Joe Biden : de la résilience à la présidence

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Joe Biden : de la résilience à la présidence

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A 77 ans, l'ancien vice-président de Barack Obama devient le 46e président des États-Unis.
A 77 ans, l'ancien vice-président de Barack Obama devient le 46e président des États-Unis.
© AFP - Jim Watson

Portrait. Après un marathon électoral Joe Biden remporte son âpre duel contre Donald Trump et devient le 46e président des États-Unis selon différents médias américains. Une victoire suprême pour ce démocrate à la très longue carrière politique, marquée par les victoires, les gaffes et les drames personnels.

Même si cela a pris du temps, tant l'élection était serrée, la troisième fut la bonne selon différents grands médias américains comme l'agence AP, CNN, le New York Times et même Fox News. Après avoir tenté la présidentielle trois fois (1988, 2008 et 2020), voilà le candidat démocrate et ancien vice-président de Barack Obama sur la plus haute marche : 46e président des États-Unis. Joe Biden, 77 ans, est donné vainqueur avec au minimum 273 grands électeurs, grâce à un succès dans l'État-clé de Pennsylvanie. Un destin presque écrit pour cet homme politique qui a commencé sa carrière il y a 48 ans. Une carrière semée de victoires, d'erreurs, d'excuses et de drames personnels.

Sur Twitter, Joe Biden se dit "honoré d'avoir été choisi" et "promet d'être un Président pour tous les Américains, qu'ils aient voté pour moi ou non".

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Ancien bègue devenu sénateur

S'il y a un mot qui le caractérise, c'est bien persévérance. Tout au long de sa vie et de son itinéraire politique, Joe Biden a dû affronter des crises et des drames qui ont forgé sa personnalité. Enfant, issu d'une famille modeste, d'origines irlandaise mais aussi française (son middle name est Robinette), Joe Biden grandit d'abord en Pennsylvanie, puis dans le Delaware. Il souffre de bégaiement. Seul, il décide de trouver un moyen de passer au-dessus de ce handicap. Devant le miroir, il se regarde et répète, encore et encore. Jusqu'à ce que son souffle devienne un allié, plutôt qu'un ennemi. Plus sûr de lui, Joe se lance et devient au lycée le porte-parole de sa classe. Le futur président débute la politique en tant que délégué.  

Dans les années 1970, Joe Biden se présente au poste de sénateur du Delaware. En 1972, il l'emporte avec une courte majorité sur son adversaire républicain. Une victoire qu'il doit en partie aux votes noirs de l'État. Naturel et empathique, il a en effet su tisser des liens avec la communauté afro-américaine en pleine ségrégation. À 18 ans, un épisode le marque particulièrement, lorsqu'il devient maître-nageur dans une piscine fréquentée uniquement par des noirs. Il s'y fait des amis et grâce à son écoute, se met à leur place. Dans ses mémoires, Joe Biden avoue ne jamais avoir défilé dans les années 1960 contre la ségrégation et la discrimination mais confie les comprendre.  

Dans son livre Joe Biden, (éd. Nouveau Monde), le chercheur et spécialiste des États-Unis Jean-Eric Branaa raconte : "Un jour, un Afro-Américain lui demande un bidon d'essence car il doit aller voir sa mère qui est malade et vit à 30 kilomètres. Pas de problème, lui répond Biden, mais pourquoi ne vas-tu pas la station ? Parce que nous, on n'a pas le droit de s'arrêter dans vos stations. Pour Jean-Eric Branaa, cette réalité "choque terriblement Joe Biden parce qu'il ne connaît pas cette Amérique-là. Il la découvre petit à petit et il va très vite vouloir la combattre".

Ses liens et cette ouverture vis-à-vis de la communauté afro-américaine seront cruciaux pour Joe Biden, cinquante ans plus tard, dans la course à la Maison Blanche.

Joe Biden en novembre 1972, juste avant d'entamer sa très longue carrière de sénateur du Delaware (36 ans).
Joe Biden en novembre 1972, juste avant d'entamer sa très longue carrière de sénateur du Delaware (36 ans).
© Getty - Bettmann

Un homme accablé par les drames 

En 1972, tout semble sourire à ce jeune politique de 30 ans qui prend la route de Washington. Mais un drame le frappe alors qu'il installe ses cartons dans son nouveau bureau de sénateur. Sa femme Neilia et sa fille Naomi, âgée d'un an, meurent dans une collision en voiture avec un chauffard ivre. Ses deux fils sont également dans le véhicule, gravement blessés. Joe Biden retourne dans le Delaware à leur chevet. Son investiture aura lieu dans la chambre de l'hôpital où séjournent ses enfants. Le père et le mari meurtri songe au suicide et se donne six mois pour se relever. Il restera finalement plus de trente ans au Sénat, rentrant tous les soirs en train dans le Delaware pour ne pas laisser ses fils seuls.  

Des années plus tard, alors qu'il est vice-président, un nouveau drame le frappe. Son fils Beau, procureur général du Delaware, désigné comme son héritier politique, meurt d'un cancer du cerveau foudroyant. Après cette disparition, Joe Biden décide de ne pas se présenter à la primaire démocrate en 2016, laissant Hillary Clinton face à Donald Trump.

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Lors de la campagne présidentielle 2020, Barack Obama dira dans un message de soutien au candidat Biden :

Joe et moi sommes d'origines différentes, mais ce que j'ai rapidement admiré chez lui, c'est sa résilience et son empathie, née de tant de chagrins.

