Alors que l'on célèbre cette année les 700 ans de la mort du père de la langue italienne, Dante Alighieri, les Italiens utilisent de plus en plus d'anglicismes. Au point que certains réclament une loi pour défendre leur langue.
Même le président du Conseil italien Mario Draghi semble s’inquiéter pour sa propre langue. Le 12 mars dernier - il ne dirigeait le gouvernement que depuis un mois et prononçait l’un de ses premiers discours – il se reprenait devant ses auditeurs : "Pour ceux qui ont une activité qui ne permettent pas le télétravail (NDLR il prononce smartworking), (…) nous proposons une contribution babysitting." Le président du Conseil fait alors une pause et s’interroge : "Je me demande pourquoi on doit utiliser tous ces mots anglais ?".
Ce jour-là, le président de l’Accademia della Crusca, l’une des plus prestigieuses associations qui se consacre à la diffusion et à l’étude de la langue italienne depuis près de 500 ans, Claudio Marazzini, savoure ce moment ; heureux que le président du Conseil aborde le "problème des anglicismes avec légèreté et en plaisantant". Mais il ajoute que "sa position a été comprise". Selon Claudio Marazzini :
Lorsque les gens critiquent l'utilisation excessive de termes anglais, ils sont accusés de provincialisme. Dans le cas de Mario Draghi, il est difficile de l'accuser étant donné qu'il fait des discours en anglais depuis des années.
Un peu plus d’un mois plus tard, le 27 avril, le président du Conseil s’étonne de nouveau et s’arrête sur le mot "governance" dans un discours et se reprend : "ce que certains appellent governance" dit-il avec ironie.
Avec la pandémie, de nouveaux mots - presque tous anglais
La langue italienne est en effet "polluée" selon certains par trop d’anglicismes. Et depuis le début de la pandémie, de nouveaux mots sont apparus et pratiquement tous sont anglais. Les Italiens utilisent un "computer" avec une "mouse" pour faire du "smartworking" pendant le "lockdown" (NDLR confinement). Mais pour la jeune génération c’est une question de son. "Cela sonne mieux" selon Luca, 28 ans. Il parle cinq langues et vit et travaille en Russie où dit-il "des mots anglais commencent également à apparaitre même dans un pays où la culture est pourtant très forte". Luca se demande d’ailleurs si l’anglais ne va pas se diffuser maintenant dans la langue chinoise ! Son ami Lorenzo, 27 ans, travaille lui à Venise avec les touristes et estime que l’anglais va de toutes façons devenir la langue "standard" :
Aujourd'hui, entre jeunes, on voyage, on travaille en Espagne, en France et on ne parle pas italien, on parle tout de suite anglais parce que c'est la langue que la majorité des gens connaisse. C'est plutôt par facilité je pense !
"La moitié des néologismes sont des mots anglais"
Les plus jeunes ne s'inquiètent pas pour leur propre langue et voient plutôt les anglicismes comme une ouverture au monde. L’essayiste et linguiste Antonio Zoppetti est bien plus inquiet. Il étudie les dictionnaires depuis trente ans maintenant : "En 1990, il y avait environ 1 700 anglicismes, en 2021 nous en sommes à 4 000" explique-t-il "en une génération, nous avons importé 2 300 mots anglais qui désignent tout ce qui est nouveau : 50% des néologismes sont des mots anglais !". Les anglicismes sont le plus souvent utilisés par les médias, selon Antonio Zoppetti, qui a décidé de présenter une pétition au parlement comme le prévoit l’article 50 de la Constitution. Il veut obtenir une "loi de défense de la langue italienne menacée par l’abus de l’anglais". Mais si la pétition a été déposée, un parlementaire doit maintenant s’en saisir pour que la loi soit discutée et ce n’est pas encore le cas. L’un des objectifs symboliques d’Antonio Zoppetti est de faire inscrire la langue italienne dans la Constitution alors que même le drapeau italien est mentionné.
Fin 2015, l'Accademia della Crusca avait déjà dit basta aux anglicismes et avait monté une police de prévention. Des experts avaient alors proposé le terme "familles homoparentales" plutôt que "familles gays", pour le projet de loi sur le sujet. Ils préféraient également "Centre d’identification des migrants" à "Hotspot". Le président du Conseil de l'époque, Matteo Renzi, ayant fait adopter le Jobs Act, autrement dit "réforme du marché du travail" ou encore la Spending Review, la réduction des dépenses budgétaires.
En France, les députés ont introduit le 12 mai 1992 dans la Constitution à l'article 2 l'alinéa suivant : "La langue de la République est le français". C'était une première. La France venait de signer le traité de Maastricht et craignait que l’anglais s’impose dans l’Union européenne.