Huiles essentielles : la nature à l’état pur que l’Union européenne pourrait classer dangereuse

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Huiles essentielles : la nature à l’état pur que l’Union européenne pourrait classer dangereuse

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Alain Aubanel, président de l'union des producteurs de plantes à parfums, aromatiques et médicinales de France
Alain Aubanel, président de l'union des producteurs de plantes à parfums, aromatiques et médicinales de France
© Radio France - Annabelle Grelier

Demain l'éco. Une nouvelle réglementation à l’étude dans le Pacte Vert européen menace les producteurs de lavande français. Sans égard pour les produits naturels, ils pourraient se voir contraints de changer la formulation de leurs huiles essentielles, au risque de perdre leurs vertus thérapeutiques.

La filière huiles essentielles française se porte bien. Même si la Bulgarie lui dispute depuis quelques années la place de premier producteur mondial, la production française reste la référence en termes de qualité et de traçabilité pour les grands noms de la parfumerie, de l’aromathérapie et de la pharmacie. Elle est d’ailleurs la seule à posséder son AOP. La lavande est cultivée dans l’hexagone aujourd’hui sur plus de 5 000 hectares et 20 000 hectares pour son hybride naturel le lavandin obtenu par pollinisation croisée de deux variétés, la lavande fine et la lavande aspic. Des surfaces qui reprennent chaque année un peu plus d’ampleur avec une augmentation des surfaces de 47 % en dix ans. Si le terroir originel de la lavande reste principalement la Drôme, le Vaucluse et les Alpes-de Haute-Provence, avec le changement climatique, sa culture s’étend au-delà des régions traditionnelles, en Ardèche, dans le Quercy, en région parisienne ou bien encore dans les Hauts-de-France. 

25 000 hectares de lavande et lavandin sont cultivés en France principalement dans les Alpes de Haute Provence, le Vaucluse et la Drôme comme ici au pied du Vercors
25 000 hectares de lavande et lavandin sont cultivés en France principalement dans les Alpes de Haute Provence, le Vaucluse et la Drôme comme ici au pied du Vercors
© Radio France - Annabelle Grelier

La lavande est à l’origine une plante qui a besoin de froid l’hiver, de chaud l’été, d’un sol presque aride et d’altitude. On la trouve à l’état sauvage dans les montagnes sèches du sud de la France de 600 à 2 000 mètres d’altitude. Dans les champs, la lavande cultivée dite "fine de population" est issue du semis de Lavandula augustifolia. Cependant, de la qualité du terroir dépend la qualité de la plante qui donnera des huiles essentielles d’exception. À cela s’ajoute le savoir-faire de l’agriculteur. Alain Aubanel, le président de l’union des producteurs de Plantes à Parfum, Aromatiques et Médicinales de France ( PPAM), a coutume de dire que la lavande est une culture qui rend bien ce qu’on lui a donné.

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Il faut le bon terroir, la bonne variété, la bonne exposition au soleil mais cela ne suffit pas. Le travail dans les lavandes c’est toute l’année. La plantation commence en mars avril, il y a tout le travail dans les champs, le binage, le désherbage, l’épandage du compost. La lavande est une culture qui doit être propre, elle ne supporte pas la concurrence avec une autre plante. Il faut savoir aussi la récolter à bonne maturité, presqu’au jour prêt.

La lavande est donc exigeante mais elle est aussi précieuse. La lavande fine de population au parfum unique a l’un des plus faibles rendements de toutes les variétés de lavande avec 15 kg par hectare, c’est une spécificité française quand la Bulgarie, l’Ukraine ou la Chine cultivent des lavandes clonales tandis qu’en Espagne on cultive la lavande aspic qui contient 30% de camphre et rend son parfum piquant et poivré au nez.

Dans les champs de lavande au pied du Vercors, à Chamaloc, dans la Drôme, le reportage d'Annabelle Grelier

3 min

De la chimie naturelle

Pilier de l’aromathérapie, les huiles essentielles sont largement utilisées dans la parfumerie, la cosmétique, la pharmacie, l’agro-alimentaire et l’industrie des produits d’hygiène et ménagers. Sous l’influence des consommateurs de plus en plus en demande de produits naturels, le marché est en croissance continue depuis plus de dix ans au point que la production mondiale ne suit pas et nombre de pays émergents se sont lancés dans l’aventure. Le Brésil est aujourd’hui le plus gros producteur d’huiles essentielles d’orange, l’Inde pour la menthe, la Chine pour l’eucalyptus, la Turquie pour la rose. La France garde sa spécificité et son excellence sur la lavande et le lavandin où plus de 140 000 tonnes ont été produites en 2021.

