Globe vous propose une revue de web sur les interactions entre forêt et climat. On présentera dans ce billet quelques éléments de controverse mis en avant sur ce thème par les différents acteurs concernés. Quels sont les points de vue avancés par les acteurs associatifs, politiques et scientifiques sur le lien entre changement climatique et situation des forêts ?

***La forêt : un allié dans la lutte contre le changement climatique ? * **
L'entretien et la préservation du couvert forestier mondial semblent constituer des alliés de poids dans la lutte contre le changement climatique : comment, et dans quelle mesure, la déforestation modifie-t-elle le climat ? Il s'agit d'abord de préciser ce que l'on entend communément par "déforestation" : ce phénomène ne touche pas de façon équivalente l'ensemble des zones du globe, ni tous les types de forêt. Il convient également de revenir sur les interactions entre forêt et effet de serre : si certaines forêts constituent bien des "puits de carbone", de nombreux paramètres influenceraient la capacité des forêts à absorber les gaz à effet de serre.

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La déforestation : une réalité différenciée géographiquement

Vue aérienne de forêts tropicales brulées dans le but d'aménager des terres agricoles, à Para, au Brésil
Vue aérienne de forêts tropicales brulées dans le but d'aménager des terres agricoles, à Para, au Brésil

Vue aérienne de forêts tropicales brulées dans le but d'aménager des terres agricoles, à Para, au Brésil ©Jacques Jangoux - Photo Researchers, Inc.

Notre planète connaît un mouvement de déforestation : la forêt recouvre 30% de la surface du globe ; on estime qu’elle a disparu à un rythme annuel de 73 000 km carrés par an entre 2000 et 2005. Pour approcher ce phénomène, il convient de distinguer les types de forêt , selon leur latitude ("boréale", "tempérée" ou "tropicale"), et selon leur degré d'anthropisation, comme le propose un article publié dans La Recherche .

La focale régionale et territoriale permet de mieux comprendre ce phénomène. Si la superficie forestière mondiale diminue, celle de l’Europe (et notamment la forêt française) augmente, cf le[ rapport de la FAO, publié en 2009, sur la situation des forêts du monde](http://www.fao.org/docrep/011/i0350f/i0350f00.htm .) et l' Atlas des forêts dans le monde, paru en 2009 chez Autrement.

La vitesse de déforestation dans le monde (en vert) en 2006.
La vitesse de déforestation dans le monde (en vert) en 2006.

La vitesse de déforestation dans le monde (en vert) en 2006. ©La documentation française

[Le rapport de la FAO cité ci-dessus](http://www.fao.org/docrep/011/i0350f/i0350f00.htm .), ou ce court reportage en anglais sur la déforestation au Cambodge, replacent la déforestation dans le cadre des usages agricoles :

  • Or la forêt, « puits de carbone » majeur, permet de réduire l’effet de serre *

Pour plusieurs associations de protection de l'environnement, la déforestation est d'abord vue comme une menace pour le climat, cf un rapport récent de Greenpeace sur le rôle des forêts africaines dans la régulation climatique mondiale ou sa campagne de sensibilisation sur les forêts :


Sur cette fonction de la forêt comme « puits de carbone » , cf ce document de Jean-Luc Dupouey, directeur de recherches à l'INRA de Nancy et la vidéo suivante coproduite par la FAO et la Commission des Forêts britannique. Le piégeage du carbone serait-il plus efficient chez des forêts jeunes comme l'affirme cette vidéo ? Ce point a pourtant été nuancé récemment. Une étude, menée par Sebastiaan Luyssaert de l'Université d'Anvers et publiée dans la revue Nature de 2008, a en effet montré que les forêts âgées de 200 à 800 ans stockent encore une masse importante de carbone, alors qu'on a longtemps cru que les forêts âgées consommaient autant de carbone qu'elles n'en produisaient.


La régulation des précipitations grâce à l’humidité forestière est un élément particulièrement important dans les zones les plus sèches du globe comme le continent africain. Greenpeace souligne l’interdépendance des grands flux climatiques : selon l'association, les conséquences climatiques de la déforestation en Afrique peuvent s'étendre à l'Europe par exemple.

