Il y a 500 ans, avec Magellan, le premier tour du monde... "complètement par hasard"

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Il y a 500 ans, avec Magellan, le premier tour du monde... "complètement par hasard"

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Une gravure de Magellan découvrant le détroit qui portera son nom, en Patagonie.
Une gravure de Magellan découvrant le détroit qui portera son nom, en Patagonie.
© Getty - Hulton Archive

Le premier tour du monde est parti de Séville il y a juste 500 ans. C'est le célèbre navigateur Magellan qui initie cette première circumnavigation de l'histoire. Mais qu'est-ce, au juste, qu'un tour du monde ?

"Ce Magellan apportait un globe bien peint, sur lequel se trouvait toute la Terre. Magellan montra la route à suivre, exceptée le détroit que, par habileté, il n'avait pas dessiné afin que personne ne le lui dérobât", rapporte Bartolomé de Las Casas, témoin de l'entrevue accordée par le jeune roi Charles Ier, futur Charles Quint, au navigateur Fernand de Magellan en 1517. Ce dernier tente alors de convaincre le roi d'Espagne que les îles Moluques - d'où les Portugais ramènent leurs épices - sont selon le traité de Tordesillas en territoire espagnol et non en territoire portugais. Il propose, pour y parvenir, d'emprunter un autre chemin, en partant non pas vers l'Est pour passer au sud de l'Afrique par le cap de Bonne Espérance, mais vers l'Ouest, en traversant l'océan Atlantique puis en trouvant le détroit qui permettra de passer dans le Pacifique. A l'époque, on croit encore que les territoires découverts à l'Est de l'océan Atlantique sont le prolongement de l'Asie. 

L'entrevue est un succès, si bien que le roi ordonne à Magellan de découvrir "des îles, des terres fermes, de précieuses épices" à la stricte condition de "n'aborder aucune terre qui se trouverait dans la démarcation du roi de Portugal [...] et de ne rien faire qui puisse lui porter préjudice, excepté dans les limites de notre démarcation", relate Michel Chandeigne dans l'introduction de l'ouvrage Le Voyage de Magellan, 1519-1522 (Editions Chandeigne, 2018).  

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Portrait anonyme de Ferdinand Magellan du XVIe ou du XVIIe siècle.
Portrait anonyme de Ferdinand Magellan du XVIe ou du XVIIe siècle.
- The Mariner's Museum Collection, Newport News, VA.

Magellan n'a pas fait le tour du monde 

Ce voyage, entrepris à de strictes fins commerciales, va devenir le premier tour du monde, et plus précisément la première circumnavigation, puisqu'elle est effectuée à l'aide d'un navire. Le 19 septembre 1519, cinq nefs prennent le départ depuis Sanlúcar de Barrameda, en Andalousie pour un voyage qui durera trois ans. Ironie du sort, et contrairement à ce que laisse croire la postérité de Magellan, ce dernier ne fera jamais le tour du monde... 

Le navigateur portugais survit pourtant à une mutinerie, découvre le détroit qui portera son nom en Patagonie, qui permet de passer de l'Atlantique au Pacifique, et effectue la traversée de ce second océan malgré les difficultés de ravitaillement... Alors qu'il est quasiment arrivé aux îles Moluques, Magellan trouve la mort : blessé par une flèche empoisonné lors d'un affrontement avec les indigènes de la petite île de Mactan, dans l'archipel de Visayas aux Philippines, il meurt le 27 avril 1521.

Gravure de Magellan affrontant les natifs de l'île de Malcan. Le navigateur portugais est tué le 27 avril 1521.
Gravure de Magellan affrontant les natifs de l'île de Malcan. Le navigateur portugais est tué le 27 avril 1521.
© Getty - Archive Photos

En 2007, l'émission Tout un monde, en compagnie de Michel Chandeigne mais aussi de la navigatrice Isabelle Autissier et de l'anthropologue Carmen Bernand, retraçait l'intégralité de cette expédition à partir du récit fait par Antonio Pigafetta, l'un des compagnons de Magellan : 

Le sillage de Magellan : L'improbable détroit (Tout un monde, 28/10/2007)

1h 29

Après la désertion d'un des navires, et un équipage de plus en plus réduit (du fait des nombreuses victimes que font le scorbut, les accidents, les mutineries ou les affrontements avec les indigènes), seuls 113 hommes parviennent aux îles Moluques. Il ne reste alors que trois navires, l'un ayant été sabordé après s'être échoué, l'autre ayant fait demi-tour après une mutinerie. Le nombre de marins est cependant trop faible pour assurer la manœuvre de trois vaisseaux : la Concepcion est brûlé. Les deux navires restants, la Victoria et la Trinidad, sont chargés d'épices et prennent chacun une route de retour différente.

