'Hace' produit de l’énergie avec les petites vagues mais la France n’y croit pas encore
Par Annabelle GrelierDemain l'éco. La société girondine Hace a mis au point une machine capable de produire de l’hydrogène vert avec la force des vagues. Elle fournira l'énergie la moins chère au monde, la plus décarbonée et la plus stable assure son fondateur Jean-Luc Stanek mais il lui manque les fonds pour lancer la production.
"Cela ressemble à un gros bac à glaçon flottant" décrit Jean-Luc Stanek en parlant de sa machine houlomotrice. Derrière cette apparente simplicité, la technologie qui produit de l’hydrogène vert en convertissant la houle en électricité, lui a pris sept ans de recherche et développement. Cet ancien chirurgien-dentiste formé à l’école de Santé Navale s’est entouré d’une équipe d’associés experts des plus pointus dans divers disciplines comme la mécanique des fluides ou bien les résistances structurelles, des ingénieurs chez Airbus ou Véolia pour mettre au point un prototype qui mis à l’eau en 2018 a réussi des tests grandeur nature au pied du pont de l’île de Ré.
Reconnus par une dizaine de prix internationaux comme celui de l’excellence décerné en 2019 par la Commission européenne dans le cadre du programme "Horizon 2020 Instrument PME", le projet Hace est aujourd’hui au point mort. La start-up a organisé une levée de fonds, mais elle ne parvient pas à boucler son budget pour passer à la prochaine étape. Il lui manque deux millions d’euros pour fabriquer un démonstrateur pré-industriel.
De l'hydrogène vert produit grâce à la force des vagues : le reportage d'Annabelle Grelier.
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Un potentiel immense
Persuadé du potentiel immense de sa technologie, il n’est pas question pour lui d’abandonner. Pour continuer à porter cette innovation, Jean-Luc Stanek a hypothéqué sa maison et ne se verse quasiment plus de salaire. Si ce n’est en France, c’est à l’étranger qu’il ira la développer. Il a d’ailleurs reçu des marques d’intérêt de plusieurs pays comme l’Afrique du sud, le Maroc ou encore Madagascar.
Hace attire l’attention et il n’est pas le seul à travailler sur la force de la houle, de nombreux systèmes houlomoteurs sont aujourd’hui à l’étude. Mais quand la plupart d’entre eux doivent aller chercher au large les plus fortes vagues, Hace peut produire de l’électricité avec les petites vagues de faible amplitude. Le système inventé par Jean-Luc Stanek peut ainsi être installé non loin des côtes et même sur un lac. Autre avantage, il est modulable et se compose d’une série de caissons assemblés entre eux dont le nombre peut varier selon la puissance souhaitée, entre 10 et 200 kW.
Aujourd’hui on peut prouver qu’on produit l’énergie la moins chère de la planète, moins de deux centimes d’euros du Kwh, la plus décarbonée à 0,5 grammes, c’est 20 fois moins que le nucléaire ou l’éolien. C’est aussi la plus stable : des petites vagues, il y en a tout le temps et les vagues sont plus fortes le soir et en hiver donc en parité avec la consommation des ménages. Elle est parfaite pour produire de l’hydrogène et de l’eau douce. Parfaite donc pour répondre aux besoins de base de l’humanité !
Jean-Luc Stanek
Et le fondateur de Hace de citer d’autres avantages de son invention : il protège également les côtes de l’érosion car "il déphase le mouvement des orbitales des molécules d’eau dans les vagues qui créent le jet de rive qui détruit le trait côtier" nous explique Jean-Luc Stanek qui n’en est pas à sa première démonstration.
Encore récemment, il est allé lui-même expliquer aux élus bretons le fonctionnement de la turbine à la demande du Comité des pêches des Côtes d’Armor qui s’oppose au projet d ’éoliennes off-shore au large de Saint-Brieuc. Les pêcheurs ne voient que des avantages au parc flottant Hace qui ne nécessite aucun forage puisque il est stabilisé avec des ancres, il ne génère pas de bruit ni de rejet.
Pas sur la liste du ministère de la Transition écologique
Les énergies de la mer dans leur ensemble, vagues, marées et courants marins sont sous-exploitées dans le monde. Pourtant, selon les estimations, elles pourraient produire assez d’énergie pour couvrir largement les besoins de l’humanité.
Pour Marc Lafosse, le président de la commission Energie Marine au Syndicat des Energies Renouvelables :
L’énergie houlomotrice est indéniablement une filière d’avenir. Son potentiel est énorme sans doute bien plus important que l’éolien off-shore mais elle sort à peine du laboratoire et n’a pas encore trouvé son modèle économique.
La technologie houlomotrice n’aurait pas, comme on dit, atteint sa maturité. D’ailleurs, les hauts fonctionnaires de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) qui dépend du ministère de la Transition écologique n’ont pas cru bon d’inscrire dans la programmation pluriannuelle de l’Energie, la PPE qui court de 2028 à 2033. Exclue de la feuille de route de l’Etat français pour le développement des énergies renouvelables, l’énergie houlomotrice aura bien du mal à trouver des financements pour se faire un avenir sur notre territoire.
Pourtant des projets existent partout dans le monde assure Marc Lafosse. En Europe, l’Ecosse, le Danemark et le Portugal sont particulièrement en pointe mais les Etats-Unis et la Chine ne sont pas en reste et consacrent d’énormes budgets pour déployer des projets pilotes. Pas moins de 350 brevets ont été déposés dans le monde rien que sur la technologie houlomotrice.
C’est dire si la course aux énergies marines est lancée à travers différents coins de la planète. En France, quelques projets pilotes existent : une ferme d’expérimentation houlomotrice en baie d’Audierne en Bretagne, le site européen d’essai en mer au large du Croizic, le Sem-Rev de Centrale Nantes. La région Nouvelle Aquitaine est aussi particulièrement dynamique sur le sujet puisqu’elle est en train de "dérisquer" une zone marine de 200 hectares au sud des Landes pour y faire à terme, le plus grand site de production en France.
Si, à l’heure actuelle les énergies marines ont encore un rôle mineur dans la transition énergétique, les efforts de développement de tous ces pionniers et les aides accordées par certaines régions ou certains Etats font entrevoir un décollage des technologies dans les prochaines années.
La question est de savoir si la France sera capable de retenir ses talents ou si elle ratera le train comme avec l’éolien off-shore posé. La puissance publique porte une grande responsabilité dans la réussite d’une filière qui doit pouvoir industrialiser pour diminuer ses coûts. Les hauts fonctionnaires du ministère de la Transition écologique changeront-ils d’avis sur l’énergie houlomotrice ? Réponse en 2023, date prévue de la prochaine revoyure du plan de programmation de l’énergie.