Jean-Claude Carrière : "Etant un conteur, je préfère me dissimuler derrière des personnages"

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Jean-Claude Carrière : "Etant un conteur, je préfère me dissimuler derrière des personnages"

Peter Brook et Jean-Claude Carrière travaillant sur "Le Mahâbhârata" aux Bouffes du Nord.
Peter Brook et Jean-Claude Carrière travaillant sur "Le Mahâbhârata" aux Bouffes du Nord.
© Getty - Julio Donoso/Sygma

1996. Dans ce troisième volet d'"A voix nue", Jean-Claude Carrière parle de son travail d'écriture, de sa collaboration avec Peter Brook, de sa passion pour le théâtre et notamment les pièces de Shakespeare et de Tchekhov, et de ce qu'un auteur doit parler pour les autres.

Jean-Claude Carrière, invité de cette semaine d'"A voix nue" diffusée en 1996,  s'exprime sur le métier d'écrire. Il dit l'apprendre encore "tous les jours" car il n'y a pas de recettes, "on ne peut jamais savoir".

Dans l'histoire de la poésie française, à la fin du 17ème siècle, on a établi des règles pour "comment faire de la poésie". Le résultat est que pendant les cent ans qui suivent, tout le 18ème siècle, il n'y a plus un seul poème dont nous nous souvenions encore aujourd'hui. Il ont tous disparu. On a fait des millions de vers et pas un seul poème. Tout simplement parce qu'on a appliqué des règles, parce qu'on croyait avoir trouvé le secret.

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Son travail avec le metteur en scène Peter Brook qu'il mène depuis 23 ans est essentiel pour lui. Ainsi, la pièce de neuf heures "Le Mahâbhârata", il confie qu'il ne l'aurait jamais écrite sans lui.

Le travail que j'ai fait avec Peter Brook est primordial en ce qui me concerne. C'est peut-être le plus difficile et le plus abouti de tout ce que j'ai fait.

"A voix nue" avec Jean-Claude Carrière 3/5. Diffusion du 03/04/1996

28 min

Aucune expression n'est individuelle. Toute expression provient de la collectivité dans laquelle vit un auteur, inévitablement. Même s'il essaye de se renfermer, de se couper, quelque chose lui viendra du monde. On ne parle jamais seul. Je crois que l'idée très fin 19ème de l'auteur enfermé dans sa petite chambre et qui exprime son univers, comme on exprime un jus de citron, et qui par la fenêtre ouverte transmet son petit univers - ou grand univers dans le cas de Proust - au reste du monde, cette image de l'auteur aujourd'hui ne nous convient plus. Le monde nous a rattrapés. Le monde a pénétré dans notre chambre si capitonnée qu'elle soit et inévitablement, notre voix devient la voix de tous.

Pour Jean-Claude Carrière, " Shakespeare est le conteur suprême" car on aura beau passer toute notre existence à lire ses pièces, on ne saura "jamais rien sur lui", "il a finalement disparu" derrière ses textes.

Le sommet de la gloire c'est l'anonymat. C'est très étrange, j'ai l'air de dire que l'auteur doit disparaître pour exister, et bien il y a quelque chose de vrai là-dedans. Shakespeare parle avec des millions de voix dans la sienne. La preuve est qu'il est joué aujourd'hui des siècles plus tard dans le monde entier.

A la fin de l'entretien, Jean-Claude Carrière parle de ses regrets éventuels.

Un auteur regrette toujours mille choses, il a toujours plein de cadavres dans le cimetière de ses propres éléphants. [...] Je crois que tout bon auteur doit mourir en laissant une immensité de projets inachevés.

La Grande table (1ère partie)
27 min
  • "A voix nue" 3/5
  • Première diffusion le 03/04/1996
  • Producteur : Lucien Attoun
  • Réalisation : Nicole Salerne
  • Indexation web : Odile Dereuddre, de la Documentation de Radio France
  •  Archive INA - Radio France