Jeu vidéo : le futur du soft power ?

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Jeu vidéo : le futur du soft power ?

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*Le ** soft power est à ce jour peu présent dans l'industrie du jeu vidéo. Pourtant, son interactivité, sa réception et sa consommation souvent globalisées en feraient un outil de diffusion privilégié.

Pokemon
Pokemon
- Persocomholic

**« Les jeux des enfants ne sont pas des jeux, et il les faut juger en eux comme leurs plus sérieuses actions » ** assénait déjà Montaigne dans ses Essais . Or, depuis quelques années, le jeu vidéo s'est fait une place de choix dans le monde des industries créatives en s'affirmant comme un média à la fois à part et à part entière. Mais son positionnement face au s oft power reste toujours aussi fuyant, ambigu et, finalement, très peu étudié. Pourtant, il est indéniable que le jeu vidéo est devenu au fil du temps l'une des toutes premières industries numériques mondiales en touchant tous les continents, principalement l'Europe et la France, et en voyant le nombre de joueurs augmenter et se diversifier en permanence. Sa forte diffusion le place naturellement comme un média de tout premier plan. Ce constat est d'ailleurs renforcé par le point fort et essentiel du jeu vidéo : son caractère interactif, qui permet au joueur de mieux saisir les événements décrits, voire le message, par le biais de sa participation directe, à l'inverse des médias plus « classiques » (lecture, visionnage). Le jeu vidéo fait passer des émotions à travers la confrontation de la psychologie des personnages et sa mise en scène rythmée avec l'habilité et le caractère du joueur.

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Ainsi, le soft power devrait selon toute vraisemblance être l'apanage du jeu vidéo. Cependant, il n'en est en rien. Comme le souligne Julien Chièze, co-fondateur de Gameblog et spécialiste du jeu vidéo, « trop peu de jeux vidéos véhiculent des messages ». Cela se confirme quand on regarde de plus près l'industrie japonaise, l'une des principales du secteur : « Dans le jeu vidéo japonais, on se replie vers le fun . Miyamoto, directeur-général de Nintendo EAD, demande même de supprimer les histoires » affirme même Julien Chièze. Le divertissement, le plaisir de jouer comme fin, prend ainsi le pas sur le message à faire passer, le plaisir de jouer comme moyen. C'est d'ailleurs par le divertissement que l'industrie attire ses nouveaux joueurs, les classes d'âge plus élevées, qui cherchent l'aspect ludique ou pratique du jeu vidéo avant toute autre chose. Prôner le divertissement rapide et consommable facilement permet d'assurer et de diversifier les ventes plus facilement qu'en construisant une histoire qui ne peut intéresser le public dans sa globalité.

**Un suivisme idéologique imposé par un ** modèle économique

The Sims
The Sims
- swordw

« Le jeu vidéo est avant tout une industrie mondialisée qui ne doit pas froisser les susceptibilités nationales » explique Olivier Mauco, doctorant à l'université Panthéon-Sorbonne et chargé d'enseignement en sciences politiques. Pour vendre, il ne faut pas risquer de choquer le consommateur et choisir soit le parti du divertissement total comme Nintendo, soit le parti du suivisme idéologique. L'industrie du jeu vidéo se propose ainsi de suivre les idéologies, plus qu'elle ne les initie. Les licences Call of Duty, Medal of Honor et Ghost Recon sont par exemple en plein mimétisme des politiques publiques américaines en médiatisant l'armée, tout en faisant l'apologie du soldat, de la camaraderie et du zéro mort. Et Julien Chièze de renchérir : « Aujourd'hui, les trois ennemis dans le jeux vidéo sont les Russes, les Musulmans et les monstres ». De même, le jeu vidéo reprend les clichés du cinéma face à un joueur aussi cinéphile. Il se pose alors comme un média qui en suit volontairement un autre à succès. Enfin, le suivisme idéologique peut aussi reposer sur des états de fait, comme le consumérisme ambiant du XXIe siècle. La licence des Sims fonctionne parce que le joueur est consumériste dans la vie réelle. Ce n'est pas l'idéologie libérale du jeu qui influe le joueur, mais bien l'inverse.

