Goûter la sérendipité du Net et aller à la plage en suivant le peintre espagnol Sorolla !
Par Marie Richeux
Culture Maison. Quitte à ce que le confinement nous fasse passer beaucoup de temps devant nos écrans, pourquoi ne pas rendre visite à quelques tableaux ?
Marie Richeux, productrice de l’émission Par les temps qui courent, s’est laissé happer par le hasard web. Un chemin qu’elle se propose de partager puisqu’il l’a menée sur la piste du peintre espagnol Joaquin Sorolla di Bastida (1863-1923) et qu’elle y a trouvé la lumière d’un bain de mer estival !
En ces temps d’incertitude, autant accueillir le hasard
Je cherchais à illustrer une petite forme sonore, dans laquelle ma fille de trois ans - que j’enregistre régulièrement pendant ce confinement - me glissait tranquillement que "les mères ne connaissent pas leurs enfants_"_. Je ne retrouvais plus le nom de cette peintre, redécouverte assez récemment à la faveur d’une grande exposition parisienne, et dont on avait notamment souligné les scènes de maternité. Des femmes enceintes, des femmes s’occupant d’enfants, des femmes, œil dans le vague, allaitant un enfant… tout cela peint - donc regardé et pensé - par une femme.
Je me souvenais seulement du coup du sort dramatique qui voulait que cette femme-là, justement, fut morte en couche à 31 ans, en prononçant un dernier mot… "dommage_". J’entrais "peintre, mère, maternité, enfant"_ dans le moteur de recherche.
Si je ne tardais pas à retrouver Paula Modersohn Becker et ses tableaux si singuliers, mon regard était de clic en clic attiré par d’autres images.

Un tableau apparut en plein écran et, véritablement, m’attrapa. On y voyait une étendue de blancs nuancés - des draps en fait - au milieu de laquelle semblaient flotter les visages endormis d’une femme et d’un nouveau-né. ll s’agissait de Madre, une des plus fameuses toiles du peintre espagnol Joaquin Sorolla y Bastida, dont la maîtrise de la palette des blancs est admirée et, je le constatais, admirable. En ces temps d’incertitude, autant accueillir le hasard : je décidais de suivre la piste de ce peintre-là.
Le bord de mer, la lumière, le bain d’un cheval : ce qui nous manque
Puisque le site du ministère de la Culture espagnol le permettait, je regardais cette grande toile de 1895 dans les moindres détails. C’était fascinant de s’approcher de la trace du plus infime coup de pinceau sur les visages (Sorolla y est virtuose), mais peut-être plus encore des sursauts de lumières dans les plis du lit. Le zoom (de qualité) est une façon hypnotique de se diluer dans l’infini de la peinture, sans jamais perdre de vue la composition éminemment moderne du tableau pour l’époque. Joaquin Sorolla y Bastida naît à Valence en 1863, il meurt à Madrid en 1923, où sa maison-atelier devenue musée est une des attractions touristiques de la ville.
De la ville de Valence et de son humble origine, il conserve longtemps (même après les mondanités new-yorkaises avec son mécène Huntington, les séjours à Paris où il expose pour la première fois en 1906, Rome où il fréquente grands artistes et grands musées…) le goût des simples paysages de bords de mer, des corps à la baignade, des fins de journées chaudes dans la lumière jaunie, lorsque sel et sable empêcheraient presque d’enfiler le moindre vêtement.

J’allais de toiles en toiles et il me semblait, juste en plissant les yeux, pouvoir reconstituer une sorte d’embrun mental. Toutes peintes au début du vingtième siècle, L’heure du bain, Après le bain, La promenade le long du rivage, La sortie du bain, Sous le store, La plage à midi… ces toiles ont le pouvoir de nous faire troquer la tristesse de la fermeture de tout le littoral de France (et de très nombreuses régions du monde) contre la joie de la contemplation. L’une d’entre elles réunissant deux de mes grandes passions - l’eau et les chevaux - je ne résiste pas à vous la montrer. Le bain du cheval date de 1909, et c’est l’une de ses œuvres les plus célèbres. Dans mon cœur, elle est la jumelle d’une toile de Picasso, peinte dans les mêmes années, Jeune garçon au cheval, dont je garde depuis longtemps avec moi une reproduction carte postale.

Vous reprendrez bien un peu de hasard
Si l’on passe un bon nombre d’heures (trop certainement) derrière nos petits et grands écrans, je remarque que la contemplation de la peinture ne me fait pas le même effet que le reste. Elle me garde vive et jamais ne m’assomme. Surtout, elle impose son temps et limite le mien. Je ne peux absorber de la peinture à l’infini, comme on le fait de vignettes Instagram, de postes Twitter, ou d’images dans nos albums de téléphone. Je regarde les peintures comme je l’aurais fait en galerie ou au musée, c’est à dire qu’à un moment, je sors. Est-ce à considérer que même derrière un écran, ce qu’elles contiennent de temps, de rapport à la matière, de geste, de densité, est perceptible ? C’est une hypothèse.
Les initiatives des musées et galeries proposant la consultation d'oeuvres en ligne sont pléthore. A songer aux espaces vides des petites et grandes salles d’exposition, on voudrait pouvoir jouir de la solitude et du silence face aux œuvres, dans leur majesté, dans leur intimité, en un mot avec elles, pour de vrai. On se met donc à rêver à la réouverture progressive de tous ces endroits qui nous ôtera tout espoir de solitude (ce serait trop simple) mais nous réunira enfin avec la matière.
En attendant je partage volontiers une autre de mes récentes joyeuses découvertes : le portail videomuseums qui regroupe des collections publiques d’art moderne et contemporain françaises, et dont l’archivage minutieux est une poétique en soi.
Je vous suggère, pour finir, d’activer l’option "tri aléatoire", car en ces temps d’incertitude… autant accueillir le hasard.
- Site du musée Sorolla à Madrid
- Film " Life of the artiste : what you need to know about Sorolla"(en anglais) sur le site de la National Gallery
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