Israël-Palestine : le ciel et ses étourneaux comme exutoire

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Israël-Palestine : le ciel et ses étourneaux comme exutoire

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« Murmuration » d’étourneaux qui affluent au-dessus de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée juste avant de se poser pour dormir le long de la frontière avec la Jordanie, 10 janvier 2021
« Murmuration » d’étourneaux qui affluent au-dessus de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée juste avant de se poser pour dormir le long de la frontière avec la Jordanie, 10 janvier 2021
© AFP - Menahem Kahana

Le monde dans le viseur. En ce début d’année traditionnellement porteur d’espoir, nous avons choisi de regarder une actualité non de la terre mais du ciel: la migration des oiseaux, leur passage au-dessus d’Israël et des territoires occupés, l’une des routes migratoires les plus empruntées au monde. La saison bat son plein.

C'est l'une des routes migratoires les plus empruntées au monde. Depuis la nuit des temps, des millions de volatiles, volant d’Europe vers l’Afrique, font halte dans les cieux d’Israël et de Palestine. C’est la haute saison en ce moment, janvier-février. Et ce sont les étourneaux sansonnets, chers au cœur et aux yeux de Menahem Kahana, photographe à l’Agence France Presse de Jérusalem, que nous allons suivre en sa compagnie.

En anglais, il existe pour désigner le ballet hypnotique que composent les étourneaux juste avant de se poser pour la nuit un mot très joli, poétique comme le mouvement qu’il représente. On parle de "murmuration". La "murmuration" des étourneaux, c’est ce vol étourdissant, en vagues, de nuées de milliers, de dizaines de milliers de petits oiseaux au coucher du soleil en quête d’un arbre où protéger leur sommeil des rapaces.

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Un défi photographique

Un instant magique, furtif, difficile à anticiper car le lieu peut changer d’un soir à l’autre. Un défi pour le photographe qui souhaite saisir cette poésie du ciel alors que la lumière décline et que le ballet est éphémère.

« Murmuration » d’étourneaux qui affluent au-dessus de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée juste avant de se poser pour dormir le long de la frontière avec la Jordanie, 10 janvier 2021
« Murmuration » d’étourneaux qui affluent au-dessus de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée juste avant de se poser pour dormir le long de la frontière avec la Jordanie, 10 janvier 2021
© AFP - Menahem Kahana

C’est peut-être parce que je prends trop de photos d’enterrements ou de gens en train de se faire tuer et que j’aime faire des choses complètement différentes.

Ainsi parlait Menahem Kahana, lors de la publication de certains de ses clichés de murmurations en janvier 2016. "C’est peut-être aussi parce qu’enfant, j’aimais observer les oiseaux. Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que je fais ça pour mon plaisir."

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"En ce moment, explique-t-il, nous photographions beaucoup de personnes en train de se faire vacciner, de manifestations contre le gouvernement… Photographe d’agence, ce sont en effet les photos d’actualité qui font votre quotidien, actualité bien souvent dans cette région du monde faite de conflits, crises politiques, violences..." Alors, à partir du mois de janvier, Menahem Kahana guette, garde les yeux au ciel, cherche à deviner où les nuées d’étourneaux exécuteront leur danse du soir. Et entre deux sujets d'actualité, il file vers sa passion.

"Le soleil se couchait, une lumière rouge qui devient violette, le bruit des oiseaux, comme un grand orchestre, ils se déplacent doucement, lentement."
"Le soleil se couchait, une lumière rouge qui devient violette, le bruit des oiseaux, comme un grand orchestre, ils se déplacent doucement, lentement."
- Menahem Kahana

Cette année, la nuée l’entraîne vers la Cisjordanie occupée, où ses dernières photos ont été saisies le 10 janvier. "La zone n’est pas facile d’accès, explique-t-il, au milieu de la vallée du Jourdain." Menahem Kahana avait remarqué que les étourneaux volaient vers le nord et l’est et a tenté de suivre cette route depuis la terre. "C’est un peu un travail d’espion, relate-t-il. Il ne faut pas perdre la trace, les oiseaux volent vite, les pistes l’hiver sont défoncées. Vous guettez, vous attendez, vous ne savez s’ils viendront. Et soudain, c’est incroyable, fascinant. Les voilà."

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"Ce 10 janvier, J’étais seul, le soleil se couchait, une lumière rouge qui devient violette, le bruit des oiseaux, comme un grand orchestre, ils se déplacent doucement, lentement, vous pensez qu’ils vont se coucher et puis ils repartent, ils remontent, ils dansent autour de moi. C’est un cercle de  2 à 3 kilomètres de rayon. C’est un choc et un émerveillement. Et puis ils se posent et la nuit tombe."

"Vous pensez qu’ils vont se coucher et puis ils repartent, ils remontent, ils dansent autour de moi. C’est un choc et un émerveillement. Et puis ils se posent et la nuit tombe."
"Vous pensez qu’ils vont se coucher et puis ils repartent, ils remontent, ils dansent autour de moi. C’est un choc et un émerveillement. Et puis ils se posent et la nuit tombe."
- Menahem Kahana

Comme un instant de féerie volé. "L’actualité est répétitive ; là c’est une magie toujours incertaine. L’année dernière, je n’ai pas réussi à les trouver. Je n’ai pas eu de belle scène. Car il faut aller vite, changer d’objectif. Je n’ai pas la pression de la concurrence car je suis seul mais le temps de la danse est court, les oiseaux virevoltent et il faut saisir le moment qui composera un tableau, qui parlera à chacun de nous. Pour moi c’est important, vital de faire ces photos, de composer d’autres images, de beauté."

