Françoise Dolto : "L'enfant est porteur de tout l'imaginaire des parents"

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Françoise Dolto : "L'enfant est porteur de tout l'imaginaire des parents"

Françoise Dolto le 24 septembre 1981.
Françoise Dolto le 24 septembre 1981.
© Getty - Louis Monnier/Gamma-Rapho

1974. Françoise Dolto, psychanalyste, et Philippe Ariès, historien, s'entretiennent dans une émission diffusée en 1974, de l'évolution de l'éducation et de la famille, des conséquences sur le développement de l'enfant et de sa sexualité, depuis les sociétés pré-industrielles jusqu'à nos jours.

En 1974, France Culture proposait dans son émission "Dialogues", une table-ronde en public avec la psychanalyste Françoise Dolto et l'historien spécialiste de l'histoire des mentalités, Philippe Ariès, auteur en 1960 de L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime.

Le débat s'ouvre sur un constat émis par Philippe Ariès au sujet de la société pré-industrielle : "C'est une société qui n'a pas aimé l'enfant", affirme-t-il.

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Il se pose actuellement des problèmes considérables parce que tous les enfants survivent. Survivent justement des enfants très sensibles qui autrefois mouraient tout simplement. Françoise Dolto

Françoise Dolto et Philippe Ariès dans l'émission "Dialogues" s'entretiennent de l'évolution de l'éducation des enfants, sur France Culture le 23/04/1974.

1h 18

Avec les parents qu'il y a maintenant, à huit ans un enfant ne sait pas lacer ses chaussures. Les parents sont tellement anxieux - il y a eu tellement de livres entre les parents et les enfants - qu'ils ne permettent plus à un être humain de devenir autonome à l'âge où d'habitude il l'était. Françoise Dolto

Françoise Dolto et Philippe Ariès s'interrogent sur cette fragilisation observée de l'enfant dans nos sociétés.

On voit qu'il n'y a plus que deux pôles dans la vie [au 19ème siècle] : la famille et le métier ou la profession, et entre les deux il n'y a rien du tout. Ces deux pôles qui étaient autrefois réunis, se sont séparés dans l'espace et la famille est à ce moment-là dominée par la mère, par la femme. Le père est déjà absent la plupart du temps et au fond le véritable couple du 19ème siècle - et probablement encore de notre époque - c'est beaucoup moins le mari et la femme, que la femme et l'enfant. Philippe Ariès

Les parents sont frustrés par tant de choses, de manières de vivre, qu'il faut que ce soit les enfants qui leur donne la compensation aux satisfactions manquantes de leurs vies. [...] L'enfant est porteur de tout l'imaginaire des parents et comme il y a de moins en moins d'enfants dans les familles, chaque enfant porte le poids des espoirs qu'il déçoit de ses parents. C'est très dur à supporter et ça fait un cercle vicieux de malaise : des cas de prolongation d'infantilisme chez l'enfant et de comportements infantiles des mères vis-à-vis de leurs enfants. Les parents sont piégés dans leur maternité et dans leur paternité. Françoise Dolto

L'historien Philippe Ariès propose une lecture singulière de l'apparition de l'école : 

Finalement, l'école s'est imposée non pas comme un endroit où l'on apprenait des techniques mais comme un endroit où l'on dressait les petits enfants, où on les moralisait, où on les enfermait comme on enfermait les fous et les prostituées. Ça a été une espèce d'entreprise de dressage de la société. Philippe Ariès

L'école telle qu'elle est empêche la communication et surtout on ne donne pas de vocabulaire aux enfants. Actuellement, ce qu'il y a d'épouvantable et qui fait justement que les enfants n'ont pas les mêmes chances dès l'âge de 3 ans, c'est que l'école n'est pas le lieu où l'enfant vit totalement à la sauvage comme il a envie de vivre mais avec du vocabulaire qui peu à peu justement réduit le sauvage du fait que ça se médiatise dans le vocabulaire. C'est l'expression symbolique qui n'est pas donnée à l'enfant. Les maîtres et aussi à la crèche, on s'occupe du corps : "Faut pas ci du corps, faut pas ça du corps !" Et puis il n'y a pas de communication, on n'a pas le temps. On ne s'occupe que de l'hygiène physique.  Françoise Dolto

Françoise Dolto regrette que les jeunes actuellement se sentent comme "dans une société ennemie" où les contrôles de police, en 1974 déjà, ciblent essentiellement les jeunes, or dit-elle, "nous devrions entièrement faire confiance aux jeunes". "Nous sommes bornés", conclut-elle.

  • "Dialogues : Enfance et société" 
  • Première diffusion le 23/04/1974
  • Production : Roger Pillaudin
  • Indexation web : Odile Dereuddre, de la Documentation de Radio France
  • Archive INA - Radio France