Jeffrey Epstein : une affaire française

L'appartement de Jeffrey Epstein à Paris, avenue Foch.
L'appartement de Jeffrey Epstein à Paris, avenue Foch.

L’affaire Jeffrey Epstein : une affaire française

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Jeffrey Epstein : une affaire française

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Enquête | Le suicide en prison de Jeffrey Epstein, à New-York, le 10 août 2019 a causé la stupeur aux Etats-Unis. Le milliardaire, arrêté le 10 juillet en provenance de Paris, était accusé d’avoir organisé depuis des années un réseau de traite des êtres humains, et notamment de mineures, à des fins sexuelles.

Depuis la mort de l'homme d'affaires américain Jeffrey Epstein, de nombreuses pièces du volumineux dossier judiciaire ont été déclassifiées, soit plus de 2 000 documents. Et ses connexions avec des personnalités, mais aussi avec la France, ont été mises au jour.

Qui est Jeffrey Epstein ?

Jeffrey Epstein a été décrit comme "milliardaire" à de multiples reprises. A ce jour, sa fortune s’élève officiellement à 577 millions de dollars. Il aurait mis selon Forbes 56 millions de dollars dans un nouveau trust nommé 1953 Trust, ouvert deux jours avant sa mort, et dont on ignore les bénéficiaires.

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Issu de la classe moyenne américaine, Jeffrey Epstein est né dans un quartier modeste de Brooklyn. Il est d'abord professeur de maths/physique à la Dalton school, un lycée huppé de New York. Il se constitue un carnet d’adresses fourni, avant de changer de métier. Il devient trader, puis gestionnaire de fortunes.

Il s’occupera surtout de la fortune d’un grand patron américain : Leslie Wexner, qui possède notamment la marque de lingerie Victoria's Secret. En 1986, il devient son bras droit. 

Que lui reproche-t-on ?

La police américaine lui reproche d’avoir organisé un réseau de traite des êtres humains à des fins sexuelles, et notamment des mineures. Pendant des années, il aurait abusé de dizaines de jeunes filles dans ses nombreuses résidences. 

La toute première affaire remonte à 1996. Une artiste peintre affirme qu'il l'a agressée chez lui à New York à plusieurs reprises, ainsi que sa sœur de 16 ans. Mais à ce moment-là aucune enquête n’est menée, alors que la jeune femme affirme avoir contacté la police de New York puis le FBI. 

En 2005, une jeune fille de 14 ans de Palm Beach, en Floride, accompagnée de ses parents, affirme à son tour avoir été agressée sexuellement par Jeffrey Epstein chez lui, avec la complicité d'une femme. 

Cette femme serait Ghislaine Maxwell, la fille du sulfureux patron de presse Robert Maxwell. La police enquête et recueille de nombreux témoignages. Ghislaine Maxwell aurait approché les jeunes filles à la sortie du collège, du lycée, dans un hôtel où elles travaillaient... Ayant besoin d’argent, elles auraient accepté de se rendre chez Epstein pour faire des massages contre 200 ou 300 dollars. Mais ces massages se seraient transformés en attouchements et en agressions sexuelles. 

Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell, en 2005.
Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell, en 2005.
© Getty - Patrick McMullan

Un accord de plaider coupable 

S’il avait été reconnu coupable de relations sexuelles avec des mineures, Jeffrey Epstein aurait risqué la prison à vie. Mais un accord secret est conclu fin 2007 entre le procureur de Floride et l'avocat d'Epstein. Cet accord prévoit qu’il n'écopera finalement que de 18 mois de prison ferme. De plus, tous ses potentiels complices, dont Ghislaine Maxwell, bénéficient de l'immunité. Finalement, il n'effectuera que 13 mois sur 18, dans des conditions très favorables.

L’affaire rebondit en 2015, alors qu’Epstein tente de redorer sa réputation. Virginia Roberts Giuffre dépose plainte en Floride. Elle affirme qu’Epstein l'a forcée à avoir des relations sexuelles notamment avec le prince Andrew, le frère du prince Charles, alors qu’elle était mineure. Et elle porte plainte également contre Ghislaine Maxwell qu’elle décrit comme la tenancière de la maison Epstein. Elle lui reproche de l’avoir formée à se soumettre aux volontés d’Epstein. 

En novembre 2018, le Miami Herald publie ses propos dans une longue enquête qui fait scandale car elle revient sur l’accord VIP dont a bénéficié Epstein. Le 6 juillet 2019, alors qu’il descend de son Boeing privé à New York, après trois semaines passées à Paris, Jeffrey Epstein est arrêté.

Trois jours plus tard, il est inculpé. Et le 10 août dernier, on le retrouve pendu dans sa cellule. 

Jeffrey Epstein et Paris 

Jeffrey Epstein a beaucoup fréquenté Paris. L’examen du registre des vols de 1995 à 2013, que la cellule investigation de Radio France a passé au peigne fin, révèle qu’il s’y rend épisodiquement de 1995 à 2000.

