Jasmin, encens, vétiver… Capturer ces senteurs prisées et enivrantes est tout un art. Dominique Roques, sourceur d'essences naturelles, dévoile les secrets de fabrication de nos parfums.
Dominique Roques est un chasseur d’essences naturelles pour parfum. Depuis plus de 30 ans, il part en quête des odeurs les plus exceptionnelles, du Laos à Haïti en passant par la Géorgie. Il vous livre les secrets de trois essences merveilleuses : le jasmin, le vétiver et l’encens.
L’encens, parfum millénaire
“C'est la résine d'un petit arbre pas très grand qui pousse dans la Corne de l'Afrique. Et pour trouver les arbres à encens, il ne suffit pas d'arriver au Somaliland, il faut aller loin, l'arbre aime se cacher, il aime pousser en altitude dans des anfractuosités de rochers, c'est très étonnant", décrit Dominique Roques.
Rimbaud en raffolait… L’odeur de la résine des arbres à encens est un concentré d’arômes chauds, aux notes de térébenthine et d'agrumes. Pour récolter ce nectar fabuleux, il faut inciser le tronc gris de l’arbre et récupérer la résine qui, à l’air libre, sèche et se transforme en perles, chargées en arômes.
“Ils sont là depuis 5 000 ans, en tout cas, depuis que l'homme les a trouvés et les premières récoltes de larmes, d'encens. Finalement, plus on cherche, plus on recule mais on sait que les Égyptiens, 3 000 ans avant Jésus-Christ, venaient et commençaient à faire du négoce d'encens pour s’approvisionner et c'était une odeur tellement fabuleuse qu'ils ont fait des expéditions spécifiques pour arriver à aller s'approvisionner en encens", continue le sourceur.
Dans l’Égypte antique, la reine Hatchepsout raffole tellement de l’encens qu’elle organise une expédition pour déraciner des arbres et les acclimater dans son pays, en vain. Les fumées de l’encens, envoûtantes, servaient d’hommages aux divinités.
Le jasmin, la fleur voyageuse
"Son odeur est d'une telle intensité et elle nous attire sur des chemins olfactifs tellement facettés, qu’elle nous séduit. L'odeur du jasmin monte directement à notre cerveau et nous procure une sensation de bonheur, tout simplement de bonheur absolu", détaille Dominique Roques.
Chez Guerlain, Dior, Chanel, Lancôme, le jasmin est partout, les parfumeurs l'adorent. Cette fleur blanche précieuse, qu’on trouve surtout en Europe et en Asie, est devenue l’un des emblèmes de Grasse, capitale du parfum. Ils cultivent le jasmin depuis le XVIIe siècle, perchés sur les hauteurs de Cannes.
"C'est une plante qui est originaire de l'Himalaya ou de l'Inde et que les commerçants arabes ont très vite apprivoisée et qu'ils ont commencé à faire voyager et qu'ils ont distribuée tout autour de la Méditerranée. Avec les aventures coloniales, l'empire colonial français, on a transporté le jasmin au Maroc, puis en Algérie", rajoute-t-il.
À chaque voyage, la plante grimpante développe d’autres parfums, tous plus enivrants : à Grasse, il est équilibré entre fruité et floral, en Égypte, il est suave et encore plus fruité et dans le sud de l’Asie il est plus sucré, rappelant le lilas et le muguet.
Le vétiver, entre beauté et misère
La distillation de cette racine provoque l’une des odeurs les plus boisées de la palette des parfumeurs, avec des notes fumées qui la rendent unique.
"On s'est aperçu que l'essence de Vétiver était probablement une des plus belles odeurs sur Terre, il a donc s'agit ensuite de savoir où on allait s'installer pour produire des quantités d’essence de vétiver. Alors, les Français, faisant toujours la course en tête sur ces sujets-là, ont entraîné le vétiver à la Réunion, puis dans tout l'océan Indien, à Madagascar, et ils ont essayé partout et puis finalement, un peu avant la Seconde Guerre mondiale, le vétiver est parti en Haïti", raconte Dominique Roques.
Aujourd’hui, 70% de la production mondiale de vétiver vient d’Haïti. Il est cultivé uniquement dans un tout petit périmètre du pays, à la point sud-ouest de l’île. 50 000 familles de fermiers y vivent du commerce du vétiver, dans des conditions déplorables. La situation politique y est instable, les ouragans réguliers. Un contexte qui pourrait grandement menacer la culture de vétiver. Alors pourquoi ne pas délocaliser cette production ? Ou soutenir d’autres cultures comme en Indonésie ou en Chine ?
"La question du soutien et à quel moment on encourage les nouvelles sources à émerger est très compliquée. Elle est compliquée techniquement et économiquement. Et je rajoute qu'elle est très compliquée émotionnellement. Dans des pays comme Haïti, Madagascar -et la vanille en est un autre exemple- quand on arrive à ce degré de pauvreté et qu'on voit à quel point ces gens dépendent d'un produit, franchement, on fait très attention à ce qu'on fait et aux décisions qu'on prend qui pourraient infléchir ces situations", confie le sourceur.
Reconnaître les essences naturelles à leur juste valeur, comme un produit de luxe essentiel aux parfumeurs, pourrait être un premier pas vers la protection des producteurs et la sauvegarde des cultures.
À lire : Cueilleur d'essences : Aux sources des parfums du monde de Dominique Roques. Grasset, mars 2021.