
Il y a tout juste un siècle, le premier traitement à base d’insuline est administré à un être humain. Un enfant de 14 ans, ne pesan tplus que 29 kilos, est sauvé in extremis. Un siècle plus tard, l'insuline a sauvé des millions de personnes diabétiques.
Il y a 100 ans ce 11 janvier 2022, le premier traitement à base d’insuline était administré à un enfant atteint de diabète. Arrivé en urgence à l’hôpital de Toronto, ne pesant plus que 29 kilos à l’âge de 14 ans, Leonard Thompson est sauvé in extremis grâce à un traitement expérimental : l’insuline était née. Difficile de chiffrer, depuis, le nombre de vies sauvées par cette hormone qui semblait à l’époque miraculeuse : elles se chiffrent en millions, en plus de permettre aux personnes diabétiques de mener une vie quasi normale.
Le diabète, une maladie millénaire

Pourtant, si le traitement a à peine un siècle d’existence, le diabète est une maladie millénaire : on en retrouve les premières traces dès l’Antiquité égyptienne, au XVe siècle avant notre ère. Dans le Papyrus Ebers, dans la section Vases du Corps, un passage décrit ainsi un “trop plein d’urine qui s’échappe”, ce qui évoque les symptômes dont souffre une personne diabétique.
Pour rappel, chez les personnes atteintes du diabète, l’organisme échoue à réguler le taux de glucose présent dans le sang, car le pancréas ne secrète pas ou pas assez d’insuline, une hormone qui permet aux sucres d’être assimilés par les cellules du corps humain. Le glucose n’étant pas assimilé par le sang, le corps manque d’énergie et va la puiser dans les graisses, en même temps qu'il cherche à éliminer l'excès de sucre. L'organisme augmente donc l’activité des reins, provoquant ainsi chez les malades une soif intense et un besoin d’uriner très fréquent.
C’est d’ailleurs de ce symptôme que provient l’origine du mot “diabète”. Dans son article Le Diabète dans la médecine grecque ancienne, la professeure Françoise Skoda rappelle ainsi qu’à partir du IIe siècle, de nombreux médecins grecs notent des symptômes qui correspondent à cette pathologie. La maladie est surnommée “maladie de la soif”, mais c’est finalement le mot “diabète” qui passe dans le langage courant. En grec ancien “diabêtès” a pour signification “siphon”, au sens de “passer à travers”, et reflète ainsi l’idée que les fluides consommés par le patient diabétique traversent le corps sans changement, comme s'ils s'écoulaient à travers un siphon.
“Capables de décrire les symptômes de l'affection au point de lui donner des dénominations qui les traduisent, les médecins de l'Antiquité n'ont en revanche pas pu trouver les facteurs responsables du diabète”, rappelle Françoise Skoda. Ils ignorent, notamment, que les urines des malades sont plus sucrées que la normale.
Une compréhension tardive
Il manque en effet aux médecins de l’Antiquité des connaissances essentielles pour comprendre que le diabète est une affection chronique liée aux taux de glucose. Il faut attendre plusieurs siècles avant que le corps médical ne réalise que les urines des diabétiques sont trop sucrées. Si en Chine les médecins s’aperçoivent dès le VIIe siècle que les urines des patients atteints du xiāo kě (pour “soif inextinguible”) sont anormales, en Europe, il faut attendre le XVIIIe siècle pour que des chimistes isolent le sucre des urines et trouvent ainsi un début d’explication.
Ce n’est qu’en 1855 que le médecin Claude Bernard commence à comprendre les origines de la maladie, comme le rappelait le neuroendocrinologiste William Rostène, dans une émission de La Méthode Scientifique : “Le grand physiologiste français qu'était Claude Bernard a montré que le foie pouvait fabriquer un précurseur du glucose, qu'il a appelé le glycogène. [...] Ensuite, il y a eu cette grande découverte qu'ont fait deux chercheurs allemands à l'Université de Strasbourg. Oskar Minkowski et Joseph Von Mering, en 1889, ont réalisé une expérience : [...] ils ont montré que lorsque la glycémie augmentait, quand on greffait un pancréas chez un animal qui n'avait plus de pancréas, la glycémie diminuait”.
