Impasses meurtrières en Syrie

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Impasses meurtrières en Syrie

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Des Syriens passent au crible une décharge dans la campagne de Malikiya, dans le nord-est de la Syrie, le 17 janvier 2021.
Des Syriens passent au crible une décharge dans la campagne de Malikiya, dans le nord-est de la Syrie, le 17 janvier 2021.
© AFP - Delil Souleiman

La face cachée du globe. Dix ans après le déclenchement de la crise, les régions bombardées restent des champs de ruines. Toujours pas de reconstruction en vue et les Syriens vivent une immense détresse humaine, économique et sociale, à laquelle s'est ajoutée la crise sanitaire du Covid.

Il y a dix ans, la Syrie sombrait dans une crise qui allait se transformer en guerre civile aux ramifications régionales et internationales. Bachar Al-Assad, qui se présente pour un nouveau mandat présidentiel à l’été prochain, règne aujourd’hui sur la majeure partie d’un pays dévasté et fracturé.

Les groupes rebelles dominés par les djihadistes tiennent encore la poche d’Idlib, où s’entassent des centaines de milliers de réfugiés. L’armée turque occupe une bande frontalière dans le Nord-Est, tandis que les Kurdes administrent plusieurs zones aux confins de la Turquie et de l’Irak.

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La Syrie "utile" qui comprend le littoral méditerranéen et les grandes villes (Damas, Alep, Homs, Hama, etc) est sous le contrôle du régime de Bachar Al-Assad. Mais si les combats ont quasiment cessé, la population vit dans une immense détresse, car la reconstruction est au point mort.

Christian Chesnot a rencontré Vincent Gelot, représentant de L’Oeuvre d’Orient, organisation d‘aide aux Chrétiens d’Orient. Il revient de Syrie et raconte les tourments d'une population, plombée dans cet entre-deux de "ni paix, ni guerre".

En ce début 2021, quel tableau humanitaire de la Syrie dressez-vous ?

A chacune de mes visites, c’est toujours pire. La Syrie traverse en silence une crise terrible.

Aujourd’hui, ce ne sont plus les bombardements qui font les morts, ce sont les sanctions et la crise économique.

Les Syriens ont les plus grandes difficultés à acheter du pain, à se procurer du gaz ou du mazout. La monnaie s’est effondrée. On constate une forte augmentation du nombre de cancers. Ajoutez à cela, la crise sanitaire du Covid qui fait aussi d’énormes dégâts.

Vincent Gelot, représentant de l’œuvre d’Orient au Levant. Décembre 2020.
Vincent Gelot, représentant de l’œuvre d’Orient au Levant. Décembre 2020.
© Radio France - Christian Chesnot

Quel est l’état d’esprit des Syriens aujourd'hui ?

Je suis frappé de voir à quel point les gens n’arrivent plus à entrevoir leur avenir en Syrie. La question de partir ou de rester habite le cœur de chaque Syrien et Syrienne, surtout les jeunes.

Mais j’ai été frappé de voir lors de mon dernier séjour en Syrie en décembre que même les personnes âgées pensaient à partir. Ce sont vraiment des signaux très négatifs.

Les Syriens éprouvent des difficultés à se nourrir. Peut-on parler de famine ?

Aujourd’hui, le salaire moyen d’un Syrien, c’est 20 dollars par mois ! Donc oui, les gens n’arrivent plus à se sustenter, et sans l’aide des églises, des ONG et des organisations internationales, ce serait une véritable famine qui frapperait ce pays.

Il y a un peu d’aide qui arrive mais toujours pas de reconstruction en vue ?

C’est une des raisons supplémentaires qui rend la population syrienne déprimée. Vous avez un nœud qui fait que les alliés du gouvernement syrien, la Russie et l’Iran, ne veulent pas entendre parler de reconstruction et n’en ont pas les moyens financiers. D'autre part, en l’absence d’un processus de transition politique crédible, les Occidentaux ne veulent pas non plus participer à la reconstruction de la Syrie.

Les ruines de Homs sont donc toujours là et ne bougent pas. Les barrages de 2011 sont encore debout. 

Il n’y a pas de grand plan Marshall de reconstruction. Et ça, cela a un impact très fort sur le moral des Syriens.

Et puis, il y a la question des réfugiés mais aussi de centaines de milliers de déplacés à l’intérieur de la Syrie.

 Des Syriens déplacés se rendent de la campagne ouest d'Alep vers la ville d'Afrin, près de la frontière turque.  Alep, 11 février 2020.
Des Syriens déplacés se rendent de la campagne ouest d'Alep vers la ville d'Afrin, près de la frontière turque. Alep, 11 février 2020.
© Maxppp - Juma Mohammed

Oui, on parle assez peu des déplacés internes. Certes, cette guerre a fait partir les gens en dehors de la Syrie, mais beaucoup ont aussi été déplacés à l’intérieur du pays. Ces gens ont aussi perdu leurs maisons, leurs toits, leurs métiers, leurs écoles, etc.

