Le fil culture. Ganzeer a encore frappé ! Son dessin représentant le raïs égyptien Sissi caricaturé en cambrioleur masqué est largement repris dans toutes les mobilisations et marches contre le régime du maréchal-président. De Berlin à Washington, les manifestants anti-Sissi défilent en arborant le dessin imprimé.
Tout a commencé un vendredi 20 septembre. Des dizaines de milliers d’égyptiens ont trouvé le courage de braver les interdictions gouvernementales en sortant dans les rues de plusieurs villes du pays pour exiger le départ du président Abdel Fattah Al-Sissi. Ces manifestations répondaient aux appels lancés sur les réseaux sociaux par Mohamed Ali, un entrepreneur de la construction exilé en Espagne qui a dénoncé dans plusieurs vidéos virales la corruption du raïs Sissi et des militaires égyptiens qui gouvernent l’Egypte. D’où la caricature signée Ganzeer, réalisée depuis son exil aux Etats-Unis et publiée sur son compte tweeter le vendredi 20 septembre également. Elle représente Sissi vêtu d’une veste rayée et masqué d’un loup, avec en haut du dessin en anglais : « Arrêtez Sissi. Libérez l’Égypte », et en-dessous en arabe : « À bas les traîtres, les vestiges du régime, les Frères [musulmans] ».
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Double clarification nécessaire. D’une part l’artiste précise à son public international que ce dessin n’est pas un hommage de Sissi à Batman à l’occasion des 80 ans du super-héros américain ( c’est vrai, on aurait pu le croire), ensuite Ganzeer rappelle en arabe au public égyptien qu’il s’oppose à Sissi comme il s’était opposé au président précédent, Mohamed Morsi issu des Frères Musulmans ( élu au suffrage universel le 30 juin 2012, destitué par le Maréchal Sissi le 23 juillet 2013, mort en prison en 2019), et comme il s’était activement opposé à la police et aux chars de Moubarak.
Sissi masqué pour signifier qu’on a démasqué le président mafieux
Sissi masqué pour signifier qu’on a démasqué le président mafieux : le dessin s’est propagé sur la toile avant d’être diversement dupliqué, partagé, imprimé. Ce n’est pas le premier coup de Mohamed Fahmy Fahmy né à Gizeh en 1982. Ce pionnier du street-art arabe qui signe ses oeuvres Ganzeer - mot de l’argot égyptien signifiant chaîne de vélo - s’est fait connaître mondialement pendant la révolution de la place Tahrir. Ses fresques murales, notamment celle réalisée en mars 2011 représentant un jeune adolescent cairote qui a été abattu par la police quelques jours auparavant, avaient marqué les esprits et retenu l’attention des chaînes de télévisions dépêchées dans la capitale égyptienne.
Son "freedom mask" avait déjà été dupliqué par des milliers de manifestants durant ce semblant de printemps arabe. Ganzeer a été tout aussi provocateur sous la présidence du président islamiste Mohamed Morsi, par exemple en dessinant des femmes nues sous des hidjabs transparents, et il est devenu anti-militariste depuis le putsch de Sissi contre Morssi, n’hésitant pas à lancer avec d’autres artistes engagés, une campagne de réseaux sociaux et d’art de rue appelée #SissiWarCrimes (crimes de guerre de Sissi ). Dénoncé par une télévision étatique égyptienne pro-Sissi comme un "agent recruté par les Frères Musulmans", l’artiste a préféré quitter le pays pour s’installer en juin 2014 à New-York. Sage décision. Quelques jours plus tard, le 4 juillet, le corps noyé de son ami graffeur Hichem Riszk était retrouvé dans le Nil, une semaine après son enlèvement mystérieux.
Depuis son exil aux Etats-Unis, Ganzeer continue de rester actif. Quand la presse américaine plutôt élogieuse le compare à Banksy, il s’en défend rappelant que "le street-art" n’est qu’un élément de son dispositif créatif qui englobe l’art-numérique, le dessin, la peinture, la vidéo, la littérature et la bande-dessinée de science-fiction.
Ganzeer, maître de l’underground
En tant qu’auteur de BD, Ganzeer est considéré comme le maître de l’underground. Ne serait-ce que parce qu’il est le dessinateur d’une BD devenue collector, Les Ruines du Futur, co-signée avec la star du stand-up arabe, le jordanien George Azmy, et éditée à très peu d’exemplaires par une galerie du Caire. En revanche on peut découvrir sans problème l’univers de sa seconde bande dessinée S.F. The Solar Grid (Le Système solaire), en feuilletons et en accès libre sur son site. Dans cette bande dessinée en anglais, la Terre baigne dans une lumière du jour éternelle et l’histoire se situe un millénaire après le déluge qui a fait disparaître notre monde. Avec comme héros deux orphelins, Mahret et Kameen, qui vagabondent dans les terrains vagues terrestres en quête d’objets de valeur, l’auteur égyptien développe dans cette histoire des thématiques d’actualité : l’environnement bien sûr, mais aussi l’archéologie spéculative, les rapports inter-religieux et l’afro-futurisme.
Mais son actualité chaude comme on dit, c’est le dessin Sissi cambrioleur. Dans sa petite boutique, on peut se procurer un Sissi Stickers pour un dollar symbolique. Symbolique de l’artiste justicier qui milite activement à visage découvert sur la toile contre les méchants masqués du royaume des papyrus.