Néanmoins, cela ne veut pas dire que le soft power n'existe pas en tant que tel dans les jeux vidéos. Outre quelques jeux de piètre qualité proposés par les partis politiques ou encore la banque centrale européenne, produits qui font l'apologie de leurs idées et actions, ou bien l'épiphénomène des néonazis qui tentent de recruter via les jeux de guerre, il existe quelques rares jeux qui défendent ou critiquent une idéologie à la manière du soft power , c'est-à-dire en faisant passer le message en arrière-plan. On constate alors que les tenants du soft power vidéoludique ne sont pas les Etats ou les institutions financières, mais certaines sociétés de l'industrie du jeu vidéo qui brillent par leur indépendance et leur liberté de ton. Ces sociétés, malgré leur rareté, forment ainsi un vecteur de soft power important et ancrent certaines de leurs licences comme de solides références du paysage vidéoludique de part leur qualité et leur côté novateur.

Des licences qui se démarquent

Civilization IV
Civilization IV
- Stephen Dowes

Quelques licences se démarquent ainsi des autres : Metal Gear Solid , Grand Theft Auto , Civilization, Fallout et BioShock. Metal Gear Solid 2 propose une critique de la digitalisation du monde, quand Metal Gear Solid 3 souligne le caractère dangereux des sociétés militaires privées, bien avant que celles-ci n'apparaissent à l'opinion publique lors des conflits récents. De même, la saga des* Grand Theft Auto* de Rockstar Games est une critique assumée et récurrente du rêve américain et du consumérisme contemporain. Un jeu comme Civilization de MicroProse défend, lui, la démocratie en le plaçant comme le meilleur des systèmes politiques, tout simplement en incitant le choix à suivre cette voie pour arriver à une fin de l'Histoire où le système le plus productif est le système démocratique. *Fallout * d'Interplay Enternainment milite, de son côté en faveur de la dénucléarisation en mettant en scène un univers post-apocalyptique né de l'utilisation d'armes nucléaires, soulignant par là l'impuissance politique des Etats face à une menace de tout de premier ordre. Cependant, nombre de connaisseurs du jeu vidéo, dont Olivier Mauco et Julien Chièze, s'accordent pour dire que le jeu le plus porteur de soft power est sans aucun doute BioShock de 2K Games. BioShock se pose en effet comme une critique retentissante de l'idéologie libertarienne du Atlas Shrugged d'Ayn Rand et du concept de « Gulch » avec le monde dystopique de Rapture, immense cité sous-marine vivant en autarcie complète au fond de l'océan Atlantique, symbolisant la la fin de l'Etat et début de l'ère de l'absolue liberté pour l'individu. C'est aussi une critique acide de la posture objectiviste défendue par la même essayiste américaine, posture privilégiant l'amoralisme complet dans les relations humaines et la quête du bonheur personnel dans une société du laisser-faire. Bien sûr, d'autres licences sont porteuses de soft power , comme les *Final Fantasy * de Square Enix avec la défense des principes écologiques et le respect de la nature avec surtout *Final Fantasy VII * et la ville industrielle, omnipotente et dévorante de Midgar menant le monde vers sa perte.

Un potentiel certain

En somme, il existe bel et bien des jeux vidéos vecteurs d'idéologies et non subissant juste ces idéologies passivement pour mieux vendre. Ces jeux ne sont cependant pas le vecteur des Etats, des entreprises ou des institutions, mais celui de quelques sociétés indépendantes ayant trouvé leur public. Pour autant, peut-on dire que le jeu vidéo a une réelle influence sur le joueur ? Ce n'est pas vraiment évident, du moins pour l'instant. Comme le dit Olivier Mauco, « le jeu vidéo d'aujourd'hui est le cinéma à ses débuts, c'est encore un art d'emprunt. Mais nous sommes à un tournant ». Le monde est voué à se digitaliser et les jeux vidéos ne peuvent que prendre de l'importance. D'ailleurs, les serious games commencent à se répandre dans les entreprises afin de former les cadres de manière plus ludique, d'autres emplois du jeu vidéo visent à sensibiliser le public à certaines causes comme la faim dans le monde ou le changement climatique. Autrement dit, le jeu vidéo et le soft power ne sont qu'au début de leur relation. Quand le jeu vidéo aura une légitimité et une considération accrue des élites, il risque bien de devenir l'un des vecteurs d'influence, si ce n'est le vecteur par excellence.

Pierre-William Fregonese

Crédit vignette : witness 1 / Flickr.com

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