Hubert Reeves : "Pour garder la planète habitable, la situation est grave. Pas désespérée"

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Hubert Reeves : "Pour garder la planète habitable, la situation est grave. Pas désespérée"

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Pour Hubert Reeves, nous devons désormais "réfléchir à tout ce qu'apporte une vie simple". Avec toujours en tête pour nos choix à venir : "Qu'est-ce que cela va donner dans quelques décennies ?" Photo en février 2016, à la "Folle Journée de Nantes".
Pour Hubert Reeves, nous devons désormais "réfléchir à tout ce qu'apporte une vie simple". Avec toujours en tête pour nos choix à venir : "Qu'est-ce que cela va donner dans quelques décennies ?" Photo en février 2016, à la "Folle Journée de Nantes".
© AFP - Loïc Venance

Entretien. Le célèbre astrophysicien, écologiste de la première heure, garde espoir pour notre avenir. Mais il s'inquiète de notre quête de profit et d'une crise générale qui passe aussi par la sixième extinction de masse, la perte récente de biodiversité due aux activités humaines.

Inlassable vulgarisateur scientifique, auteur à succès et voix respectée, Hubert Reeves observe avec attention cette situation inédite où plus de trois milliards de personnes se retrouvent confinées. Et l'astrophysicien et écologiste militant a répondu de bonne grâce à nos questions sur notre avenir dans le cadre d' un "Hashtag" intitulé "Imagine demain". Celui qui étudie depuis si longtemps le cosmos et la vie reste optimiste, notamment grâce aux mobilisations de jeunes qui ont lieu dans le monde entier, mais il met en garde au sujet de notre quête sans fin du profit et espère de chacun "une dynamique de combat".

Par rapport à la crise que nous traversons, quelles sont selon vous les priorités absolues pour demain ? 

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Vous parlez de la crise, ce n'est pas simplement la crise du coronavirus mais la crise générale. La sixième extinction.

Le plus grand problème que nous rencontrons est de garder la planète habitable. Personne ne connaît l'avenir, mais il est possible que l'humanité puisse disparaître de la planète. Cela n'est pas certain, pas du tout. D'ailleurs, je ne crois absolument pas aux prédictions de quelque ordre que ce soit. Et peut être que cette crise du coronavirus nous a donné un exemple, parce que vous le savez bien, récemment encore, personne n'aurait pu deviner ce changement total de nos vies, amené comme quelque chose de nouveau, de global. Sauf quelques personnes qui ont parlé de ce danger. 

L'important est de dire que l'avenir est inconnu et il faut l'organiser. Mais notre principal but doit être de garder la planète habitable, que la planète soit encore habitable et agréable dans quelques décennies et plus tard. Selon moi, c'est la chose la plus fantastique, la plus importante. 

"Un but : garder la planète habitable", pour Hubert Reeves

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Avec quels maux ?

On peut dire que le profit et la sécurité ne font pas bon ménage. C'est pour cette raison que nous avons des problèmes aujourd'hui. Nous avons penché régulièrement davantage du côté du profit. Les Japonais par exemple, qui sont des gens d'une culture scientifique très avancée, ont installé dans un endroit parmi les plus actifs de la planète des réacteurs avec des murs de protection de 6 mètres. Alors que les tsunamis, on le sait, peuvent entraîner des vagues de 30 mètres ! On se demande comment ces gens ont pu prendre une telle décision. La réponse est simple : le profit et la sécurité ne font pas bon ménage. C'est justement le point le plus important à mettre en évidence aujourd'hui. Si nous continuons à favoriser le profit par rapport à la sécurité, nous allons droit dans le mur. Il faut prendre nos distances avec cette quête qui fait que nous nous menaçons nous-mêmes.

Et pour cette crise du coronavirus, évidemment, l'Etat ne l'a pas causée. C'est un virus. Mais cette crise aggrave nos problèmes écologiques. 

Vous prônez un retour à la simplicité ?

Nous devons effectivement réfléchir à tout ce qu'apporte une vie simple.

Si on veut essayer de dire comment il faudrait réorganiser notre vie, notre mode de fonctionnement, notre mode de travail, je pense que ce doit toujours être avec cette phrase en tête : "Qu'est-ce que cela va donner dans quelques décennies ? Allons-nous arriver à ne pas rendre notre planète inhabitable ? 

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Et comment faire en sorte alors que notre sécurité sanitaire alimentaire soit garantie ?

C'est toujours au cas par cas. On ne peut pas le dire d'une façon générale. Chaque problème possède sa propre version de cela. Par exemple, un problème est clair aujourd'hui : l'énergie. Nous n'en aurons pas pour très longtemps. Nous allons être obligés de vivre dans une certaine austérité.  

