Gravity, Whole earth Catalog et Bretagne

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Gravity, Whole earth Catalog et Bretagne

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En 1969, parut confidentiellement aux Etats-Unis une publication qui est devenue depuis un mythe de la contre-culture. Cette publication s’intitulait le Whole Earth Catalog , « le catalogue de la terre entière », et il rassemblait tout ce qu’il fallait alors pour quitter la société et vivre dans l’autosuffisance - des graines, des outils, des tentes, mais aussi des livres – le livre indiquait comment se les procurer et qu’en faire. Entre 1968 et 1972, le Catalogue a connu un succès considérable dans les milieux communautaristes américains, les lecteurs envoyant des commentaires et des notices supplémentaires, et l’informatique naissante y pris une place importante, l’informatique et les machines conçues comme un moyen d’augmenter notre autonomie mais aussi les capacités de notre cerveau. Par son côté participatif, par son fonctionnement en ajout et en renvoi, par son intérêt pour les proto-ordinateur, le Whole Earth Catalog est considéré aujourd’hui comme un ancêtre papier du web et d’ailleurs, ceux qui en furent à l’origine, Steward Brand et Kevin Kelly ensuite, sont par la suite devenus des acteurs importants de la Silicon Valley et des technologies américaines.

Un des coups de génie du Whole Earth Catalog, c’était sa couverture. En 1968, ça faisait déjà deux ans que Steward Brand harcelait la NASA pour obtenir le droit d’utiliser une photo de la terre vue depuis l’espace. Oui, une simple photo de la terre vue depuis l’espace, si habituelle pour nous aujourd’hui et dont Brand sentait la puissance symbolique si elle se diffusait. Et c’est bien cette photo qui a orné la première couverture du Whole Earth Catalog, un fond noir et une petite boule bleue, notre terre, notre planète.

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Et l’on considère que la diffusion de cette photo, via le Catalog, puis par d’autres supports, n’est pas pour rien dans la naissance d’une conscience écologique. Tout à coup, la Terre apparaît telle qu’en elle-même, c’est-à-dire belle, petite, et interdépendante, à protéger.

En voyant Gravity , le film d’Alfonso Cuaron sorti sur les écrans mercredi dernier, une impression semblable m’a parcouru. Ce n’est plus une photo mais un film, un film qui utilise toutes les techniques les plus récentes de production de l’image (à commencer par la 3D évidemment) pour offrir une vision de la terre depuis l’espace. Une vision à laquelle ces technologies de l’image et du son permettent d’ajouter une expérience, celle de l’apesanteur, celle du mélange de grande lenteur et de vitesse incommensurable, celle du silence. Et au sortir du film, ce n’est pas de la trame narrative, assez ténue il faut le dire, dont on se souvient, c’est de cette expérience, c’est des images, moins celles de l’espace noir et menaçant, que celles de la terre, des nuages qui s’amassent à sa surface, des villes qui allongent leurs traînées de lumières la nuit et des bruns et verts qui la peignent la journée. L’impression de voir la Terre comme un écosystème interdépendant qui avait saisi le public dans les années 60 est réactivée par Cuaron, qui n’a pas fait un film sur l’espace, mais sur la Terre, comme le montrent bien à la fois son titre, « Gravité », et les dernières images.

Pendant ce temps-là, une écotaxe, à la fois remède ridicule par rapport aux enjeux et mal défendue, embrase une région, une région où il est question d’une industrie agro-alimentaire polluante, mais dont les gens vivent, où il est question de camions qui rejettent leur CO2 mais alimentent une économie impossible à négliger.

Principe de réalité, dira-t-on. Peut-être. Problème de focale aussi. Il y a la Terre vue de très loin, trop loin peut-être. Et la Terre vue de très près. Trop près peut-être.

Et nous entre les deux.