Ces découvertes sur le rôle du binôme foie / pancréas dans l’assimilation du sucre par l’organisme permettent une meilleure compréhension de la maladie, sans toutefois apporter de véritable solution. Depuis le XVIIIe siècle, faute d’un remède, les médecins prescrivent aux victimes de diabète un régime strict, sans sucre, pour tenter d’endiguer les effets de la maladie.
Avant l’insuline, l’”acomatol”
Avant la découverte d'un traitement, le diabète était, depuis l’Antiquité, une maladie mortelle, rappelait l’endocrinologue Jean-Pierre Riveline dans la même émission : “Avec un diabète de type 2, les sujets pouvaient vivre un certain nombre d'années puisque le pancréas continue à fabriquer de l'insuline, qui est une hormone essentielle pour la survie. La durée de vie était probablement raccourcie du fait de l'absence de traitement et ce sont des sujets qui mouraient prématurément de maladies cardiovasculaires”. Après tout, Louis XIV, Charles Quint ou encore Champollion étaient diabétiques. Le diabète de type 2 se développe en effet progressivement et se caractérise par une mauvaise utilisation de l’insuline par les cellules de l’organisme, mais le diabète de type 1 signifie quant à lui une absence totale de sécrétion d’insuline par le pancréas. “Avant 1921, un diabète de type 1 était une mort annoncée, poursuit Jean-Pierre Riveline. Quand il n'y avait pas d'insuline, les enfants mouraient. On a quelques traces dans la littérature de traitement sans glucides. Des parents qui étaient obligés de ne plus donner de sucre à leurs enfants du tout, ce qui leur permettait de maintenir un petit temps de survie… mais la mort était inexorable.”
L’histoire scientifique ne manque pas d’avancées et de découvertes qui mènent les scientifiques à un rien de découvrir un traitement. Dès 1908, le médecin berlinois Georg Ludwig Züelzer met au point un extrait pancréatique, c’est-à-dire composé d’enzymes pancréatiques, pour traiter un patient diabétique plongé dans le coma. C’est un succès, mais le patient décède finalement, l'extrait ne pouvant être produit en quantité suffisante. Si Züelzer fait homologuer son médicament sous le nom d’”Acomatol”, il est rapidement abandonné en raison de ses effets secondaires, décrits comme des “chocs” et des “convulsions” qui, avec le recul, semblent plutôt dus à une hypoglycémie provoquée par le traitement. Si le médecin berlinois est pourtant sur la bonne voie, la Première Guerre mondiale va mettre un coup d’arrêt à ses recherches.
La découverte de l’insuline
Il faut donc attendre 1921 pour qu’une équipe de chercheurs, au Canada, trouve la solution. En octobre 1920, Frederik Banting, jeune diplômé de chirurgie, lit un article à propos du diabète : intrigué, il imagine alors à son tour qu’un extrait pancréatique pourrait avoir un effet conséquent sur la pathologie. Le chirurgien, qui n’est absolument pas un spécialiste de ces questions, demande du soutien au responsable du département de physiologie du diabète à l’Université de Toronto, John MacLeod.
John MacLeod est au départ peu convaincu par l’idée de Banting, mais lui confie son laboratoire et l'un de ses élèves, Charles Best. Ensemble, les deux chercheurs obtiennent des premiers résultats encourageants en parvenant à faire baisser la glycémie de chiens privés de pancréas. John MacLeod s’implique finalement dans le projet et les aide à définir des protocoles. Ils sont rejoints par le chimiste J. B. Collip, qui doit les aider à créer un extrait pancréatique plus pur.

Leonard Thompson, premier patient guéri du diabète
En l’espace de 6 mois, les chercheurs font des avancées considérables. Quand, le 2 décembre 1921, le jeune Leonard Thompson, victime d’un diabète de type 1, entre à l’hôpital général de Toronto, Frederick Banting et Charles Best proposent leur aide. Le patient, âgé de 14 ans, ne pèse plus que 29 kilos, et ses jours sont comptés.
