
1996 | Analyse critique de la conception du totalitarisme selon Hannah Arendt. Claude Lefort, philosophe qui a notamment réfléchi sur le totalitarisme, remet en cause la distinction d'Arendt entre le social et le politique, rejetant ainsi les termes d'"atomisation de la société".
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Hannah Arendt, entre politique et philosophie
30 min
Atomisation de la société ou corps social ?
Si nous devions garder qu'un seul critère du système totalitaire, ne faudrait-il pas le définir comme étant le seul système qui "dénie, rejette, la division interne et sociale sous toutes ses formes" ? C'est ce que pense Claude Lefort, à l'inverse de la conception d'"atomisation de la société" d'Hannah Arendt qui pense la société de façon éclatée et marquée du sceau de l'individualisme.
Arendt considère que dès avant la montée de Hitler, la société allemande connaissait un processus de décomposition, d'atomisation, dislocation de la structure de classe, dislocation des organisations représentatives. Claude Lefort
Elle considère que cette société était déjà une société d'individus. Une société effectivement, atomisée par la bourgeoisie, par la compétition, l'individualisme. Et que le nazisme n'a connu son succès, que précisément en mobilisant les masses et en même temps en poursuivant ce processus de massification qui est aussi un processus d'atomisation, tels que les liens sociaux entre les uns et les autres sont brisés. Claude Lefort
Je crois qu'elle sous-estime, non qu'elle l'ignore, mais elle sous-estime ce qui constitue à mes yeux au contraire un des traits les plus caractéristique du fascisme comme du communisme, c'est la tentative de créer dans l'étendue sociale des espèces de corps dans lesquels les individus sont soudés. [...] le nazisme fabrique des collectifs et le plus grand collectif c'est le parti. Claude Lefort
Il y a une espèce de soudure qui s'opère entre ceux qui défendent ici et là le mouvement. Ce phénomène d'incorporation il est fondamental pour comprendre ce qu'est le "nous" communiste, tel que le "je" en vienne à abdiquer sa faculté de juger. Claude Lefort
Totalitarisme et démocratie
Par-delà le totalitarisme, Hannah Arendt a aussi et surtout pensé le politique, et alors qu'elle rejetait toute forme de téléologie dans l'histoire de l'humanité, Claude Lefort cherche quant à lui à déceler un sens dans les manifestations historiques de la condition proprement humaine. Mais alors comment interpréter son discours sur la naissance de la république aux Etats-Unis, et sur celle des institutions, sans pour autant contredire à sa conception de l'histoire ?
Je ne pense pas que le totalitarisme ne soit né de rien ; il est né dans un monde effectivement dont le modèle dominant était la démocratie. Il n'y a aucun doute que le totalitarisme ne se conçoit que sur le fond d'un processus de démocratisation mais qu'il est par excellence une révolution anti-démocratique. Claude Lefort
Je crois que Arendt se trompe lorsqu'elle parle du déchaînement de l'individualisme qui va nourrir le totalitarisme. En ce qui concerne la Russie, je crois que cet argument ne tient pas. Claude Lefort
Elle a toujours récusé la notion de causalité telle qu'en use les historiens. Elle l'a récusé très intelligemment en disant qu'il n'y a pas d'événement qui puisse se déduire d'un autre événement, qu'il n'y a pas de continuité dans l'histoire qu'on puisse restituer à partir d'enchaînement de causalité. Et elle a, d'autre part, toujours récusé la philosophie de l'histoire, c'est-à-dire cette fois non pas l'idée de la causalité mais l'idée de la téléologie - que l'histoire marcherait vers une fin. Claude Lefort
Emission
- Hannah Arendt, entre politique et philosophie : reconstruction d'un outil philos
- Les chemins de la connaissance
- Date de 1re diffusion : jeudi 05/12/1996
- Réalisateur : Bossuet Michel
- Producteur : Bydlowski Michel
- Intervenant : Lefort Claude