Frontière ukraino-russe : le retour de la propagande

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Frontière ukraino-russe : le retour de la propagande

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Militaire ukrainien en position dans le Donbass en Ukraine face au front pro-russe
Militaire ukrainien en position dans le Donbass en Ukraine face au front pro-russe
© AFP - WOLFGANG SCHWAN / ANADOLU AGENCY / ANADOLU AGENCY

Le monde dans le viseur. Deux photos, une seule frontière. Celle qui sépare les Ukrainiens des Russes. Depuis plusieurs semaines, la tension monte entre les deux pays. Chaque camp hausse le ton et fait grimper la pression. La guerre des images existe aussi. Il s'agit de montrer que l'on est prêt pour un conflit terrestre.

Deux images, qui mettent en scène les militaires des deux camps. Dans la première, on se trouve dans les tranchées dans le Donbass, en Ukraine, à la frontière avec les pro-russes. On peut y voir deux militaires qui surveillent la ligne de front. Une manière de rappeler que l'Ukraine est prête en cas d'invasion russe. Dans la seconde, on se trouve quelque part en Biélorussie, le long d'une ligne de chemin de fer. Le train qui avance transporte des dizaines de véhicules militaires. Cette deuxième photo illustre plutôt les préparatifs de l'armée russe. Elle semble surtout vouloir insinuer que c'est une armée complète qui se met en place. La perspective laisse imaginer que le Kremlin déploie une force considérable en vue d'une possible invasion.

Photo de l'arrivée en Biélorussie des militaires russes de l'autre côté de la frontière avec l'Ukraine.
Photo de l'arrivée en Biélorussie des militaires russes de l'autre côté de la frontière avec l'Ukraine.
© AFP - Ministry of Defense, Republic of Belarus

La même photo en noir en blanc renforce ce sentiment du passé

Une fois n'est pas coutume, ce n'est pas un photographe qui permet de décrypter ces images, mais un historien. Pascal Blanchard est notamment l'auteur du livre Les Années 50. Et si la guerre froide recommençait ?, aux éditions de la Martinière. Mais d'emblée, c'est l'œil de l'homme d'histoire qui réagit. Pour lui, ce qui est fantastique, c'est qu'on a véritablement l'impression de revoir des images du passé, des années 50-60. Elles ressemblent à celles de la guerre de Corée, tout comme elles rappellent ces opérations de la guerre froide lorsque l'occident s'opposait au bloc soviétique.

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Le reportage de la rédaction
5 min

Et de faire le parallèle avec ses trains russes ou chinois qui transportaient de l'armement. Ces photos ne sont pas classiques si l'on se place du côté de l'Otan. En revanche, elles étaient courantes à l'est du mur. On voyait, dans une sorte de grisaille, d'immenses trains, soit avec des chars d'assaut, soit avec des véhicules militaires. Ces photos, à l'époque, montraient ces empires en mouvement avec le déplacement de ces armées sur les terrains d'opération. Un parallèle saisissant avec l'actualité, note Pascal Blanchard :

Si vous mettez la photo en noir et blanc et si vous oubliez que là, on sait d'où elle vient, et qu'elle a été prise en 2022,  je pense que beaucoup pourraient la considérer comme une image du passé, lors d'un déplacement de l'armée soviétique. Avec cette volonté de montrer sa puissance.

On peut ajouter que le nombre de blindés sur le train n'est pas neutre du tout. Il s'agit de montrer une capacité à agir, ou une puissance en marche. Pour étayer son propos, Pascal Blanchard rappelle ces autres photos à l'époque avec, soit des fusées qui symbolisaient la force de frappe, soit des trains immenses qui étaient là pour montrer une capacité de déplacement rapide, avec une logistique qui était à la hauteur de l'intervention.

Si vous mettez les mêmes camions sur une route, vous n'êtes pas dans la même logique. Vous êtes dans une logique de lenteur en termes d'intervention, alors qu'avec le train, c'est l'inverse. C'est exactement ce que faisaient les Américains, je vous le rappelle, avec les avions pendant la guerre du Vietnam.

En noir et blanc, la même photo donne le sentiment d'être un cliché du passé
En noir et blanc, la même photo donne le sentiment d'être un cliché du passé
© AFP - HANDOUT- Ministère de la défense de Biélorussie

Côté ukrainien, une guerre d'attente

Le cliché pris du côté ukrainien, lui, illustre bien cette guerre d'attente, comme dans une sorte de tranchée, analyse Pascal Blanchard. On est dans une guerre où en fin de compte, on épie l'ennemi pour savoir à quel moment il va intervenir.

Une tranchée qui donne même le sentiment d'être un camp retranché. Alors que coté russe, on a une armée en mouvement, ici, on voit des soldats qui donnent l'impression d'être désemparés. Il ne leur reste plus que des lunettes pour voir à quel moment, en fin de compte, ils vont s'affronter avec l'ennemi. C'est la drôle de guerre.

Et l'historien de souligner avec justesse le manque de moyens de ces deux hommes dans le froid.

L'image est déprimante. Si vous observez bien les uniformes, on voit qu'ils sont abîmés, qu'ils sont usés et sales. On a vraiment l'impression d'une armée qui est prête à s'effondrer

Un sentiment de guerre de tranchées côté ukrainien avec les soldats en observation dans le Donbass.
Un sentiment de guerre de tranchées côté ukrainien avec les soldats en observation dans le Donbass.
© AFP - Wolfgang Schwan/Anadolu Agency

Information contre propagande

Il y a une notion importante à prendre en compte lorsque l'on regarde ces deux photos. Celle prise en Biélorussie a été réalisée par le ministère de la Défense biélorusse. Alors que celle côté ukrainien provient de journalistes qui ont été autorisés à approcher la ligne de front. Une nuance de taille qu'il est nécessaire de prendre en compte.

La première photo, c'est une évidence, est une photo destinée à faire de la propagande qui symbolise la puissance et la force. C'est une image qui est structurée comme telle. D'ailleurs, l'angle de vue insiste sur l'ensemble du train. Il s'agit de laisser imaginer le nombre de wagons. La deuxième, elle voudrait avoir un côté positif avec ce visage de ce soldat mais cela ne fonctionne pas. On voit que le militaire en premier plan semble épuisé ou fatigué. À cela s'ajoute, une absence d'armement. Donc, ce n'est pas une image qui est pensé pour montrer qu'on va résister potentiellement aux Russes ou qu'il s'agit d'une armée moderne capable de se battre. Elle n'a rien d'une image de propagande.

Et l'historien de conclure en rappelant que cela faisait longtemps que l'on avait pas vu de telles photos en Europe. Peut-être dans les années 90 avec le conflit en Bosnie et en Serbie. "En revoir aujourd'hui, comme celle du train russe, nous ramène vraiment dans l'esprit de la guerre froide."

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