La lavande se récolte à partir de la fin juillet jusqu'à la mi août dans le sud de la France
La lavande se récolte à partir de la fin juillet jusqu'à la mi août dans le sud de la France
© Radio France - Annabelle Grelier

A la distillerie des 4 vallées à Chamaloc dans la Drôme, chez les Aubanel on cultive et distille la lavande depuis 4 générations. L’exploitation de 30  hectares s’est inscrite  dans une démarche de développement durable mise en place par toute la filière qui s’engage à ne pas utiliser de pesticide ni d’engrais pétrochimique. Ses 3 tonnes de production annuelle sont d’une telle qualité qu’elles sont écoulées seulement en vente directe et sur internet. Une qualité exigée parmi les 2 500 producteurs de lavande de la filière française.

On peut avoir la meilleure lavande du monde si elle est mal distillée on peut tout casser. Comme le vin,  l’huile essentielle est le produit d’un processus long de nombreuses étapes qui doivent être conduites à la perfection pour nous permettre de nous démarquer du reste du monde.

Dans la fabrication des huiles essentielles, il n’y a rien de chimique ni aucune manipulation. La transformation des plantes en huiles essentielles est obtenue par le  phénomène simple de distillation. L’essence des plantes est extraite à la vapeur d’eau dans un alambic. Le mélange gazeux est ensuite condensé dans un serpentin entouré d’eau froide. Devenu liquide, il se déverse dans un essencier où il décante. L’huile des plantes, non miscible dans l’eau et plus légère surnage pour devenir ce qu’on appelle l’huile essentielle tandis que l’eau de la distillation au fond de la cuve devient l’hydrolat ou encore eau florale.

Remplissage des cuves avant distillation à la distillerie des 4 vallées à Chamaloc dans la Drôme
Remplissage des cuves avant distillation à la distillerie des 4 vallées à Chamaloc dans la Drôme
© Radio France

Dans le département comme la Drôme il y a cent ans il y avait plus de 1 000 alambics, aujourd’hui il n’en reste plus que 30 déplore le président de la PPAM. La profession a pâti de l’invasion de la cicadelle, un insecte qui arrive avec les climats secs et qui avait particulièrement proliféré pendant les épisodes caniculaires de 2002 et 2003 décimant plus de 50% des cultures rappelle Alain Aubanel.

Aujourd’hui les producteurs ont appris à vivre avec la cicadelle, grâce à une sélection plus rigoureuse des plants, l’enherbement entre les rangs et si besoin de la pulvérisation de substances naturelles comme l’argile blanche kaolinite qui part avec la pluie. Les producteurs de lavande prennent grand soin de leur culture et ne ménagent pas leur peine pour mériter leur réputation de meilleures huiles essentielles de lavande au monde.

De 2014 à 2016, ils ont su collaborer au programme REACH de l’Union européenne sur la traçabilité et les tests de toxicité de leurs produits sur l’environnement et la santé. Un long travail avait été mené avec la Commission européenne et l’Agence européenne des produits chimiques pour élaborer des lignes directrices spécifiques pour les huiles essentielles. Des études qui ont coûté près de 10 000 euros en moyenne pour chaque producteur de la filière. Seulement 3 ans après l’enregistrement des derniers dossiers REACH, cette nouvelle réglementation aujourd’hui dans les cartons de Bruxelles n’est forcément pas vue d’un bon œil. 

Pour certaines régions sèches de Provence et le Vercors avec le réchauffement climatique qui est à l’œuvre rien d’autre ne poussera que la lavande et nous craignons qu’une nouvelle réglementation signe la fin de cette culture traditionnelle qui fait partie de notre patrimoine ancestral.

Réglementation qui de plus ne se justifie pas pour les produits naturels comme les huiles essentielles de lavande et lavandin françaises estime aujourd’hui la profession qui veut faire bouger les lignes de la commission européenne afin qu’elle change son approche pour éviter l’amalgame avec les composés chimiques de synthèse. Car cette réglementation estime-t-elle mettrait non seulement en péril tout un pan de l’économie locale mais aussi l’utilisation même des huiles essentielles. Car si certaines molécules des plantes devaient être soustraites ou remplacées par des produits de synthèse manipulés en laboratoire, elles perdraient les vertus thérapeutiques qu’on leur prête.

Pour une qualité optimale d'huile essentielle, la lavande doit être récoltée quand le brin est fleuri à plus de deux tiers
Pour une qualité optimale d'huile essentielle, la lavande doit être récoltée quand le brin est fleuri à plus de deux tiers
© Radio France - Annabelle Grelier

Les propriétés apaisantes et désinfectantes de la lavande sont ancrées dans la culture populaire provençale et l’aromathérapie n’est pas qu’une mode, elle existait bien avant les médicaments et la chimie. Sauge, romarin, thym, pin sylvestre et tant d’autres ont toujours été utilisés pour leurs bienfaits sur notre santé que ce soit en décoction, infusion ou distillation. Bien sûr qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec les huiles essentielles mais les producteurs et distillateurs réclament des mesures adaptées à leurs produits qui garantissent la sécurité des consommateurs et la protection de l’environnement sans dénaturer leurs produits. 