Puis, en 2001, il acquiert un appartement de luxe de 800 mètres carrés 22 avenue Foch, aujourd’hui estimé dans son testament à 7,8 millions d’euros. Selon son majordome que nous avons rencontré, il séjournait ainsi plusieurs fois par an dans la capitale, accompagné de jeunes femmes.

Parmi elles, se trouvait Virginia Roberts. Celle qui l’accuse aujourd’hui d’avoir fait d'elle l'une de ses esclaves sexuelles. Elle arrive à Paris en mars 2001, à 17 ans, en compagnie de Ghislaine Maxwell, l'ex-compagne du financier. Sur les registres de vol, d’autres prénoms de femmes apparaissent, de même que dans le "carnet noir" de Jeffrey Epstein où une colonne "massage Paris" répertorie une trentaine de prénoms féminins. Elles restent quelques jours avant de repartir, nous a expliqué l’intendant. Certaines accompagnent Epstein dans les soirées mondaines de la capitale. 

Dans chaque résidence, des employés "chargés de recruter des lycéennes" 

Jeffrey Epstein avait grande confiance en ses employés, notamment son majordome parisien. Il affirme que son patron l’a appelé pour le prévenir de son arrestation. En dix-huit ans de service, cet employé fidèle assure n’avoir rien vu de suspect. Ni à Paris, ni dans ses autres résidences de New York et de Palm Beach, où il a formé le majordome américain d’Epstein au "service à la française".

D’après Bradley Edwards, l’avocat américain de plusieurs victimes présumées de Jeffrey Epstein, ce dernier "avait dans chacune de ses résidences des employés, des associés, dont le seul travail était de recruter pour lui des lycéennes et des jeunes femmes vulnérables. Les messages pour faire venir les filles étaient : "Tu peux te faire 200 dollars en faisant un massage à un type riche", ou bien "Tu peux devenir mannequin, j’ai des relations dans le milieu". Mais une fois chez lui_, "Jeffrey Epstein utilisait la table de massage pour convertir une situation en apparence normale et légitime en agression sexuelle, en manipulation et brutalité"._ 

Depuis l’ouverture de l’enquête en France, le majordome est retourné dans l’appartement, sur demande du "1953 Trust", auquel Epstein a confié toute sa fortune. Ces derniers temps, il vivait toute la semaine au 22 avenue Foch, sa femme affirmant que le trust qui le gère désormais le rémunère toujours. 

La police a perquisitionné les lieux le 23 septembre dernier.

Jean-Luc Brunel, la connexion française d’Epstein 

Jean-Luc Brunel, ex-patron de l’agence de mannequins Karin Models, est cité à de nombreuses reprises dans l'affaire Epstein. Il est soupçonné de lui avoir procuré des jeunes femmes, dont des filles mineures. Au cours de cette enquête, la cellule investigation de Radio France a recueilli un nouveau témoignage accablant. Une ancienne mannequin, Courtney Soerensen, nous a raconté qu'il l'avait agressé sexuellement en 1988, alors qu’elle n’avait que 19 ans, avenue Hoche, chez lui, lors d’une fête. Sous prétexte de vouloir lui montrer ses tableaux, il parvient à l'emmener jusqu'à sa chambre : 

Il tente de me pousser sur son lit, je résiste, il persiste. Il essaie alors violemment de défaire ma chemise. Je parviens à m'enfuir de la chambre, raconte-t-elle.

Après cette soirée, les castings et les shootings photos se font rares. Elle est contrainte de changer d’agence.

VIDÉO - Le témoignage de Courtney Soerensen

L'ancien avocat de Jean-Luc Brunel dément 

Le parquet de Paris a ouvert le 23 août 2019 une enquête pour viols et agressions sexuelles, notamment sur mineures, dans le cadre de l'affaire Epstein.

Trois dépositions ont été faites auprès de la police fin août et début septembre 2019. Nous avons tenté de joindre Jean-Luc Brunel à plusieurs reprises pour une interview ou un commentaire. À ce jour, il n’a pas donné suite à nos demandes. Mais Joe Titone, son ex-avocat, que nous avons pu joindre, nous a précisé : 

Jean-Luc a toujours nié avoir eu le moindre geste déplacé envers les femmes, et il a toujours nié avoir été impliqué dans les actes sexuels répréhensibles d‘Epstein. Ils étaient amis mais il m’a toujours dit qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’il faisait avec des mineures.

Quant à savoir où se trouve Jean-Luc Brunel aujourd’hui, il ajoute : "Il m’a appelé la semaine dernière. Il m’a dit qu’il avait le moral et qu’il allait bien. On a dit qu’il était en Amérique du Sud, mais je ne pense pas que ce soit vrai. S’il est quelque part, c’est plutôt en Thaïlande. Il a un ami là-bas.