Archive | Réinventer l’école après une crise, celle de la Première Guerre mondiale : voilà l’ambition de Célestin Freinet dès les années 1920. À partir de son expérience d’instituteur, Freinet met en place une pédagogie novatrice pour responsabiliser les enfants, grâce à leur action et à leur coopération.
Blessé pendant la Première Guerre mondiale, Célestin Freinet, instituteur dans les Alpes-Maritimes, n'arrive plus à parler devant sa classe. Il cherche alors des techniques alternatives, et s'aperçoit qu'impliquer davantage les enfants dans le processus d'apprentissage porte ses fruits. De cette expérience fondatrice, Freinet tire des enseignements qu'il partagera sa vie durant, jusqu'à la fin des années 1960. Conférences faites par les enfants, exploration directe de leur milieu, expression libre, correspondance inter-scolaire, individualisation, fabrication d'une imprimerie pour apprendre à lire et à écrire, coopération entre enfants et entre adultes dans les écoles... sont quelques-unes des grandes lignes de ce que l'on a appelé "la pédagogie Freinet".
Quelques années avant sa mort en 1966, Célestin Freinet revenait dans des entretiens radiophoniques sur l'origine de sa réflexion novatrice, et sur son application avec les enfants. Écoutons-le, alors que les tribunes se multiplient pour repenser l'école en cette crise sanitaire et sociale.
Célestin Freinet, en 1963 : "Nos enfants se montrent considérablement supérieurs aux hommes, en tout cas ils ne semblent pas encore et ne sont pas encore des béni-oui-oui. Ils savent critiquer, ils savent bien. Et nous espérons qu'un jour prochain, ils auront la capacité de remplir leurs devoirs civiques."
Célestin Freinet, en 1961 : "Quand je suis revenu de la guerre de 14-18, j'avais été assez sérieusement blessé et notamment je ne pouvais pas parler, surtout pas parler dans une salle de classe. Et alors, j'ai cherché les solutions. J'ai tâtonné longtemps, j'ai fait des expériences, je prenais l'après-midi mes gosses pour faire le tour du village où on allait en passant, regarder le boulanger ou bien regarder le forgeron. Puis on allait faire un tour dans la campagne, on ramenait toute une moisson de choses très intéressantes. Et alors à ce moment-là, nous faisions déjà un compte rendu au tableau. Et c'est là que je me suis mis à chercher un matériel d'imprimerie de façon que l’enfant puisse l'avoir fait lui-même. L'avoir mis au net au tableau, le composer ensuite et l'imprimer et le lire ensuite en imprimé.
Alors tout de suite, j'ai pensé que ce qui serait bien, ce serait de profiter de cet imprimé que nous avions réalisé pour l'envoyer à d'autres correspondants. Nous avions déjà deux imprimés à lire et des imprimés qui signifiaient quelque chose qui signifiaient une pensée de l’enfant, la pensée du correspondant de l'enfant. Là, j'ai senti tout de suite ce qu'il y avait d’emballant dans tout cela. Alors, nous avions déjà réalisé l'intérêt des correspondances interscolaires telles qu'elles continuent à être assurées. Et le procédé est toujours le même. Si nous parvenons à rétablir les circuits, alors tout va bien. Les enfants s'intéresseront à leur travail, s'intéresseront aux études et l'instituteur s'intéressera également à son travail.
Selon les méthodes traditionnelles, c'est toujours la pensée du maître qui oriente toute la pédagogie. C'est le maître qui, le matin arrivant, indique ce que l'enfant doit apprendre ce qu'il doit réciter, ce qu'il doit étudier. Nous, nous pratiquons d'une façon tout à fait différente le matin, à l'arrivée, les enfants nous exposent, nous disent ou nous lisent le compte rendu de ce qu'ils ont vu autour d’eux, de ce qu'ils ont entendu dans leur famille et ce qu'ils ont remarqué. Et ce sont ces textes libres qui serviront de base à toute notre pédagogie. Notre méthode est essentiellement coopérative.
C'est l'enfant qui agit librement au sein de son milieu, au sein de la communauté. C'est vraiment la coopération sur la base de l'initiative et du travail d'un enfant lui-même, de sorte que notre classe est orientée naturellement vers l'étude du milieu. A la base, il y a l’avis et la pensée de l'enfant. Et ensuite, nous retrouvons la pensée de l'adulte. Nous inversons simplement le système. Au lieu de partir d'un adulte pour venir à l’enfant, nous partons de l’enfant pour aller à l'adulte et au milieu qui l'environne."