Arnaud Laporte présente son coup de cœur théâtral de la semaine : Hélas, la dernière pièce de Nicole Genovese. L'absurde se met à table au cours d'un repas de famille totalement déjanté.
Il y a cinq ans, nous avions parlé d’une précédente pièce de Nicole Genovese, Ciel mon placard !, et j’avais dit mon goût pour ce spectacle, qui se donnait pour ce qu’il était : une revisitation délirante du boulevard. Le spectacle a d’ailleurs tourné pendant 4 ans.
Avec Hélas, créé il y a tout juste un an au Carré Colonnes à Blanquefort, j’ai retrouvé la finesse de l’écriture, et un sens de la réplique inattendue, mais Nicole Genovese a passé un cap supplémentaire dans l’absurde, ce qui a tout pour me réjouir.
Les personnages entrent au fur et à mesure dans un salon typique de la classe moyenne des années 80, car c’est l’heure du dîner, que l’on va manger en regardant comme chaque soir “Des chiffres et des lettres” à la télé. Il y a le père, la mère, la fille, le fils, et l’oncle. Les répliques fusent, quotidiennes, banales. Noir. Et la même scène va se rejouer, à l’identique. Seul l’énoncé du menu change. Noir. La même scène se rejoue, à l’identique. Seul l’énoncé du menu change. Noir. Et ça commence à dérailler, avec l'apparition sur le côté de la scène d’un personnage qui va remercier tous les partenaires du spectacle, litanie irrésistible de drôlerie dans sa presque véracité. Dans cet inventaire à la Prévert, on retrouve en effet tous les éléments de langage concernant le théâtre comme vecteur d’intégration sociale. Ça dure très longtemps. Sur le plateau, la famille est un peu décontenancée par cette apparition.
La scène du dîner finira par reprendre, et se rejouer, mais tout va dérailler de plus en plus. Je ne décrirai pas plus, pour ne pas divulgâcher, bien sûr, mais il me faut préciser plusieurs choses.
Des interprétations drôles et délicates
D’abord dire qu’il y a une troupe d’acteurs formidables, dont plusieurs étaient déjà présents dans Ciel mon placard! comme l’auteure elle-même, Nicole Genovese, qui joue ici cette élue à la culture semeuse de désordre, Adrienne Winling, qui joue la fille, ou le merveilleux Sébastien Chassagne, que l’on a adoré dans la série de Frédéric Rosset, Irresponsable, (ouvrons la parenthèse : la troisième et dernière saison est sortie cet hiver sur OCS. Elle est d’une très grande finesse, d’une très grande qualité d’écriture et d’interprétation, très drôle, mais aussi très émouvante. Fermons la parenthèse).
Pour Hélas, il me faut citer les autres interprètes, car elles et ils sont toutes et tous pour beaucoup dans la réussite du spectacle, qui nécessite un sens du timing parfait, et une interprétation riche de nuances. En plus de ceux déjà cités, saluons donc André Antébi, Nathalie Pagnac et Bruno Roubicek. Et saluons donc évidemment le travail de mise en scène et de direction d’acteurs de Claude Vanessa, qui avait déjà signé la création de Ciel mon placard! C’est le moment de révéler un secret de polichinelle : Claude Vanessa, c’est Nicole Genovese.
Sous couvert d’absurde, elle nous parle de nos vies, des rapports au sein d’une famille, mais aussi du théâtre, de la création, des mécanismes du théâtre subventionné. Sous l’absurde, le réel, et vice-versa. En ce sens, la fin du spectacle, comme un rituel, atteint des sommets dans le questionnement proposé au spectateur.
Merci pour “Hélas!”
- Hélas, au Théâtre de la Tempête, du 10 janvier au 9 février 2020.
- Tournée : le 10 avril au Théâtre de Pertuis // le 15 avril au Parvis, Scène nationale de Tarbes.