Iran : la théocratie et son guide suprême critiqués dans la rue

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Iran : la théocratie et son guide suprême critiqués dans la rue

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Les images des manifestations et grèves actuelles n'arrivent à passer que par les réseaux sociaux, via des mots dièse comme #IranProtests #IranRegimeChange #FreeIran2018
Les images des manifestations et grèves actuelles n'arrivent à passer que par les réseaux sociaux, via des mots dièse comme #IranProtests #IranRegimeChange #FreeIran2018
© AFP - Fatemeh Bahrami / Anadolu Agency

Entretien. A l'heure de nouvelles sanctions économiques imposées par les Etats-Unis, l'Iran vit une crise politique croissante. Les manifestations se multiplient, et des slogans s'en prennent directement à la nature du régime islamique. Le spécialiste du pays Fereydoun Khavand y voit de quoi l'ébranler.

L'Iran connaîtra de nouveau des sanctions économiques nord américaines ce mardi à minuit. L'administration Trump va d'abord viser l'industrie automobile iranienne (la deuxième après l'industrie pétrolière), les transactions relatives à l'aéronautique ou aux métaux précieux ou les importations de tapis et de pistache. Une deuxième vague de sanctions, le 4 novembre prochain, devrait toucher le secteur de l'énergie, la pétrochimie, l'assurance et les transactions avec la banque centrale iranienne et les organismes financiers. De quoi renforcer une colère grandissante dans un pays en crise économique, sociale, écologique et de plus en plus politique. Des Iraniens et Iraniennes manifestent ou font grève depuis quelques jours et certains n'hésitent plus à contester ouvertement le régime théocratique et demandent un régime laïque. Ancien maître de conférences à l'Université de Paris V et spécialiste de l'économie iranienne, Fereydoun Khavand estime que le régime islamique dans son entier est fragilisé, réformateurs comme conservateurs.

Journal de 12h30
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Il y a déjà une crise qui touche au rial, la monnaie iranienne, et des manifestations qui se tiennent chaque jour dans plusieurs villes, contre le chômage, contre la corruption. Et il y a un affolement du fait de ces sanctions qui vont toucher énormément l'Iran et ses habitants ?

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On voit cet affolement dans les milieux d'affaires, mais aussi au sein de la population. Elle manifeste et demande en particulier au régime d'assouplir ses positions vis-à-vis notamment des Etats-Unis, ainsi que des puissances rivales au Moyen-Orient. Ces derniers jours, des manifestations ont eu lieu dans des villes comme Ispahan et Chiraz, mais aussi de plus en plus vers la capitale Téhéran. Les slogans d'abord les questions économiques, mais ils deviennent de plus en plus politiques. Contre le clergé, contre le guide suprême, monsieur Ali Khamenei, contre le régime islamique, contre les interventions de l'Iran en Syrie, au Liban, au Yémen et dans d'autres parties du Moyen-Orient. 

Pour la première fois, le clergé et le guide suprême sont directement mis en cause et on demande même un régime laïque.

Dans un autre entretien, le spécialiste de l'Iran Mohammad-Reza Djalili, qui évoque "un malaise sans précédent depuis 40 ans, nous a précisé ces slogans : 

"On ne dit pas 'Mort aux Etats-Unis', mais 'Mort au dictateur' et 'Mort à Khamenei'. On dit 'Notre ennemi est ici'

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Ces manifestations peuvent-elles ébranler le régime ?

Ces manifestations suivent celles qui ont lieu fin décembre et début janvier dans une centaine de villes et elles ébranlent effectivement le régime. Depuis une quarantaine d'années et l’instauration de la République islamique, la situation économique en Iran est mauvaise. Il y a eu une mauvaise gouvernance, de la corruption, des relations extrêmement tendues avec le monde occidental, en particulier avec les Etats-Unis, et récemment de plus aussi avec les puissances du Moyen-Orient, en particulier l'Arabie saoudite. 

La population commence à en avoir marre et demande une normalisation de la situation. De plus en plus, une partie grandissante de la population en conclut qu'avec la République islamique, avec une théocratie, la situation ne peut pas évoluer et que les difficultés vont s'amplifier. Certains cherchent alors le salut dans le renversement du régime, mais ils savent que ce n'est pas chose facile. Et si la situation continue à se dégrader, on devrait assister à des violences de la part des manifestants. On sait que le régime a déjà mobilisé ses forces de sécurité "bassidji".

Qui manifeste ? Surtout les jeunes ?

Il y a quelques années, les manifestations contre le régime se limitaient notamment aux classes moyennes. Aujourd'hui, de plus en plus, les couches les plus défavorisées se mobilisent. Elles qui autrefois étaient considérées comme des soutiens du régime islamique. 

Dans ces manifestations, on observe en particulier des jeunes qui ne trouvent pas d'emploi. Les diplômés des universités sont de plus en plus nombreux mais à cause de la mauvaise gouvernance et des difficultés dans les relations internationales, les investisseurs partent du pays ou n'y viennent pas. Avec pour ne citer que les entreprises françaises, Peugeot, Renault, Total, Alsthom et d'autres. L'accord sur le nucléaire de juillet 2015 avait redonné de l'espoir aux Iraniens, pour le tourisme aussi. Mais le pessimisme a pris le dessus. 

De plus en plus de jeunes femmes protestent aussi : contre le port du voile et contre les restrictions imposées aux femmes.

Choix de la rédaction
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La colère est telle que les manifestants ne font plus la distinction entre conservateurs et réformateurs ? Tout le système est dans leur collimateur ?

Cette distinction appartient au passé. Des réformes ont été entreprises par les anciens présidents réformateurs Rafsandjani et son successeur Khatami. Puis, des réformes ont été lancées ou annoncées par le président modéré actuel, Hassan Rohani. La population constate que rien ne change et que la situation devient de plus en plus difficile. 

La corruption fait rage aussi en Iran, notamment dans le clergé chiite. Les ayatollahs et leurs familles sont directement montrés du doigt. On considère par exemple que ces ayatollahs ont déjà transféré des sommes considérables vers les paradis fiscaux.

Nous sommes entrés dans une nouvelle phase où tout le régime est mis en cause.

Donald Trump a parlé d'une main tendue, pourvu que l'Iran change. Que pensez-vous de la fin de non recevoir des responsables iraniens ?

Il y a quelques jours, le guide suprême, l'ayatollah Khamenei, a déclaré qu'il était fermement partisan d'une "diplomatie idéologique". Dans cette diplomatie, l'animosité à l'encontre des Etats-Unis est un dogme fondateur de la République islamique. Le président a effectivement déclaré qu'il serait prêt à rencontrer les dirigeants iraniens, mais quelques heures après son annonce les généraux des Pasdaran (corps des Gardiens de la révolution islamique) ont annoncé que l'Iran n'accepterait jamais de négocier, ni avec Trump ni avec ses successeurs. 

Or, les milieux d'affaires estiment que sans des négociations sérieuses, directes, avec les Etats-Unis, l'Iran ne pourra jamais sortir de ses difficultés. C'était également l'opinion du président Rohani, notamment pendant son premier mandat. Il estimait qu'il fallait négocier, d'après son expression, avec "le chef du village". Il n'a pas réussi à imposer son point de vue au guide suprême et nous sommes dans l'impasse.

Le Choix de la rédaction
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© AFP - Simon Malfatto, Sophie Ramis, Kun Tian