« Internet, une nouvelle géographie ?» : le making off de Thierry Joliveau
Par Sylvain Kahn
Thierry Joliveau est professeur de géographie à l’université Jean Monnet de Saint Etienne. Auteur du blog monde géonumérique, il était, ainsi que Patrick Poncet, invité ce jour sur Planète terre pour évoquer « Internet, une nouvelle géographie ? ».
A l’issue d’une longue conversation pour préparer l’émission jeudi dernier, voici le texte que Thierry Joliveau m’a adressé ce matin à votre intention. (Sur la page web de l’émission du 7 avril , j’ai mis bon nombre de liens vers les sites dont nous avons parlé à l’antenne cet après midi, et qui se retrouvent ici).
Depuis 2005 et la fourniture du service de cartographie Web proposé par Google, Google Maps , on peut parler de l’émergence d’un GéoWeb, une organisation de l’information sur Internet par l’espace et le positionnement géographique direct ou indirect. Après Google Maps, l’offre d’outils cartographiques en ligne a explosé, avec de multiples outils et services et l’apparition d’usages différenciés. En fait Google Maps n’est pas un logiciel, ni même un simple service mais un service de services . Des développeurs informatiques peuvent assez facilement construire de nouveaux services de cartographie ou de géolocalisation qui s’appuient sur les fonctions et les données fournies par Google Maps. Les concurrents de Google (Microsoft, Yahoo, …) ont réagi et proposé eux aussi des services cartographiques sur lesquels on peut construire de nouvelles briques. En réaction à ces initiatives des grands groupes qui dominent l’information sur le Web, d’autres groupes se sont lancés dans des opérations du même type. L’IGN (Institut géographique national) a aussi proposé un service d’accès en ligne à ses données numériques : le géoportail . Enfin une initiative a été lancée pour construire une base de données libres , ni publique ni privée, par contribution des Internautes : Openstreet Map
Les services cartographiques de base qui forment l’infrastructure du GéoWeb :
Leurs extensions 3D sous forme de globes virtuels :
Sur ces services de base de localisation et de visualisation cartographiques, des services de « deuxième niveau » permettent aux Internautes de contribuer à l’enrichissement en contenu du GéoWeb. Ils sont innombrables. Voici quelques exemples :
Wikimapia qui se veut un peu le pendant cartographique de l’encyclopédie Wikipedia. Chacun peut délimiter des entités sur la surface terrestre et les caractériser ou les annoter, en renvoyant par exemple à un article de Wikipedia.
Dismoiou : on peut marquer sur ce type de site les lieux que l’on aime ou les restaurants que l’on conseille et les partager avec des internautes.
Flickr ou Panoramio : des sites où l’on peut partager des photographies en les localisant. Elles s’ajoutent sur les services cartographiques de Yahoo (Flickr) ou Google (Panoramio). On peut donc visualiser les lieux en naviguant entre les photographies depuis la carte.
StreetAdvisor, un service Web américain : l’objectif est de noter une rue et un voisinage selon différents critères.
FixMyStreet : un outil anglais de gestion locale : l’objectif est de décrire les problèmes de voirie ou de voisinage, de manière à les régler et à améliorer la vie quotidienne d’une communauté locale.
Geocommons : un outil pour fabriquer ses propres cartes à partir de ses données et les partager avec les utilisateurs.
Il en existe des centaines, plus ou moins généraux ou spécifiques : publier des photographies anciennes des lieux, localiser les écoles équipées de caméras de vidéosurveillance, publier son journal de voyage …. Ces outils conduisent des individus, amateurs ou professionnels, des firmes, des associations, groupes ou collectivités à associer des coordonnées géographiques à des objets variés : zones de projet, opérations d’intervention, lieux de vacances, lieux de tournage de films, endroits décrits par des livres…
A cette couche qui permet la contribution volontaire et consciente au GéoWeb par les utilisateurs, s’ajoute une entreprise, systématique et plus souterraine, de localisation quasi automatique et systématique de tous les éléments d’informations que l’on laisse sur le Web : billets ou commentaires sur un blog, messages dans son logiciel de messagerie, micro messages sur Twitter ou informations sur Facebook. Cette localisation se fait par l’intermédiaire de l’adresse IP de son ordinateur à la maison ou au bureau, et par localisation du téléphone, par GPS ou par le réseau Wifi auquel on est connecté en situation de mobilité. Des outils servent de plus en plus à localiser ses amis, à savoir en permanence où ils se trouvent et à visiter *in situ * les lieux qu’ils ont recommandés.
On voit qu’à travers le GéoWeb, Internet stocke un volume très important et croissant d’information décrivant les lieux, les territoires et les relations que les individus entretiennent entre eux et avec eux. Bien sûr, cette information est biaisée. Tout le monde n’est pas connecté au Net, tout le monde n’y est pas actif de la même manière, sur le Net et nous ne sommes pas tous prêts à accepter de rendre publique notre localisation. Il n’empêche que devient disponible une information localisée qui présente pour un nombre croissant d’individus les lieux qu’ils fréquentent et apprécient, les photos qu’ils prennent, les activités qu’ils y font, les gens qu’ils y rencontrent ….
Ce nuage d’information n’est pas unifié. Les données localisées sont partagées entre différents sites et Big Mother, la maman géographique et à l’échelle terrestre de Big Brother n’est pas (encore) là. Mais cette masse d’information c’est une manne pour les sociétés (suivi des salariés et des consommateurs et marketing, analyse des tendances, stratégies de localisation, surveillance des concurrents …), pour l’Etat et les collectivités qui veulent surveiller, contrôler et aménager l’espace. Elle l’est aussi pour les scientifiques qui veulent comprendre les fréquentations des lieux et leurs images, les interactions qu’ils permettent et les dynamiques des territoires qu’ils reflètent ou contribuent à générer. Cela implique la maîtrise de nouveaux outils techniques, ceux du GéoWeb et une culture géographique solide.