Cette population a bougé. Elle est partie d’Alep pour aller vers Damas. Il y a eu de véritables mouvements de population, et ces gens sont aussi aujourd’hui en grande difficulté, car à la crise économique s’ajoute le fait qu’ils sont déplacés.

Et ils ne sont pas épargnés, non plus, par la crise du Covid ?

Lorsque j’y suis allé en décembre, les gens ne portaient pas de masques, ou très peu. Pas de distanciation sociale, pas de mesures particulières. Pourtant, le Covid fait des ravages. Les chiffres sont largement sous-évalués. Faire un test coûte très cher en Syrie, donc personne ne peut se le payer. Pour les Syriens, je crois que le Covid est le cadet de leurs soucis.

Pour eux, l’important est de survivre au quotidien...

Le Covid arrive en dernière position car leur priorité est de pouvoir se nourrir, envoyer leurs enfants à l'école, avoir un emploi et envisager un avenir.

Des civils syriens transportent leurs affaires depuis des tentes inondées dans le camp de réfugiés de Kefer Lusin après de fortes pluies qui ont provoqué des inondations à Idlib, en Syrie, le 19 janvier 2021.
Des civils syriens transportent leurs affaires depuis des tentes inondées dans le camp de réfugiés de Kefer Lusin après de fortes pluies qui ont provoqué des inondations à Idlib, en Syrie, le 19 janvier 2021.
© AFP - Muhammed Said

Au plus dur des bombardements, les Syriens étaient dans une logique de survie qui les empêchait de se projeter dans l’avenir. Aujourd’hui, ils voient le champ de ruines et constatent que rien ne bouge. C’est encore pire.

C’est-à-dire que les quartiers qui avaient été détruits comme la Ghouta à Damas, à Alep, à Homs, n’ont pas du tout été reconstruits ?

A Homs, c’est frappant. Vous avez des quartiers entiers, des kilomètres de ruines qui n’ont pas bougé. Personnellement, cela fait cinq ans que je me rends en Syrie de façon très régulière, et je n’ai pas vu de changements notoires. Il y a des petites reconstructions ici ou là, mais elles sont artisanales. On n’a pas vraiment de grands chantiers de reconstruction. Même chose pour la Ghouta orientale, à Damas. Il faut aussi évoquer le sort de Deir ez-Zor et de Raqqa qui sont aussi des villes syriennes complètement détruites. Donc, non, il n’y a pas de reconstruction véritable en Syrie aujourd’hui.

Est-ce que la crise du Liban voisin impacte la Syrie ?

Oui, il ne faut pas oublier que la Syrie est un pays sous sanctions. Et le Liban était le poumon pour la Syrie pendant toute la guerre, à la fois pour les personnes en transit vers l’étranger, pour les denrées alimentaires et pour les transactions financières avec les banques libanaises.

Or, le gel des comptes bancaires au Liban et la crise qui s’en est suivie ont considérablement fragilisé ce poumon pour les Syriens. Les frontières ont également été fermées par moment, ce qui a compliqué la circulation entre les deux pays.

Ce qui signifie que les réfugiés syriens au Liban ou ailleurs ne reviennent pas en Syrie ?

Ils ont très bien compris que la situation dans leur pays était pire qu’au Liban, même si ce pays traverse aussi une crise. Les conditions du retour des réfugiés syriens se trouvant au Liban mais aussi ailleurs, à mes yeux, ne sont pas remplies. Car la Syrie est en grande partie détruite, et parce que les conditions sécuritaires ne sont pas bonnes. Le retour s’avère donc difficile actuellement.

En matière de réconciliation entre les différentes communautés syriennes, avez-vous constaté des signes encourageants sur le terrain ?

Grâce à des gens, à des associations, il y a des initiatives, de très belles choses qui se passent dans ce tableau ténébreux de la Syrie. Vous avez notamment le travail de la minorité chrétienne en Syrie. C’est un travail admirable. Non seulement au niveau des œuvres de charité, mais également au niveau de la réconciliation.

Le centre d'alphabétisation d'Alep-Est qui s'appelle le Centre Espace du Ciel. Décembre 2020
Le centre d'alphabétisation d'Alep-Est qui s'appelle le Centre Espace du Ciel. Décembre 2020
- Vincent Gelot

Je pense notamment à un centre d’alphabétisation à Alep-Est ou aux œuvres des Sœurs du St Cœur dans la Ghouta orientale, à Damas. Dans ce quartier très sinistré principalement musulman, il y a tout un travail de réconciliation entre communautés qui est en cours. C’est une petite lueur d’espoir.

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Avec la collaboration de Caroline Bennetot