"Il y a un bateau, la Trinidad, qui compte revenir par la même voie. Mais c’est une voie très incertaine, précise Michel Chandeigne. A l’aller, ils ont dû traverser le Pacifique, en ne croisant que deux petits atolls sur lesquels ils ont pu aborder. L'idée de revenir par cette voie semble risquée. Ils prennent donc la décision de faire revenir un des bateaux par la voie portugaise, qui est la plus empruntée. Mais le bateau va prendre une route inconnue à l’époque, beaucoup plus au sud puisqu’ils vont découvrir l’île d’Amsterdam [qu’ils ne nomment pas, ndlr] pour éviter la flotte portugaise. S'ils avaient trouvé des îles et des escales à l'aller, les navires seraient tous deux passés par le Pacifique".

Une gravure de la Victoria, où sont représentés Ferdinand Magellan, en haut à gauche, et Juan Sebastian del Cano, en haut à droite.
Une gravure de la Victoria, où sont représentés Ferdinand Magellan, en haut à gauche, et Juan Sebastian del Cano, en haut à droite.
© Getty - Hulton Archive

La Trinidad est arraisonné par les Portugais lors du voyage retour. La Victoria, en revanche, parvient à rejoindre Sanlúcar de Barrameda le 6 septembre 1522, trois ans après son départ. Seuls 18 hommes, ainsi que 3 Moluquois, embarqués en même temps que les épices, parviennent à destination. Le reste de l'équipage a été retenu par les Portugais au Cap Vert et n'arrivera à destination que quelques mois plus tard.

Ils sont les premiers à accomplir une circumnavigation, sous la houlette de Juan Sebastián Elcano, pourtant un des mutins de la première heure, que Magellan avait décidé de gracier. Ce dernier se voit remettre par l'empereur Charles Quint ses propres armoiries : un globe orné de l'inscription "Primus circumdedisti mihi" ("Tu as été le premier à faire le tour pour moi").

Un premier tour du monde "par hasard" 

"Le Tour du monde est lié à Magellan, mais ça n'était ni son projet, ni même l'idée, ses ordres indiquaient clairement de revenir par la même voie. Ce premier tour du monde est le fruit des circonstances, du hasard et de la chance", rappelle toutefois Michel Chandeigne :

Personne n’aurait eu l’idée de faire le tour du monde pour l’exploit. Cette idée est complètement absente de la mentalité de l’époque, les voyages sont tellement difficiles qu’on les fait uniquement pour s’enrichir. L’idée même d’exploit est étrangère à la pensée d'alors. L'expédition est lancée pour son seul aspect commercial : c’est un voyage dangereux, extrêmement coûteux, il faut aller de l'autre côté du monde et revenir par la même voie. Le but est d’enrichir le roi et, pour Magellan et ses officiers, d’obtenir une rente à vie. Leur tour du monde se fait complètement par hasard.

De fait, l'expédition est un désastre financier : les épices rapportées par la Victoria permettent tout juste de rembourser l'opération... sans couvrir pour autant les arriérés de soldes des survivants, ni les sommes dues aux familles des disparus. 

Carte de la première circumnavigation du monde, par Ferdinand de Magellan et Juan Sebastián Elcano, de 1519 à 1522.
Carte de la première circumnavigation du monde, par Ferdinand de Magellan et Juan Sebastián Elcano, de 1519 à 1522.
- Sémhur / Wikimedia Commons / CC-BY-SA-3.0

Le retour de l'expédition orchestrée par Magellan n'en étonne pas moins. Il est célébré pour la prouesse qu'elle représente : le navigateur a prouvé que la Terre était circumnavigable et que tous les océans communiquent. Mais l'exploit surprend d'autant plus que l'idée même de tour du monde avait été très peu évoquée depuis l'Antiquité, où on la retrouve toutefois sous la plume d'Aristote, dans Traité du ciel, qui suggère déjà de rejoindre l'Inde par l'ouest :

D'après la manière dont les astres se montrent à nous, il est prouvé que non seulement la Terre est ronde, mais même qu'elle n'est pas très grande, car il nous suffit de faire un léger déplacement, vers le sud ou vers l'Ourse, pour que le cercle de l'horizon devienne évidemment tout autre. (...) Ainsi, quand on suppose que le pays qui est aux colonnes d'Hercule va se rejoindre au pays qui est vers l'Inde, et qu'il n'y a qu'une seule et unique mer, on ne me paraît pas faire une supposition par trop incroyable. Aristote, Traité du Ciel, II 14-15. (IVe siècle av. J.-C.)

