Pour Ibn Khaldûn, l'État est un processus contradictoire, construit par une violence organisée, que son fonctionnement l'amène cependant à affaiblir, puis anéantir. Six siècles après sa mort, Ibn Khaldûn est plus que jamais d'actualité pour comprendre l'histoire de l'islam et le destin des empires.
A partir de la théorie d’Ibn Khaldûn, Gabriel Martinez-Gros construit un objet à partir duquel il approche la notion d’Empire à travers ses manifestations historiques, tant en Occident qu’en Orient, depuis l’époque antique jusqu’au XIXe siècle. Ainsi la machine proposée à partir de ce qu’a pu théoriser l’historien médiéval fonctionne étonnamment ailleurs et à d’autres époques. Ce qu’Ibn Khaldûn a pensé à propos de l’histoire de l’islam et suite à ce qu’il a observé d’Afrique du Nord à l’Andalousie, s’applique aussi bien aux Perses antiques qu’aux Chinois, à Alexandre et à Rome, qu’aux Mongols et à l’Inde des Moghols comme des Britanniques.
L’émergence et la chute des empires s’expliquent par la dialectique de la guerre et de la paix, de la violence et de la solidarité telle qu’elle a été théorisée par Ibn Khaldûn autour du concept de ‘açabiyya et de la dualité qui se distingue entre l’aire de la dissidence (blâd as-Sîba) et le territoire de l’État (blâd al-Makhzin). Ce schéma semble par contre inopérant à l’âge de la féodalité occidentale comme au temps des cités marchandes. Et il ne s’applique pas non plus à notre monde démocratique né de la révolution industrielle. Mais nombre de prémices semblent annoncer la pertinence d’un tel schéma pour notre futur. C’est en cela que cette pensée paraît des plus universelles, d’une portée équivalente à celle de Tocqueville ou de Marx.
Pour Ibn Khaldûn, l'État est un processus contradictoire, construit par une violence organisée, que son fonctionnement l'amène cependant à affaiblir, puis anéantir. C'est dans le monde "bédouin", où la violence des groupes est rendue nécessaire par le souci de se défendre et de survivre, que l'État va puiser la force nécessaire à son existence et à son maintien. Cette force fond au bout d'un certain temps au feu de la pacification étatique, et doit être renouvelée. Il existe donc une relation intime et délétère entre l'État et la tribu. L'une nourrit l'autre, et s'y engloutit.
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Un entretien enregistré en janvier 2016, dans le cadre du cycle "Le pouvoir politique et l’islam à travers l’histoire".
Gabriel Martinez-Gros, professeur d’histoire médiévale du monde musulman à l’Université Paris-10 (Nanterre La Défense), auteur notamment de Ibn Khaldûn et les sept vies de l’Islam (Le Sinbad, 2007) et de Brève Histoire des empires – Comment ils surgissent, comment ils s’effondrent (Le Seuil, 2014).