Israël, l'autre pays des séries

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Israël, l'autre pays des séries

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Publicités à Tel Aviv pour la nouvelle saison de "Fauda" (arabe : فوضى ; qui signifie « chaos »). Cette série sur la traque d’un responsable du Hamas par des agents israéliens infiltrés est diffusée en Israël depuis 2015, l'année suivante par Netflix
Publicités à Tel Aviv pour la nouvelle saison de "Fauda" (arabe : فوضى ; qui signifie « chaos »). Cette série sur la traque d’un responsable du Hamas par des agents israéliens infiltrés est diffusée en Israël depuis 2015, l'année suivante par Netflix
© AFP - Jack Guez

Le fil culture. La troisième saison de "Fauda" est sortie ce jeudi en Israël. Une histoire qui a séduit le monde entier et distinguée par le New York Times dans un récent classement pour la décennie. Israël confirme être l'un des pays les plus créatifs en matière de séries. Mais comment expliquer cette renommée ?

Des soldats rentrés de captivité au Liban (Hatufim, inspiratrice de Homeland), un père arabe qui enquête sur le meurtre de son fils (Our boys), un artiste contrarié issu d'une famille ultra-orthodoxe (Shtisel), un psychologue qui cherche aussi à se soigner (BeTipul devenu In Treatment), une chirurgienne et sa famille pris en otage chez eux (Hostages), des policiers bras cassés (Hashoter Hatov) et, bien sûr, des commandos têtes brûlées infiltrés dans les territoires palestiniens (Fauda, qui est sortie ce jeudi en Israël et en avril 2020 sur Netflix)...

Entre leurs versions originales et leurs adaptations à l'étranger, voilà près de dix ans que les séries israéliennes ont conquis les téléspectateurs de par le monde. Le New York Times vient d'ailleurs d'en distinguer deux dans son tout récent classement des séries de la décennie : Fauda, en huitième position, et Hatufim, en première place ! (devant Sherlock, pour la Grande-Bretagne, puis Le Bureau des légendes)

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Avec un peu moins de 9 millions d'habitants (autant que la Suisse ou l'Autriche), Israël est devenu un pays éminent en la matière, à l'instar des pays scandinaves. Pour Tamar Kay, scénariste et réalisatrice, les Israéliens disposent de la qualité essentielle pour fabriquer une bonne série :

Nous aimons raconter des histoires. Nous sommes des storytellers, c’est lié à notre religion.

"Prenez la fête de Pessah, la Pâque juive : on est en famille et l'on raconte ce qui est arrivé au peuple d’Israël quand il s’est enfui d’Égypte. Cela se transmet de génération en génération, car la religion nous demande de perpétuer cette histoire".

Nous sommes le peuple du Livre ! C’est en nous. Peut-être également que la nation juive a dû se réinventer à chaque fois durant son histoire pour trouver sa place. Cela nous a rendus créatifs.

A Jérusalem, une banderole publicitaire pour Fauda, série dont les deux premières saisons ont passionné Israéliens et Palestiniens
A Jérusalem, une banderole publicitaire pour Fauda, série dont les deux premières saisons ont passionné Israéliens et Palestiniens
© Radio France - Frédéric Métézeau

Les conflits comme source d'inspiration

Mais l'argument est un peu court : d'autres pays, en Europe ou en Afrique par exemple, ont une solide tradition du conte et du récit, sans pour autant percer dans la production internationale. Alors pourquoi Israël ?

"Notre société a vécu le terrorisme, on a l'armée et l'occupation. Notre société est divisée entre laïcs et orthodoxes ou ashkénazes et séfarades", explique Karni Ziv, responsable des fictions au sein du groupe audiovisuel Keshet, propriétaire de Channel 12, la chaîne la plus populaire du pays.

70 ans après la création d'Israël, nous sommes toujours clivés, instables et de plus en plus polarisés.

Pour Tamar Kay, cette complexité est un terreau fertile :

On est un pays très petit mais avec tellement de cultures et de sous-cultures ! Il n'y a pas que le conflit israélo-palestinien ou bien les conflits religieux. Il y a une multitude de conflits liés à ces sous-cultures. Les conflits sont un carburant à bonnes histoires.

La jeune femme de 34 ans sait de quoi elle parle. Tête nue, longs cheveux noirs lâchés et tenue décontractée, elle a pourtant grandi dans une famille religieuse très observante de Jérusalem avant de rompre avec cette tradition.

Cette communauté orthodoxe est ainsi le théâtre de sa série Unchained ( Matir Agunot), diffusée sur la chaîne publique Kan 11. "À la base, les gens s’intéressent d’abord aux histoires qui se déroulent dans des sociétés aux cultures plus observantes auxquelles ils n’ont pas forcément accès. Mais beaucoup de nos séries parlent de concepts universels comme ces femmes qui veulent s’émanciper de la religion."

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Authenticité et universalité

Consacrées aux conflits israélo-arabes, Hatufim, Fauda ou Our Boys racontent des histoires typiquement israéliennes mais ont connu un succès mondial car elles sont réalistes, juge de son côté Uri Shinar. Ce producteur, parmi les plus connus du pays (ancien PDG de Keshet, il est membre du conseil d'administration de l'autre géant israélien des contenus, Reshet, qui possède la chaîne 13), est ami avec le créateur et acteur principal de Fauda, Lior Raz.

