Günter Grass, la plume dans l'Histoire

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Günter Grass, la plume dans l'Histoire

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Il a “dépeint le visage oublié de l’Histoire dans des fables d’une gaieté noire ”. C’est en ces mots que l’académie suédoise avait récompensé l’écrivain et artiste Günter Grass en 1999 du Nobel de littérature, pour son oeuvre jugée profondément humaniste. Cet “écrivain des victimes, des perdants ”, est décédé ce 13 avril 2015 à l’âge de 87 ans.

Günter Grass en 2007
Günter Grass en 2007
© Reuters - Susana Vera

Jusqu'à ses derniers jours, il sera marqué par sa jeunesse brassée par l'Histoire. Né en 1927 dans la ville libre de Danzig-Langfuhr (cité Etat sous la protection de la Société des nations, maintenant Gdansk en Pologne), Günter Grass est enrôlé dans les jeunesses hitlériennes dès l’âge de 15 ans. D’abord affecté à une batterie antiaérienne de la Luftwaffe, il est intégré à la Waffen SS en 1944, ce qu’il n’avoue que 72 ans plus tard. Son expérience de la montée du national-socialisme allemand a profondément marqué Günter Grass, et ses “errements” de jeunesse expliquent son engagement, littéraire comme politique. Capturé par les Américains à la fin de la guerre, il est libéré en 1946. Il étudie alors les arts-plastiques à Düsseldorf et Berlin, vit un temps une vie de bohême en vendant ses sculptures et gravures. En 1955, il participe au “Groupe 47”, un collectif d’écrivains réflechissant à l’écriture esthétique et politique dans l’Allemagne de l’après-guerre.

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Günter Grass à Berlin, en 2008.
Günter Grass à Berlin, en 2008.

C’est en 1956 que Günter Grass publie sa première oeuvre littéraire, Le Journal des coquecigrues , un recueil de poèmes. Suivent deux pièces : Tonton et La Crue . Mais ce qui vaut à l’écrivain allemand sa célébrité est la publication de l’ouvrage Le Tambour , en 1959, inspiré de sa propre jeunesse et de son histoire familiale. Grâce à la lecture du premier chapitre de son oeuvre, le jeune écrivain remporte le prix du “Groupe 47”. L’argent de la bourse ainsi obtenue lui permet de séjourner à Paris, où il fréquente les cercles intellectuels de Saint-Germain-des-Près, découvre le Nouveau Roman et rencontre notamment Paul Celan, qui l’initie à Rabelais.

A Paris, Günter Grass parachève son roman Le Tambour, premier volume de la Trilogie de Dantzig qui, dès sa sortie, rencontre un succès international. On y découvre un style littéraire novateur, jugé baroque et cynique. Günter Grass malmène les textes, rudoie la ponctuation et les formes, mélange les chronologies. Il fait appel aux néologismes, à l’hyperbole, aux ruptures syntaxiques… Si son oeuvre se fait moins exubérante au fil du temps, l’écrivain assume demander à son lecteur un véritable effort.

Aujourd’hui encore considéré comme un classique, Le Tambour est un chef d’oeuvre de la littérature allemande d’après-guerre. Il est suivi de Le Chat et de la souris en 1961, puis *Les Années de Chien * en 1963. En 1979, le livre est adapté au cinéma par Volker Schlöndorff : Le Tambour est là encore un succès, récompensé de la Palme d’Or à Cannes et de l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood.

Un fort engagement politique
De retour en Allemagne dans les années 60, Günter Grass s’engage en politique et prend parti pour les sociaux-démocrates. Il apporte son soutien à Willy Brandt, futur chancelier allemand, et le conseille notamment quant au rapprochement des deux républiques allemandes. Günter Grass s’inscrit politiquement à gauche. Successivement proche du SPD puis des Verts allemands, il rejoint la coalition de Gérard Schroëder en 1998.

Ses doutes quant à la réunification allemande lui valent la réputation de polémiste, réputation qu’il parachève avec la publication de l’ouvrage* Toute une histoire* , en 1995, où il retrace l’histoire de la RDA et de la RFA et dénonce l’imposition du mode de vie libéral de l’Allemagne de l’Ouest à celui de l’Allemagne de l’Est. Cette oeuvre vaut de nombreuses critiques à l’auteur, mis en cause par la presse populaire. Le Spiegel titre d’ailleurs à ce sujet : “L’échec d’un grand écrivain ”.

Loin d’écouter la critique, Günter Grass continue son combat politique, s’oppose farouchement à Angela Merkel. Il expliquait son engagement en août 2005 au micro de France Culture :

Je pense que cette coalition (de Gérard Schroëder, ndlr)* risque de perdre les élections. Mais il faut montrer qu’il y a une alternative. Le chancelier Schroëder, avec la France, a véritablement fait quelque chose de très important en s’érigeant contre cette guerre qui fait fi de tout droit international, guerre déclarée par le président Bush. [...] Mme Merkel était pour cette guerre, et si elle vient au pouvoir cela ramènerait l’Allemagne dans cette vieille dépendance face aux Etats-Unis. Je ne suis pas anti-américain mais il faut montrer des alternatives. [...] Le président Bush est un intégriste, son langage est du même niveau que celui de Ben Laden. Il y a du blanc et du noir, il n’y a aucune nuance entre les deux et moi je suis contre ce manichéisme.* ”

Günter Grass en août 2005

23 min

Son aveu, en 2006, de son appartenance à la Waffen SS, peu avant la publication de son dernier roman autobiographique Pelures d’Oignon , contribue à la réputation sulfureuse de l’écrivain. Cette révélation questionne la moralité de Günter Grass, qu’il a savamment distillée à travers certains romans comme En Crabe , publié en 2002, qui traite des problèmatiques de la mémoire collective. Il est épinglé comme donneur de leçons là où lui même est loin d’être irréprochable. Les intellectuels européens se déchirent sur la question de savoir si cette révélation, bien que tardive, renforce ou non sa légitimité. Depuis, l’écrivain s’était placé en retrait, annonçant en 2014 arrêter l’écriture, en raison de problèmes de santé. Bien loin des polémiques, il reste de lui une oeuvre avant tout humaniste.