"A ma connaissance, c’est l'écrivain voyageur Jean de Mandeville qui exprime le premier l'idée de "Tour du Monde", précise Michel Chandeigne. Son Livre des merveilles du Monde_, un récit semi-imaginaire écrit vers 1356 qui compile toutes sortes d’écrits plus anciens, montre que la rotondité de la Terre était suffisamment admise pour que l’auteur évoque clairement la possibilité pour un voyageur d’en faire le tour"_ :

Si l’on pouvait s’embarquer sur un navire et trouver des gens qui veuillent aller à la découverte du monde et dessus et dessous [...], je dis avec certitude qu’un homme pourrait faire le tour de toute la terre du monde, aussi bien par-dessus que par-dessous, et revenir en son pays [...] et il trouverait toujours des hommes, des terres, des îles comme en nos pays. Jean de Mandeville, Livre des merveilles du Monde

Cartographier le monde

Si l'idée d'un monde sphérique date bel et bien de l'Antiquité, la cartographie, avant le XVIe siècle, peine à donner une représentation précise du globe terrestre. Difficile d'envisager un tour du monde quand on ignore encore tout de ce dernier. La découverte des Amériques, dont on imagine que l'Amérique du Nord est le prolongement de l'Asie, et l'Amérique du Sud un nouveau continent, ouvre de nouvelles perspectives autant que la possibilité d'un monde "fini".

Alors, le voyage de Magellan a-t-il contribué à fixer définitivement une représentation précise de la planète bleue ? Le navigateur a permis surtout de mieux se représenter, non pas tant ce qu'il manque, que les espaces à parcourir : 

La carte préparatoire au voyage de Magellan est extraordinaire. Pour la première fois, l’Asie y est réduite en taille et l’espace du Pacifique y est représenté. Mais en 1517-1519, les Portugais ont déjà une bonne idée de la taille de l’Asie et du Pacifique. La conséquence du voyage de Magellan, c’est qu’apparaissent le détroit, la pointe de l’Amérique du Sud, le Pacifique... Avant ce voyage, les grands continents d'Asie et d'Afrique étaient déjà presque parfaitement dessinés, à l'exception de la partie sud de l’Asie. Michel Chandeigne

Quand, en 1519, Magellan envoie un mémoire géographique pour préciser au roi Charles Ier l'itinéraire envisagé. La carte est d'une étonnante précision et l'immensité de la "Mer du Sud", c'est-à-dire du Pacifique, est loin d'être sous-estimée : 

Fac similé de la carte attribuée à Jorge Reinel, qui avait rejoint Magellan à Séville.
Fac similé de la carte attribuée à Jorge Reinel, qui avait rejoint Magellan à Séville.
- Gallica/BNF

Dans les années qui suivent, la carte de l'Asie va s'affiner : le Japon par exemple apparaît sur les cartes vers 1550. Ce sont le Pacifique et ses atolls qui mettront plus de temps à se préciser, cet océan n'étant sillonné par les cartographes européens qu'à partir du XVIIe siècle.

Et après ? 

Magellan a ouvert la voie des tours du monde. Cinquante-huit ans après son départ, c'est au tour du corsaire et explorateur britannique Francis Drake d'effectuer la seconde circumnavigation de l'histoire, en 1577. Et il faut attendre encore deux siècles pour voir le navigateur Louis-Antoine de Bougainville réaliser le premier tour du monde officiel français, en 1766, avec une visée scientifique cette fois. Côté français, Bougainville avait cependant été précédé par Richard de Normandie, un charpentier engagé dans l'expédition Magellan. 

Ce n'est qu'à partir du XIXe siècle que le tour du monde, qui consiste à partir et revenir à un même point en allant toujours dans le même sens, est envisagé en tant qu'exploit. Après la circumnavigation, il sera réalisé en vélo, en moto, à pied, en aéronef ou en avion. Le XXe siècle, entre phénomène des backpackers et engouement pour des épreuves comme le Vendée Globe, achèvera lui d'institutionnaliser ce qui, longtemps, n'avait même pas semblé envisageable.

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39 min