Visage rond, barbe argentée soigneusement taillée et un enthousiasme intact malgré la fatigue d'un déplacement professionnel en Californie, il considère que Fauda a tapé juste :

C'est d'abord une super histoire et de super personnages qui se développent d'une saison à l'autre. Mais le succès des créateurs n'est pas d'avoir été objectifs. C'est plutôt d'avoir présenté les points de vue des deux côtés de façon authentique.

"C'est très dur à faire. Mais peu d'Israéliens impliqués dans le conflit vous diront que ce n'est pas représentatif. Et c'est la même chose du côté des Palestiniens."

Les spécificités de la société israélienne ne freinent donc pas la diffusion des séries à l'étranger, constate Kelly Wright, vice-présidente de Keshet chargée de l'international :

Ici, il y a une forte proportion de gens qui sont nés ou ont grandi à l'étranger. Les gens viennent de partout, nous sommes un pays d'immigrés. Nos contenus doivent s'adresser à tous ces gens et nous devons les représenter tous dans nos contenus. Ils en deviennent donc universels.

Voilà pourquoi certaines séries israéliennes, comme On the Spectrum (où des parents découvrent l'autisme de leur enfant, grand prix du jury à Séries Mania à Lille en 2018) ou bien Hamishim (Fifty), racontent aussi des histoires pouvant se produire n'importe où. Dans Hamishim, Daphna Levin – scénariste et réalisatrice dans la cinquantaine, mère divorcée – met en scène une scénariste et réalisatrice dans la cinquantaine, mère divorcée : "On essaie de faire des séries télés locales, personnelles et honnêtes. La meilleure façon que nos projets aient du succès à l’étranger est de ne pas s’imaginer ce qu’ils vont en dire à l’étranger. Il faut juste penser aux gens d’ici… Quand c’est fait honnêtement, ça devient universel."

Pour elle, l'universalité va de pair avec l'authenticité. Cigarette et verre de vin rouge à la main par un bel après-midi d'été indien dans un café de Tel Aviv, elle affirme :

La télé israélienne n’est pas encore aseptisée. Elle n’est pas encore affectée par le politiquement correct, "me too" et tout ça ! Les productions sont rugueuses, elles viennent des tripes et elles sonnent vraies ! C’est la Uhtspa (le "culot" en hébreu, un trait de caractère typiquement israélien, ndlr) !

Les séries comme soft-power israélien ?

À l'image du cinéma d'Amos Gitai et de Nadav Lapid ou des écrits de David Grossmann, les séries israéliennes se nourrissent de la conflictualité et de la dureté de leur société. Elles n'hésitent pas à mettre en avant ses fractures internes.

Et pourtant, au ministère des Affaires étrangères de ce pays si soucieux de son image à l'étranger, le directeur de la diplomatie culturelle, Ziv Nevo-Kulman, y voit "le potentiel commercial et de soft-power". "Évidemment, poursuit-il, on est concentrés sur la politique et sur le conflit, mais on insiste aussi sur nos 600 "produits culturels" que sont le cinéma, les séries ou la danse..."

C'est du soft-power, car on peut mettre en relation des gens qui, politiquement, ne se parleraient pas. On peut aussi promouvoir une image différente d'Israël.

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Pourtant, Our Boys insiste sur l'un des problèmes majeurs du pays : le déclassement des citoyens arabes israéliens. La série raconte l'enlèvement et le meurtre de trois jeunes Juifs par des terroristes du Hamas puis le meurtre d'un jeune arabe de Jérusalem-est par des colons juifs, en représailles.

L'enquête sur l'assassinat du jeune arabe va beaucoup moins vite qu'après les meurtres des jeunes Juifs. Après la sortie de la série, le 12 août dernier sur la chaîne américaine HBO et sur Channel 12 en Israël, Benyamin Netanyahu a appelé au boycott de cette dernière. Cela semble être un comble pour un Premier ministre très irrité par les actions du mouvement Boycott Disinvest Sanctions (BDS), qui prône un boycott économique et culturel d'Israël. Mais il a dénoncé une série qui "calomnie Israël".

En réponse, le créateur israélien de la série Hagai Lévi nous explique : "Je ne fais pas de propagande. Je n'ai jamais pensé à l'image d'Israël. La série est dédiée aux gens d'Israël ! Mais quelques mois après, je dirais que ça a plutôt servi Israël, car j'ai bénéficié d'une totale liberté d'expression."

Hagai Lévi, créateur de Our boys, la série qui a ulcéré le Premier ministre israélien
Hagai Lévi, créateur de Our boys, la série qui a ulcéré le Premier ministre israélien
© Radio France - Frédéric Métézeau

Pas de grande série politique

Les productions israéliennes sont encore loin d'avoir exploré tous les genres. Il n'y a, par exemple, pas de grande série hospitalière, policière ou, surtout, politique.

A quand le House of Cards ou le West Wing israéliens dans ce pays où la politique est si violente, imprévisible et passionnée ? Alors que les Israéliens vont vivre leur troisième élection législative en onze mois et que le Premier ministre Benyamin Netanyahu est mis en examen dans trois affaires différentes, "la situation politique est tellement folle que l'on aurait du mal à écrire un scénario... Un scénariste m'aurait proposé une histoire proche de ce qui se passe actuellement, je lui aurais dit que ce n'est pas réaliste", confesse Karni Ziv dans un grand éclat de rire. À moins que "Bibi" (Netanyahu) – comme tout le monde l'appelle ici – ne soit un jour l'objet d'une série. Bibi, en voilà un bon titre de série...

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