Pour plusieurs chercheurs, néanmoins, les caractéristiques exactes des échanges de gaz à effet de serre entre la forêt et l’atmosphère sont encore mal connus

Dans une même zone, selon la température, la pluviométrie ou encore l’exposition solaire, la nature de ces échanges peut varier. C’est en ce sens que des études ont été menées par le Centre for agricultural landscape research de Leibniz et par la Poznan University of Life Sciences, afin de déterminer, dans deux échantillons de tourbière et de forêt, les caractéritiques et la variabilité des échanges gazeux entre ces écosystèmes et l’atmosphère :


***Quel impact du changement climatique sur les forêts ? * **
Réciproquement, le changement climatique tel qu'il est défini par le GIEC (élévation de la température moyenne du globe, radicalisation de la sécheresse dans certaines zones, augmentation des évènements climatiques extrêmes etc.) aurait des conséquences importantes sur la qualité et la quantité du couvert forestier selon les scientifiques. Pourtant, la question de l'avenir de cette dégradation est très complexe, car elle repose sur des scénarios climatiques, eux-mêmes incertaines et controversés, et sur une modélisation de la réponse d'un grand nombre d'espèces au bouleversement climatique (et des interactions entre ces réponses), très difficile à réaliser.

Changement climatique et variations qualitatives du couvert forestier : le débat en France

En France, tant le rapport de 2006 de la mission d'information sur l'effet de serre de l'Assemblée nationale que le dernier rapport de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, soulignent les modifications qualitatives, observées et à venir, des forêts françaises.

Des études de l’INRA sur cette question ont permis de mettre en évidence plusieurs éléments. Tout d’abord, la plus forte concentration en CO2 de l’atmosphère due à l’effet de serre, aurait pour conséquence une stimulation de la croissance des végétaux . Par ailleurs, l’impact des évènements extrêmes (tempête, sécheresse etc.), dont le lien avec le réchauffement climatique est actuellement à l'étude, a des conséquences de long terme sur les forêts. Enfin, il semble que certains dépérissements de forêts de sapins en France soient liés au changement climatique, et qu’un phénomène de « remplacement » de forêt tempérée par la forêt méditerranéenne soit en cours. Pour la présentation de ces résultats, on peut se reporter à la version intégrale de l'extrait vidéo présenté ci-dessous, disponible ici :


Sur la base de ces observations, les agronomes prédisent une augmentation à moyen terme de la productivité des forêts (à l’horizon 2030 ou 2050 selon les modèles). Mais cette tendance pourrait bien s’inverser à long terme du fait des risques accrus de feux de forêt et d’évènements climatiques extrêmes, mais également de la prolifération de pathogènes. L’INRA souligne néanmoins la grande incertitude qui prévaut sur ces prévisions, du fait des réactions différenciées des espèces, et ce alors même que les « réponses » des plantes au changement climatique sont encore mal modélisées comme l’expliquent Nathalie de Noblet-Ducoudré, du Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE) et Jean-Luc Dupouey, de l'INRA de Nancy dans un article de * La Recherche. *

*Dans le monde : le changement climatique à l’origine d’une réduction du couvert forestier ? *

Au niveau mondial, certaines zones seraient menacées par une régression de certaines régions boisées progressivement remplacées par des savanes selon le GIEC, qui avait ainsi affirmé dans son rapport de 2007 :

« D’ici le milieu du siècle, les forêts tropicales devraient être progressivement remplacées par la savane dans l’est de l’Amazonie sous l’effet de la hausse des températures et du desséchement des sols. La végétation de type semiaride aura tendance à laisser place à une végétation de type aride. »

Cette prévision d’une modification si radicale de la géographie forestière a été contredite par la suite par une autre étude de Yadvinder Mahli, de l’université d’Oxford. Selon lui, le GIEC a excessivement minimisé les précipitations de la zone. Selon ce nouveau modèle prédictif, ce ne sont pas des savanes, mais des forêts dites "de mousson" caractéristiques des zones dans lesquelles il y a deux saisons distinctes, qui remplaceraient les forêts tropicales amazoniennes.

Par ailleurs, selon un chercheur américain de l’USGS, Craig D. Allen, le changement climatique pourrait avoir un impact direct sur le volume du couvert forestier mondial, et concourir à un recul de la forêt. Il dresse ainsi la carte des zones dans laquelle le recul forestier en cours résulterait du changement climatique, à travers le "stress hydrique" subi par la forêt, c'est-à-dire le couple températures élevées - sécheresse. Néanmoins, il faut bien remarquer que ce travail s’appuie sur le scénario climatique du GIEC. On touche du doigt une limite de tous ces exercices prédictifs : selon le scénario de changement climatique pris en compte, les conséquences possibles sur la biosphère varient considérablement.

Pour aller plus loin :
Vous pouvez réécouter trois émissions de Planète Terre sur ce thème :

  • l'émission du 16 décembre 2009 "Que faire du carbone ?" dans laquelle Sylvain Kahn recevait Augustin Fragnières et Urs Luterbacher

  • l'émission du 3 septembre 2008 dans laquelle Marie-Christine Cormier-Salem est intervenue sur le thème : "Les mangroves dans le monde"


Vous pouvez également vous reporter à cinq émissions récentes de Terre à Terre consacrées à la forêt :