Alors que l'attention médiatique se focalise sur le volet "UMP" de l'affaire Bygmalion, la justice enquête de son côté sur l'autre gros client de l'entreprise : France Télévisions. Avec là encore les mêmes ingrédients du scandale : gros sous et copinage. Des contrats ont été passés entre la télévision publique et Bygmalion à l'époque de Patrick De Carolis, mais également sous la présidence actuelle de Rémy Pflimlin.
Mélange des genres
L'un des fondateurs de la société Bygmalion, Bastien Millot, a passé une partie de sa carrière aux côtés de Jean-François Copé, de la mairie de Meaux aux ministères dont le président démissionnaire de l'UMP a eu la charge.
> A lire également : Jean-François Copé démissionne de l'UMP après un nouveau scandale Ce qu'on sait moins c'est que le même Bastien Millot a ensuite été débauché par Patrick de Carolis à l'été 2005 pour prendre le poste de numéro 3 chez France Télévisions. Il restera trois ans au sein de l'entreprise, où il cumulera de plus en plus de responsabilités. C'est à partir de l'été 2008 que les relations entre Bastien Millot et France Télévisions deviennent surprenantes.Bastien Millot prend un congé sabbatique pendant lequel il crée la société Bygmalion, mais il restera très proche du groupe France Télévisions.Il est toujours salarié de l'entreprise et malgré tout plusieurs contrats vont être rapidement signés entre Bygmalion et France Télévisions. Comme le révèle LePoint.fr, il s'agit de contrats aux intitulés assez vagues : "accompagnement stratégique", "préparation d'éléments de langage" * ou encore "courrier téléspectateurs".*
Ces nombreux contrats, signés sans mise en concurrence préalable, portent sur 1,2 millions d'euros, selon LePoint.fr.
Saisi de l'affaire, le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke commence à faire la lumière sur les conditions dans lesquelles ces contrats ont été passés, et sur les responsabilités supposées des protagonistes de l'affaire.
Il a déjà mis en examen Patrick de Carolis pour délit de favoritisme. Camille Pascal, ancien secrétaire général de France Télévisions, et Bastien Millot ont également été mis en examen (délit de favoritisme pour le premier, recel de délit de favoritisme pour le second). Martin Ajdari, aujourd'hui directeur de cabinet de la ministre de la Culture, et ancien directeur général délégué de France Télévisions a été placé sous le statut de témoin assisté.
Plus intrigant, LePoint.fr révèle cette semaine que Patrick De Carolis, suite à son départ de la présidence de France Télé en 2010, a continué à avoir des relations avec la société Bygmalion, mais dans des rôles inversés . L'ancien PDG de France Télévision a reçu, via sa société Patrick de Carolis Consulting, 120.000 euros pour des missions de conseil. Un montant qui représente 10% des sommes versées par France Télévisions à Bygmalion entre 2008 et 2010. Un chiffre rond qui interroge. Patrick de Carolis a-t-il touché des rétrocommissions sur les contrats signés entre la télévision publique et Bygmalion ? C'est la question que pose LePoint.fr. Silencieux sur cette affaire, l'ancien PDG s'est exprimé dans un communiqué. Il poursuit Le Point en diffamation, et précise ses relations avec Bygmalion :
*"Patrick de Carolis, à la fin de l’année 2010, alors qu’il n’était plus à la tête de France Télévisions, a été sollicité en qualité de consultant par Bygmalion pendant une période de 6 mois sur certains dossiers ayant un lien direct avec ses compétences, à savoir l’élaboration d’un dossier à l’attention du CSA pour la création d’une chaîne de télévision locale ainsi que la conception de la grille des programmes de cette chaîne. Patrick de Carolis a également été sollicité à l’occasion de la création d’un musée. *
**Ses conseils ont donné lieu à une facturation de la part de l’entreprise de Patrick de Carolis et ont été comptabilisés de manière transparente." **
Dans le communiqué, Patrick De Carolis revient également sur son rôle lorsqu'il était à la tête de France Télévisions :
*"A aucun moment il n’a été donné instruction par quiconque à France Télévisions pour que soient contournées les règles en vigueur aux fins de privilégier Bastien Millot ou Bygmalion . Toutes les mesures de vérification et de contrôle nécessaires préalables avaient été mises en place, et ce n’est qu’après accord des directions compétentes que les contrats ont été conclus et exécutés." *
Une pratique qui a perduré sous Rémy Pflimlin ?
Certains des contrats entre Bygmalion et France Télévisions ont cessé en 2010 avec l'arrivée d'un nouveau président : Rémy Pfimlin. Mais le groupe a continué a travailler avec l'entreprise de Bastien Millot sur deux contrats : l'un portait sur de la surveillance de réputation sur internet et l'autre consistait a répondre à des courriers et des emails de téléspectateurs . Ce qui fait dire à Jean-Jacques Cordival, président de la CGC-Médias , à l'origine de la plainte, que l'arrivée d'un nouveau PDG n'a pas induit de nouvelles méthodes, plus transparentes :
En 2008 et 2009, les contrats sont signés sous Carolis. Pflimlin arrive en 2010, les contrats sont signés pendant près de quatre ans. Il s'agit de nouveaux contrats signés.
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La direction de France Télévisions admet que deux contrats ont bien été signés avec Bygmalion, mais qu'ils ont pris fin en 2012 et 2013.
Frédéric Olivennes, le directeur de la communication de France Télévisions , parle de "prestations réelles et sérieuses, d'où leur poursuite après l'arrivée de la nouvelle équipe de direction ".
Mais sur le fait que ces nouveaux contrats n'aient pas fait l'objet de mise en concurrence, Frédéric Olivennes explique que "France Télévisions a donné toutes les informations réclamées par le juge" et de rajouter : "à ce jour, cette instruction [du juge, ndlr] n'a pas donné lieu à une poursuite d'investigations plus poussées sur ces deux conventions" **
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**Le contrat portant sur la réponse aux courriers des téléspectateurs a été signé par Martin Ajdari en personne. ** Lors de sa première audition devant le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke le 13 novembre 2013, Martin Ajdari est questionné sur Bastien Millot et les contrats entre Bygmalion et France Télévisions. Dans le procès verbal d'audition que nous avons pu consulter, Martin Ajdari explique qu'en septembre 2010 il a été décidé que deux contrats avec Bygmalion seraient signés, et qu'il s'agissait d'un souhait du secrétariat général et de la présidence.
Martin Ajdari, qui a lui-même signé un contrat avec Bygmalion le 1er octobre 2010, explique donc que la signature de deux contrats avec l'entreprise de Bastien Millot était un souhait du PDG Rémy Pfimlin et du secrétaire général du moment, Yves Rolland.
Lors de sa seconde audition, le 6 décembre 2013, le juge Renaud Van Ruymbeke pose de nouveau la question de la mise en concurrence des contrats finalement obtenus par Bygmalion sous la présidence de Rémy Pflimlin. Martin Ajdari explique alors qu'il a renouvelé lui-même les deux contrats, sans mise en concurrence. Et c'est ensuite le secrétaire général Yves Rolland qui a renouvelé les contrats fin 2011, toujours sans mise en concurrence. Il a fallu attendre décembre 2012 pour voir une mise en concurrence, avec une autre entreprise qui remporte les contrats.
Martin Ajdari n'a malheureusement pas répondu à nos sollicitations**.**