Objectif Zéro produit toxique en Europe

Le projet a été lancé en décembre 2019 lorsque la Commission européenne a adopté la stratégie de l’Union européenne pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques "vers un environnement exempt de substances toxiques". Il vise "spécifiquement à interdire les substances chimiques les plus nocives présentes dans des produits de consommation". Jouets, cosmétiques, textiles, denrées alimentaires sont par exemple concernés.

Ce n’est pas le Pacte Vert qui est combattu par les producteurs de lavande bien au contraire affirme Alain Aubanel mais la classification ne fera aucune distinction pour les huiles essentielles. Parce que la fleur est une produit agricole qui subit une transformation pour Bruxelles les huiles essentielles sont classées produits industriels et les représentants de la Commission refusent pour des raisons de classification de reconnaître les huiles essentielles comme composant unique.

Ils vont raisonner molécule par molécule. Mais dans la lavande, Il y a plus de 600 molécules identifiées ! La première c’est le linalol. 95% du linalol que l’on trouve dans le monde est du linalol de synthèse, il s’oxyde vite et devient allergène mais le linalol que l’on trouve à l’état naturel dans la lavande ne s’oxyde jamais parce qu’il est protégé par les 500 ou 600 autres molécules de la plante. Pour eux, c’est aujourd’hui la même chose, c’est faux et on ne peut l’accepter !

L’inquiétude est d’autant plus grande pour les producteurs de lavande que la Commission européenne souhaite en effet une classification selon des critères de nocivité : allergènes, mutagènes, cancérigènes, reprotoxiques, en tenant compte de l’effet cocktail de certains assemblages. Pour ne pas avoir à évaluer chaque produit, elle raisonnerait molécule par molécule jusqu’à les faire disparaître des compositions. 

Le risque de voir les huiles essentielles figurer sur la liste noire des produits étiquetés de pictogrammes dissuasifs et anxiogènes est réel pour les producteurs français qui ont eu accès aux documents de travail de la Commission. Il n’en fallait pas plus à la PPAM pour partir en croisade et interpeller les élus locaux.

Une délégation d'élus locaux menée par le président de la région sud Renaud Muselier en visite aux producteurs de lavande à la coopérative de Puimoisson, le 26 août 2021
Une délégation d'élus locaux menée par le président de la région sud Renaud Muselier en visite aux producteurs de lavande à la coopérative de Puimoisson, le 26 août 2021
- Regis Cintas Flores

Le président Les Républicains de la Région Sud, Provence Alpes Côte d’Azur, Renaud Muselier a tout de suite manifesté son soutien à une filière dont il connait le poids économique pour sa région. Sur le seul secteur lavande lavandin, la filière génère plus de 9 000 emplois directs et 17 000 indirects à travers la production d’huiles essentielles, de miel et de l’activité touristique.

Les champs de lavande ne sont pas qu’une carte postale qui fait l’identité de la Provence. Cette filière est un atout majeur de l’aménagement du territoire principalement parce qu’elle est implantée dans des zones défavorisées qui offrent peu d’alternatives agricoles et je connais l’engagement sans faille de nos producteurs dans la transition écologique et environnementale.

Des convictions que Renaud Muselier s'est engagé à faire connaître au gouvernement et aux représentants de la Commission européenne qu’il rencontrera à l’automne.

L’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi, qui habite la Drôme, connait tout aussi bien la réalité des producteurs de lavande et huiles essentielles ayant travaillé avec eux sur le programme REACH mais elle connait aussi les représentants de la Commission et la nécessité de poser des limites à certaines pratiques industrielles dont on connait les dangers sur la santé des consommateurs. Pour les huiles essentielles comme tous les produits naturels, une discussion s’impose à Bruxelles assure-t-elle.

Il s’agira de trouver une solution qui ne dissuade pas les consommateurs d’utiliser les produits naturels. Un pictogramme spécifique par exemple qui puisse valoriser ces produits tout en informant sur les risques allergènes.

Faire la différence entre risque et danger, c’est bien tout l’enjeu du combat des producteurs de lavande qui ont lancé en juillet dernier auprès du public une pétition ayant déjà recueilli 150 000 signatures. Des producteurs pour qui il n’est pas question d’attendre la proposition législative prévue fin 2022 pour une mise en application de cette loi en 2025.