Le ciel comme échappatoire aux frontières

Le ciel comme échappatoire.

Particulièrement en ce moment, nous sommes en confinement, personne ne peut bouger, se déplacer, nous ne pouvons aller à l’étranger. Eux, ils font ce qu’ils veulent, ils vont où ils veulent. Ils n’ont pas de frontière. Je suis toujours ébloui par cette liberté. Ils sont les seuls du règne animal.

"Les frontières bloquent les autres espèces. Entre l’Égypte et Israël, ce sont des murs de 7 mètres, en métal ; les animaux restent bloqués de chaque côté des barrières ; les gazelles ne peuvent plus se retrouver comme elles l’ont fait pendant des siècles."

"Nous ne sommes que frontières, avec le Liban, l’Égypte, les territoires, la Cisjordanie… Je me souviens lors d’un reportage en Jordanie d’un bédouin que j’avais rencontré un bédouin d’Hébron, coincé en Jordanie depuis 1967, il n’a jamais revu sa famille. Tout le monde doit affronter cela sauf les oiseaux."

Nous avons les frontières dans la tête, nous n’avons pas besoin d’y penser, elles sont inscrites en nous. Et elles se multiplient. En ce moment encore plus, les murs du confinement viennent comme une nouvelle barrière.

Ce sont aussi ces photos, au-delà du rêve d'une liberté de mouvement impossible sur terre, des moments volés qui échappent au confinement…

« Murmuration » d’étourneaux qui affluent au-dessus de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée juste avant de se poser pour dormir le long de la frontière avec la Jordanie, 10 janvier 2021
« Murmuration » d’étourneaux qui affluent au-dessus de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée juste avant de se poser pour dormir le long de la frontière avec la Jordanie, 10 janvier 2021
© AFP - Menahem Kahana

"Et ces oiseaux-là dessinent au-dessus de nos têtes des formes sans cesse changeantes. Cette photo s’inscrit en fait dans une série, il faudrait toutes les voir pour comprendre. La nuée forme comme un voile, puis un serpent, un squelette, un soldat… Chacun y voit selon son imagination."

Une main qui lancerait une pierre ? Une pierre jetée par une fronde ? Une pierre céleste par-delà la montagne et les frontières ? Menahem voit plutôt des mouvements qui se croisent, des espèces qui se mêlent librement : "Vous les voyez ? Ils traversent la nuée, ce sont des choucas, ils sont plus gros que les étourneaux mais plus petits que des corneilles. Regardez, ils volent dans l’autre sens. Je ne les avais pas remarqués quand j’ai pris la photo."

Car le décalage avec la légende ne saurait mieux exprimer ce paradoxe du ciel et de la terre en cet endroit du monde, que soulignent les oiseaux et qu'illustrent ses photos : ces oiseaux qui envahissent le ciel de la Cisjordanie occupée avant de se poser pour dormir le long de la frontière avec la Jordanie… Nulle occupation ou frontière dans un ciel ouvert à toutes les espèces.

Dans la série de cette année, il y a aussi cette autre photo :

« Murmuration » d’étourneaux qui affluent au-dessus de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée juste avant de se poser pour dormir le long de la frontière avec la Jordanie, 10 janvier 2021
« Murmuration » d’étourneaux qui affluent au-dessus de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée juste avant de se poser pour dormir le long de la frontière avec la Jordanie, 10 janvier 2021
© AFP - Menahem Kahana

"Une murmuration qui copie la montagne, la fait grandir dans le ciel, comme une peinture un trait de plume dans le ciel, ajoute Menahem. Mais pour moi je ne vois pas chaque photos séparément. Je vois la séquence, comme un film, je vois un serpent qui se transforme en autre chose, je vois un animal avec sa bouche puis une montagne puis de petits groupes qui s’éparpillent avant de se retrouver. Une construction-déconstruction à l’infini."

Infini comme Apeirogon, le titre du dernier Colum McCann, qui décrit si bien ces oiseaux dans ces territoires. "Cinq cents millions d’oiseaux survolent les collines de Beit Jala chaque année. Ils voyagent depuis la nuit des temps : huppes, grives, gobe-mouches (…) C’est la deuxième autoroute migratoire la plus empruntée au monde : au moins quatre cents espèces différentes y déferlent en circulant à des altitudes différentes. De grands V prêts à klaxonner ; des voyageurs solitaires rasant l’herbe."

Chaque année un paysage différent apparaît au-dessous d’eux : colonies israéliennes, immeubles palestiniens, jardins de toit, casernes, barrières, routes de contournement.

C’est donc une route migratoire sans frontière entre l’Europe et l’Afrique… Mais ce rêve n’est pas sans danger, les oiseaux peuvent être la proie des chasseurs, de leurs filets, des frondes et pierres palestiniennes, des avions militaires israéliens, des prédateurs, aigles ou faucons… Une route aussi de dangers mais de liberté.