France-Égypte : les relations dangereuses

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France-Égypte : les relations dangereuses

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Depuis juillet 2015, des Rafale contrôlent l'espace aérien égyptien. Le Caire a commandé au total 54 appareils.
Depuis juillet 2015, des Rafale contrôlent l'espace aérien égyptien. Le Caire a commandé au total 54 appareils.
© AFP - BORIS HORVAT

Alors que la dernière commande de 30 Rafale par l'Égypte entre en phase d'exécution, le site d'investigation Disclose révèle l'implication de la France dans de macabres opérations de renseignement au profit du Caire. Le prix à payer pour une fructueuse relation ?

Le 15 avril 2016, en amont de la visite officielle de François Hollande en Égypte, des ONG demandaient au président de la République, dans une lettre ouverte, d’"assurer toute la transparence sur les accords commerciaux conclus, les matériels livrés, et les garanties fournies par les autorités égyptiennes que ces équipements et matériels ne serviront pas à la répression interne ou à des crimes relevant du droit international humanitaire ». Quelques mois à peine après la mise en œuvre de l’opération Sirli, qui, révèle le site web d'investigation Disclose, avec la complicité de la France, a conduit au bombardement de cibles civiles.

Car si Paris s’était engagé au départ dans une mission à vocation antiterroriste, l’opération Sirli a vite dévié et l’exécutif français en a été informé. Certes, ce ne sont pas des matériels français qui ont frappé le millier de véhicules détruits en un an par l’Égypte sur sa frontière avec la Libye. Mais ce sont bien, précise une note française dévoilée par Disclose, les renseignements fournis dans le cadre de l’opération conduite sur place par Paris qui ont permis d’identifier les cibles. Au mépris, rappelle le site web d'investigation, des principes de droit international – et notamment la résolution 56/83 de l’ONU – auxquels la France a souscrit.

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Le prix à payer pour défendre une fructueuse alliance ? 

Des noces opportunes

L’élection, en mai 2014, du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, marque un tournant dans les alliances égyptiennes. Le nouveau président, arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’État contre Mohamed Morsi et le gouvernement des Frères musulmans en juillet 2013, ne peut plus compter sur les États-Unis, dont le désengagement du Moyen-Orient est engagé.

Pour Paris, c’est l’occasion de retisser des liens avec Le Caire, et, au passage, de remplir son carnet de commandes.

Cultures Monde
58 min

Dès 2015, l’Égypte acquiert auprès de la France, avec l’aide financière de l’Arabie saoudite et une garantie de Paris aux banques créancières françaises, 24 Rafale et une frégate Fremm pour un total de 5,2 milliards d’euros. Elle achètera peu après, pour près d’un milliards d’euros, deux navires Mistral, dont la Russie, qui les avait commandés, se voit privée après l’annexion de la Crimée.

La question des droits de l’homme en Égypte n’est pas précisément à l’ordre du jour, alors même que les opposants au régime font l’objet d’une répression sévère. Tout au plus Sissi consent-il à libérer une centaine de prisonniers politiques, dont deux journalistes d’Al-Jazeera accusés d’avoir « diffusé de fausses informations », pour s’acheter une respectabilité. L’engagement du président égyptien contre les groupes islamistes, qui prospèrent notamment dans la Libye voisine, justifie le soutien français. La raison industrielle compte sans doute un peu aussi.

Un symbole embarassant

Dès son accession au pouvoir, le successeur de François Hollande laisse planer un doute sur l’idylle militaro-industrielle naissante. Le 7 mai 2017, rappelle Disclose, au soir de son élection, Emmanuel Macron déclare :

L’Europe et le monde (…) attendent que partout nous défendions les libertés, que nous protégions les opprimés.

Las, le nouvel hôte de l’Élysée s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur, et le confirme trois semaines après au téléphone à Sissi. Jean-Yves Le Drian, artisan de l'entente franco-égyptienne au ministère de la Défense sous François Hollande, poursuit son œuvre au quai d'Orsay sous Emmanuel Macron.

Le président français ira même jusqu’à recevoir Abdel Fattah al-Sissi en visite d’État, le 7 décembre 2020. À cette occasion, Emmanuel Macron en appelle timidement à une "ouverture démocratique", à la promotion d’"une société civile active", tandis que Le Caire revendique la libération – demandée par un large collectif – de trois dirigeants de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR). Mais en Égypte, la situation n’a pas changé : la répression reste la règle.

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"Je ne conditionnerai pas notre coopération en matière de défense, comme en matière économique" aux désaccords sur la question des droits de l’homme, a rappelé le chef de l’État français lors de la conférence de presse conjointe. Signe d’une amitié consolidée, Emmanuel Macron a même élevé son homologue égyptien au grande de grand-croix de la Légion d’honneur, à l’occasion d’une cérémonie qui aurait dû demeurer discrète. Ce sont les services du président égyptien qui l’ont rendue publique, déchaînant les critiques à l’égard du président français.

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Mais Paris peut supporter le désaveu symbolique. Car l’Égypte n’est pas seulement un bon client. Le pays est aussi un allié de poids dans une région taraudée par les crises : en Libye, terreau islamiste et carrefour migratoire, sur les champs gaziers de Méditerranée orientale… 

Un mariage fructueux

À Paris, le temps de l’autocritique n’est pas venu. Sept ans après avoir convolé avec Sissi, la France n’en finit pas de donner des gages à celui qui, selon les ONG, est à l’origine d’une "escalade de la répression". C’est déjà Disclose qui, le 3 mai dernier, annonçait la signature en catimini d’un mégacontrat militaire entre l’Égypte et la France (le lendemain, toutes les parties confirmaient). Sur la liste de courses, encore 30 Rafale, notamment, pour 3,75 milliards d’euros, dont, six mois après l’annonce, Dassault Aviation vient de recevoir le premier acompte.

Signe que la relation est au beau fixe, et pour dépasser la question sécuritaire, Bruno Le Maire était en juin dernier au Caire pour y assurer que la France était prête à s'engager à hauteur de 3,8 milliards d'euros dans le financement de différents projets. Comprendre "pas seulement militaires". Parmi eux,  la modernisation du métro du Caire, mais aussi des projets dans les domaines de l'énergie, du traitement de l'eau et de l'assainissement. Mais toujours rien pour défendre "l’esprit des Lumières menacé dans tant d’endroits", pour reprendre la feuille de route annoncée par Emmanuel Macron le 7 mai 2017 sur le parvis du Louvre.