Iran : "Le régime se venge et punit les manifestants, je reste absolument horrifié, choqué et indigné"
Par Valérie Crova
Depuis qu'il est en poste, Javaid Rehman, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme en Iran, n'a pas été autorisé à aller dans le pays. Un pays où, chaque jour, ont lieu des "exécutions sommaires, arbitraires et illégales", témoigne-t-il.
Javaid Rehman est rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme en Iran. Ce professeur de droit, qui enseigne à la Brunel University de Londres, dénonce la violence de la répression et s’alarme de la dérive du régime depuis l’arrivée au pouvoir à Téhéran du président ultraconservateur Ebrahim Raïssi.
Il y a trois mois jour pour jour, la mort d'une jeune Kurde de 22 ans, Mahsa Amini, faisait basculer le pays dans une nouvelle période de troubles. Comme lors des manifestations de 2009 et 2019, le régime des mollahs a choisi la manière forte pour mater la protestation. Les morts se comptent par centaines, plus de 450 personnes, les arrestations par milliers.
Téhéran a également recours aux exécutions pour tenter de dissuader les jeunes Iraniens de descendre dans la rue. Et tout semble indiquer que la répression va se poursuivre tant que le mouvement de contestation durera.
Comment avez-vous réagi aux exécutions de deux manifestants les 8 et 12 décembre 2022 ?
Javaid Rehman : J’ai été et je reste absolument horrifié, choqué et indigné par la manière dont le régime iranien a traité ces manifestants. C'est une vengeance, ce sont des punitions. Et ce sont des symboles de la brutalité de l'État. Il s'agit d'exécutions sommaires, arbitraires et illégales. Ces deux jeunes hommes ont été torturés pour qu'ils avouent. Ils n'ont pas été autorisés à consulter des avocats susceptibles de défendre leur cause. Ces procès sont des simulacres de procès. Et cela constitue une violation totale du droit à un procès équitable.
Je reçois constamment des informations et des messages de la part des familles, des proches des victimes et de la société civile indiquant qu'il existe un risque d'exécution imminente d'un certain nombre de manifestants. Je crains donc que de nouvelles exécutions n'aient lieu.
Récit de Valérie Crova à propos de cette répression. Avec la réaction de Javaid Rehman.
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Pensez-vous que ces exécutions puissent mettre fin aux manifestations ?
Je vous répondrai que non, parce que les Iraniens veulent que leurs droits soient reconnus. C’est pour cela qu'ils sont dans la rue. Et toute tentative visant à semer la peur est vaine. Les Iraniens sont des gens très courageux. Ils n'accepteront pas ce type d'intimidation et de répression. Cela fait trois mois que les manifestations durent. Et je crains qu'elles ne se poursuivent tant que les revendications de la population ne seront pas prises en compte.

Avez-vous des chiffres précis du nombre de victimes depuis le début du mouvement de contestation il y a trois mois ?
Il est très difficile dans le contexte actuel d'avoir des chiffres exacts, d’autant plus que les autorités les cachent. Mais ce que nous savons, c'est que plus de 458 personnes, femmes et enfants inclus, ont été tuées, dont au moins 44 enfants. Vous pouvez imaginer l'ampleur de la répression et la brutalité qui se manifeste dans le meurtre d’enfants. C'est un très gros chiffre.
Après la mort de Mahsa Amini, et la contestation qu’elle a engendrée, le régime a annoncé qu'il pourrait revenir sur la loi de 1983 qui rend le port du voile obligatoire. Y croyez-vous ?
Quoi que dise ce régime, je ne lui fais pas confiance. Cette loi a été promulguée en 1983. Mais les femmes continuent d'être brutalisées à ce jour. Le président Ebrahim Raïssi doit en assumer la responsabilité. Il est responsable d'un grand nombre de ces violations des droits des filles et des femmes en Iran, car depuis son arrivée au pouvoir, il a publié de nouveaux décrets visant à renforcer la répression à leur encontre. Il a encouragé la soi-disant police des mœurs à faire appliquer la loi sur le hijab [le voile, ndlr]. Je ne pense donc pas que cette loi sera supprimée aussi facilement sous le régime actuel.
