"Ice Memory" veut préserver la mémoire des glaciers

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"Ice Memory" veut préserver la mémoire des glaciers

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Le glacier Perito Moreno, dans le Parc national Los Glaciares, au sud de l'Argentine.
Le glacier Perito Moreno, dans le Parc national Los Glaciares, au sud de l'Argentine.
- Luca Galuzzi - CC BY-SA 2.5

L'Unesco va lancer le projet "Ice Memory", pour préserver des carottes de glace extraites de glaciers en danger en raison du changement climatique. Elles permettent de conserver une trace de l'histoire de la planète, comme l'avait imaginé il y a 50 ans le célèbre glaciologue Claude Lorius.

Tout a commencé autour d’un verre de whisky. En 1965, Claude Lorius, alors chef d’expédition en Terre-Adélie en Antarctique, observe les glaçons qui fondent dans son verre. C’est en voyant une bulle d’air s’échapper du petit bloc de glace qu’il a cette intuition : et si analyser cet air pouvait donner des informations sur l’atmosphère du passé ? Le scientifique a vu juste : son intuition révolutionnera la discipline de la glaciologie et la connaissance des paléoclimats.

Plus de cinquante ans plus tard, le réchauffement global conduisant à un recul des glaciers partout dans le monde, ces ressources sont en passe de disparaître. C’est la raison pour laquelle l’Unesco va lancer, ce mercredi 8 mars, le projet Ice Memory (“Mémoire de la glace”) au niveau international. Il vise à la création d’un sanctuaire mondial d’archives glaciaires, dont le but est de conserver en Antarctique des carottes de glace extraites de différents glaciers mis en danger par le réchauffement climatique.

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"Quand j’ai découvert il y a 50 ans qu’en analysant les glaces de l’Antarctique l’on pouvait reconstruire le climat de la Terre et la composition de l’atmosphère à partir des bulles d’air qu’elles contiennent, je n’imaginais pas alors la rapide et inéluctable disparition des glaciers qui se passe sous nos yeux.“ Claude Lorius

Initié en 2015, le projet, mené par des équipes scientifiques grenobloises, a déjà permis l’extraction de plusieurs carottes de glace de plus de 120 m de long dans les Alpes françaises et une seconde mission est d’ores et déjà à l’oeuvre sur le mont Illimani, en Bolivie. L’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, le Brésil, les États-Unis, la Russie, la Chine, le Népal ou encore le Canada se sont déjà manifestés pour s’inscrire dans le projet. Sa localisation en Antarctique doit assurer une gestion dévolue à l’ensemble de la communauté internationale, les revendications territoriales ayant été gelées dans cette zone.

Les carottes de glace ainsi obtenues doivent ensuite être transportées à la base franco-italienne Concordia, la seule base internationale sur le plateau antarctique, où elles seront stockées dans des conteneurs métalliques enterrés à une dizaine de mètres de profondeur. Là, la température avoisine les - 54°C et, malgré le changement climatique en cours, devrait rester largement en dessous de 0°C pendant encore plusieurs siècles.

Claude Lorius.
Claude Lorius.
- Capture d'écran de la bande annonce du film "La Glace et le ciel"

Pourquoi des carottes de glace ?

Si la préservation de ces carottes de glace revêt de l’importance, c’est parce qu’elles détiennent la mémoire de notre passé. Le changement climatique et le réchauffement qui en découlent risquent d’anéantir ces archives d’une lointaine époque : au plus profond des glaciers, la glace peut avoir plus de 20 000 ans et détenir en son sein quantités d’information, des éléments chimiques de l’époque à des traces biologiques comme des bactéries et virus, figés dans la glace. Lire les données de ces carottes de glace permet aux scientifiques de mieux saisir l’évolution de notre planète, sur le plan biologique comme climatique.

Invité en 2012 dans l’émission A voix nue, Claude Lorius, l'un des glaciologues les plus respectés au monde, s’était confié à Stéphane Deligeorges et racontait la “naissance” de cette discipline :

“La première découverte qu’on amène c’est que, quand on prend un échantillon [de glace] quelque part, quand on analyse le pourcentage des isotopes [...], on s’aperçoit que c’est un indicateur de la température moyenne du lieu où cette glace s’est formée. Là, tout à coup, ça nous ouvre un horizon parce qu’on a mesuré des épaisseurs de 2 mm, 3 mm. On sait qu’on va reconstituer le climat de la Terre. Et on en est remonté à près d’un million d’années maintenant…”

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La découverte, à l’époque, c’est le fait que le climat soit lié à la concentration de l’atmosphère en gaz carbonique, poursuivait-il dans le second volet de ces A voix nue. Les physiciens s’en doutaient depuis longtemps, mais personne n’avait jamais eu à la fois un enregistrement de la température et de la composition de l’atmosphère. Ça a été le miracle qu’on a trouvé dans les glaces.

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En 2012, Claude Lorius, pourtant incurable optimiste, s’inquiétait déjà des conséquences de l’influence de l’homme sur le climat, qui ont conduit à la naissance du projet "Ice Memory" : “La longue histoire, sur des milliards d'années, de la Terre, c’est l'histoire de la Terre sans hommes. Le problème que nous avons maintenant c’est que les changements que nous avons introduits touchent directement aux conditions de vie de l’homme et ne nous permettent pas de prévoir un développement qui soit durable. Il n’y a rien de durable dans ce que nous faisons : les ressources s’épuisent, les dégâts augmentent, et pour l’instant on a pas vraiment de solution.

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