Frederick Banting et Charles Best parviennent à convaincre le père de l'adolescent de les laisser lui injecter un extrait composé à partir d’un broyat de pancréas de bœuf. Ils agissent sans l'assentiment de leurs collègues, John MacLeod et J. B. Collip, qui estiment qu’il est encore trop tôt pour passer de l’expérimentation animale à l’expérimentation humaine.
Le 11 janvier 1922, Leonard Thompson se voit injecter la solution… Mais les résultats sont bien en-deçà des espérances des deux chercheurs : la glycémie du jeune garçon passe de 4,4 g/L à 3,2 g/L. Un chiffre encore loin d’atteindre les 1,26 g/L requis pour être dans la norme. Pire encore : un abcès se forme à l’endroit où les piqûres ont été administrées, preuve que la solution est encore trop impure.
John MacLeod et J. B. Collip sont très contrariés par les agissements de leurs camarades. Mais la machine est lancée, et le chimiste Collip s'attèle à la création d’une préparation plus pure. Elle est administrée à la fin du mois de janvier, en trois fois. Les résultats sont immédiats : la glycémie passe de 5,2 à 1,20 g/L et le corps cesse de puiser dans les graisses du jeune homme. Le rétablissement paraît quasi miraculeux : Leonard Thompson se remet peu à peu.

D’autres “miraculés” suivront, comme le raconte Marc Gozlan dans un passionnant article sur les premiers patients traités par insuline. Quant à Leonard Thompson, comme il le précise, il meurt à l’âge de 26 ans des suites d’une pneumopathie aiguë : “L’autopsie montre un pancréas atrophié, ne pesant que 40 grammes. Il est conservé au musée anatomique de l’Institut Banting de Toronto”.
La naissance de l’”insuline”, un médicament non breveté…
En 1922, les chercheurs publient leurs résultats dans l’édition du 7 février du Journal of Laboratory and Clinical Medicine, en même temps qu’ils présentent l'ensemble de leur étude, “La Sécrétion interne du pancréas”, à l'Académie de Médecine de Toronto. C’est là qu’ils nomment leur solution “insuline”, probablement en référence aux îlots pancréatiques de Langerhans, la zone du pancréas où est produite l'hormone permettant l'assimilation du sucre par l'organisme : "insuline" viendrait ainsi de "insula", l'île en latin.
Leur découverte vaut à Frederick Banting et John MacLeod le prix Nobel de médecine en 1923, qu’ils partagent respectivement avec Charles Best et James Collip. Surtout, les quatre chercheurs décident, dans un geste désintéressé, de ne pas breveter le traitement, qui aurait pourtant pu les rendre très riches. Ils vendent les droits de leur formule pour un dollar symbolique à l’université de Toronto, qui donne à son tour les droits du brevet à quiconque souhaite produire de l’insuline en grande quantité.
… et de plus en plus nécessaire
L’histoire de l’insulinothérapie n’en était alors qu’à ses prémices : de la découverte de la structure chimique de l’insuline en 1955, essentielle pour son amélioration, à la première insuline humaine obtenue par génie génétique en 1982, sans oublier des nouvelles méthodes d’administration, de la pompe à insuline à l’insuline inhalée, et l’espoir d’un pancréas artificiel, l’insuline a d’ores et déjà sauvée des millions de vie. Et rien ne laisse supposer qu'elle va cesser d’être utilisée : le nombre de personnes atteintes de diabète dans le monde est en constante augmentation, notamment en raison d'une mauvaise alimentation, de l’obésité et du manque d’exercice physique. Dans son dernier rapport établi durant l’année 2021, la Fédération internationale du diabète a ainsi indiqué que 537 millions de personnes seraient atteintes de cette maladie dans le monde. Un chiffre qui devrait monter à 643 millions de malades d’ici à 2030, et 784 millions en 2045…