Même sans prédictions précises sur la forme que cela va prendre, il est évident que nous allons y arriver puisque aujourd'hui, on ne peut plus continuer avec le charbon à cause du carbone, du réchauffement climatique. Le nucléaire, je crois que ce n'est pas une bonne idée, il faut s'en débarrasser et le plus vite possible. Mais cela se discute, j'ai des collègues qui ne sont pas d'accord avec moi à ce propos. Je ne dis pas de fermer tous les réacteurs, mais au moins de prévoir déjà. 

La seule énergie possible à l'échelle de la planète qui n'est pas dangereuse est évidemment l'énergie solaire et évidemment, les éoliennes. Ce sont des choses comme cela qu'il faut garder en tête quand on prend des décisions pour l'avenir et pour réorganiser le monde après ce confinement. Car il est évident que cela va apporter des changements majeurs. 

Nous sommes en train d'aller dans le mur, le coronavirus nous en a apporté la preuve et donc, comment réorganiser notre société ? Nous sommes très puissants, nous avons des arsenaux nucléaires fantastiques qui nous menacent. Par quoi sommes-nous menacés ? Par nos propres inventions, nos propres travaux, nos propres déforestations. C'est dans tous les journaux. 

Avoir encore la force de se battre ?

Il faut prendre une attitude dynamique. Je ne crois pas du tout à l'idée du défaitisme, de dire que c'est foutu. Il est surtout important que l'on se rende compte que la situation est grave mais elle n'est pas désespérée. A condition que l'on se réveille et que nous prenions des décisions claires et nettes, toujours avec pour but de garder la planète habitable.

Une forme de COP 21 du coronavirus est-elle nécessaire pour penser et mettre en place l'après ? Ou faudrait-il créer une nouvelle instance ?

Je crois que l'on sait tout ce qu'il y a à savoir. Je ne sais pas ce que donnerait une conférence qui serait simplement un relevé de la situation. Le problème, l'important est déjà d'amener différents pays comme les Etats-Unis,, le Brésil, ou la Russie à avoir, à regarder ce qui vient de se passer, à regarder quel pourrait être notre avenir et à être actif ! Quand vous voyez, par exemple, les Etats-Unis qui se retirent de la conférence de Paris, une nouvelle conférence, je ne vois pas avec assurance que ce sera mieux.  

L'important est de faire prendre conscience de la gravité du problème et surtout d'avoir des gens dynamiques qui s'impliquent. Si nous avons une responsabilité sur Terre aujourd'hui, c'est précisément celle-là. D'une part, il y a la vie qui est une merveille, le corps humain qui est une merveille, nous avons tout ce qu'il faut. Le problème est que nous n'arrivons pas à rendre ces éléments prioritaires et nous sommes pour cette raison menacés. 

Mais vous êtes optimiste ?

Si je vois cela assez simplement, je ne suis pas sûr d'être optimiste pour l'avenir. Je pense que la situation n'est pas déterminée, l'avenir est encore ouvert, mais le temps presse et il faut s'en occuper très vite. Et il nous faut surtout avoir une dynamique de combat. 

Un véritable combat existe actuellement entre deux grandes forces. Une force de détérioration qui se poursuit, on le sait maintenant, et une phase de restauration extrêmement active. Avec tous les mouvements écologistes, tous les projets que l'on observe un peu partout, il y a un éveil fantastique du côté de la sauvegarde, du côté des enfants, qui est particulièrement intéressant justement. J'aime beaucoup cette petite Suédoise qui fait beaucoup parler d'elle (Greta Thunberg, NDLR). Eh bien, c'est ça qui cela. C'est à ce niveau que c'est déterminant. Combattre pour arriver à convaincre les différentes personnes qui ont autorité. Mais sans forcer car forcer n'aboutit jamais. 

Cela passe forcément, selon vous, par des mobilisations citoyennes à travers le monde, des fédérations d'énergies pour contraindre le monde financier et le capitalisme à prendre en compte avant ses valeurs l'humain et la sauvegarde de la planète ?

Exactement. Et il est intéressant de voir que sur ce plan, les motivations, les mouvements, la restauration est très importante. Par exemple, la baleine à bosse était menacée de disparition. On vient de la sortir de la liste des animaux en danger. Il y a beaucoup de cas comme ça. 

Il y a beaucoup d'initiatives également concernant les banques, l'argent. Aux Etats-Unis, des universités s'unissent pour amener les banquiers à ne plus prêter d'argent aux structures qui font du forage de pétrole, de charbon, par exemple. On sait aujourd'hui qu'il faut arrêter d'exploiter le charbon restant sur la planète. Si on extrait tout le pétrole et le charbon, on a une augmentation de 7 ou 8 degrés. C'est une température ingérable, et il faut présenter des objectifs très visibles comme celui-ci. 

Je compare cela à la situation de 1940, quand Hitler menaçait de répandre la brutalité sur toute l'Europe. Un homme, que j'admire particulièrement, Winston Churchill, a appelé à cette attitude combative alors que l'Angleterre était en train de céder au chantage d'Hitler. Churchill a dit non, non. Aujourd'hui, nous devons faire de même pour ne pas laisser cette planète devenir inhabitable. 

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