Mais la police des mœurs a été abolie récemment. Cela a-t-il eu un effet concret sur le terrain ?
Nous avons entendu cette déclaration du procureur général selon laquelle la police des mœurs avait été dissoute. Mais attendons de voir sa traduction sur le terrain… Jusqu'à présent, je ne vois aucun changement. La police des mœurs fait partie de l'appareil d'État répressif de l’Iran. Et l’État continue à brutaliser les femmes. Ils continuent de violer les droits et la dignité des femmes en Iran.

Pensez-vous que la communauté internationale est suffisamment active face à ce qui se passe en Iran ?
La communauté internationale s'est montrée très réactive, en particulier avec la mise en place, le mois dernier, d’une mission internationale d'enquête. Une résolution du Conseil des droits de l'homme de l’ONU a été présentée et adoptée. Nous avons créé la mission d'enquête et l'Iran a été retiré de la Commission de la condition de la femme de l’ONU le 15 décembre 2022. Il existe un mouvement international très fort visant à condamner l'Iran, à le critiquer et à exercer une pression internationale. Nous savons que l'Union européenne, le Royaume-Uni et certains autres États ont imposé des sanctions aux personnes figurant sur les listes de l'ONU pour violations des droits humains. Mais nous sommes confrontés aux limites du droit international.
Actuellement, le régime iranien se venge et punit les manifestants. Face à cet État, la réponse qui peut être apportée est très limitée en termes de protection directe des manifestants et des personnes qui souhaitent que leurs droits soient reconnus. Je voudrais donc exhorter la communauté internationale à exercer davantage de pression pour faire en sorte que les gens aient le droit de manifester et de revendiquer leurs droits. Il faut reconnaître les droits des filles et des femmes en particulier, ainsi que les droits des minorités ethniques, linguistiques et religieuses en Iran. Nous devons constamment maintenir la pression, continuer à cibler le régime iranien jusqu'à ce qu'il y ait un changement, un changement substantiel en termes de structure de gouvernance, afin de garantir la démocratie, l'État de droit et le respect des droits de l'homme.
De manière diplomatique ?
Oui, je pense que le moyen le plus efficace à l'heure actuelle est la voie diplomatique. Et par voie diplomatique, je veux dire qu'il s'agit d'exercer une pression internationale, pour que l'Iran respecte les lois internationales relatives aux droits humains. Ce dont nous parlons ici, c'est du respect effectif des obligations internationales auxquelles l'Iran a souscrit en tant qu'État, qui interdisent toutes formes de torture, toute privation arbitraire de la vie, et qui garantissent le droit à un procès équitable. C'est donc tout cela que nous recherchons. Nous demandons à l'Iran de respecter ses obligations internationales en matière de droits humains, et nous demandons à la communauté internationale d'exercer de nouvelles pressions, y compris des pressions diplomatiques, pour s'assurer que l'Iran respecte le droit international, comme il s'est engagé à le faire.
Espérez-vous un jour pouvoir vous rendre en Iran ?
Depuis que j'ai pris ce mandat en 2018, je n'ai pas été autorisé à aller dans le pays. Et tous mes prédécesseurs depuis 2011, date à laquelle ce mandat a été rétabli, n'ont pas été autorisés à y accéder. C'est l'une de mes principales préoccupations. Je demande constamment à toutes les parties de m'autoriser à me rendre dans le pays. En fait, je devrais vous parler depuis l'Iran aujourd'hui pour vous expliquer ce qui se passe. Mais le régime iranien me prive malheureusement de cet aspect important de mon mandat. Il ne m'autorise pas à accéder au pays, ce qui demeure un problème majeur pour moi et pour mon mandat.