Une intelligence politique redoutable

À plusieurs reprises dans sa vie, Joe Biden se relève et continue son chemin politique. Remarié à Jill, il continue ses allers-retours entre le Delaware et le Sénat de Washington. Celui qui siégera au sein de la commission judiciaire et de celle des Affaires étrangères connaît tous les sénateurs, il maîtrise les arcanes du pouvoir et sait l'importance des réseaux. "Il sait qu'on ne gagne pas tout seul, mais en équipe, explique Jean-Eric Branaa. Quand il arrive au Sénat, il va travailler non seulement avec son camp, bien sûr, mais également avec le camp d'en face. Et c'est ce que lui a reproché Kamala Harris pendant la campagne des primaires. Tout au début, en lui disant qu'il avait travaillé avec des ségrégationnistes.

Pour faire avancer des lois qu'il trouve justes, il pense qu'il faut parler à l'autre camp.

Mais Joe Biden est aussi pragmatique que gaffeur. Et dès les années 1980, les médias se délectent de ses bourdes, surnommées "Bidenisms". 

Joe Biden au Sénat en juin 1985.
Joe Biden au Sénat en juin 1985.
© Getty - Terry Ashe / The LIFE Images Collection

En 2007, alors qu'il se présente à la primaire démocrate, il dit de Barack Obama, alors sénateur de l'Illinois : "Vous avez le premier Afro-américain bien articulé, intelligent, propre et qui est beau à regarder."

Joe Biden s'excuse et se retire de la course. "Il y a chez lui une sorte d'humilité étonnante, voire dérangeante", pour Jean-Eric Branaa.

Joe Biden se remet en question. Il a une idée très très avancée du sacrifice personnel. Pour comprendre cela, il faut revenir à ses origines catholiques [ profondément croyant, il devient le deuxième Président américain catholique, soixante ans après Kennedy]. Une moralité extrême, un moralisme qu'il s'auto-inflige. Il a des valeurs de base simples mais solides.

Dans le fond, beaucoup d'Américains finissent par pardonner à Joe Biden ses gaffes. Au lieu de le desservir, elles l'aident parfois. Contre toute attente, celle sur Obama lui ouvre les portes de la Maison Blanche, car le futur Président le choisit comme vice-président.  

L'aura Obama

Une véritable et profonde amitié naît alors entre les deux hommes. Barack Obama sait qu'il peut compter sur quelqu'un de loyal qui saura parler avec tous les sénateurs. Le rôle des sénateurs est crucial aux États-Unis pour faire passer des lois. Joe Biden est un homme de compromis, un homme qui écoute et qui sait écouter. Le premier Président noir des États-Unis s’appuie sur un homme politique blanc, plus âgé, modéré, qui sait rassurer.

Barack Obama et Joe Biden célèbrent leur victoire à la présidentielle à Chicago, le 11 novembre 2012.
Barack Obama et Joe Biden célèbrent leur victoire à la présidentielle à Chicago, le 11 novembre 2012.
© AFP - Saul Loeb

Lorsque Obama est réélu, en 2012, il garde Joe Biden à ses côtés. Les deux hommes se comprennent. Naturellement, l'ancien Président soutient le candidat à la Maison Blanche publiquement, et enchaîne les meetings dans les derniers jours de campagne. "Il y a un effet Obama sur la candidature de Biden, c'est indéniable", analyse Jean-Eric Branaa. C'est ce qui le propulse. Quand Joe Biden fait de l'anti-Trump, il fait aussi du pro-Obama. Au départ, son programme, c'était d'ailleurs la reprise copier-coller tout ce qui a été fait sous Obama, et défait par Trump." Aujourd'hui, le programme du président Biden a évolué, car il a su écouter d'autres dans son parti, mais au départ, c'est l'étiquette Obama qui a fait la différence.

Un pont entre Amérique du passé et Amérique du futur

Sa capacité d'écoute, sa remise en question permanente, son expérience, son humilité et sa sincérité parfois naïve font de Joe Biden un homme politique à part. Si son âge (il est né en 1942) suscite une inquiétude, tant la tâche présidentielle est lourde, il ne pose aucun problème dans sa lecture politique et sociale, estime Soufian Alsabbagh, spécialiste de la politique intérieure des États-Unis et enseignant en géopolitique à New York :

On pourrait dire que, à 77 ans, l'homme est fait, mais pas Biden. Il est très flexible. Pendant la convention démocrate, alors que son parti se gauchisait, il a montré qu'il savait écouter les franges les plus progressistes.

Le candidat démocrate lors d'une Joe Biden visite dans une maison pour adolescents à Wilmington, dans le Delaware, le 3 novembre 2020.
Le candidat démocrate lors d'une Joe Biden visite dans une maison pour adolescents à Wilmington, dans le Delaware, le 3 novembre 2020.
© AFP - Angela Weiss

À l'été 2020, le programme de Biden est en effet remis à plat. Huit commissions sont créées avec à leur tête, une double présidence (un modéré sorti de ses rangs et un progressiste sorti des rangs de Bernie Sanders). Elles développent le programme "Built Back Better", un plan de relance économique sur le moyen et long terme. Beaucoup de moyens – 2 000 milliards sur quatre ans ! – sont alloués aux énergies vertes. Le programme veut également restaurer la mobilité sociale des classes moyennes, recréer des emplois aux États-Unis, notamment dans les régions peu dynamiques. 

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Joe Biden a su s'adapter, selon Jean-Eric Branaa. "Biden est un pont entre deux époques. Il a connu les années 1950 et 1960 – il avait 20 ans au moment de l'élection de Kennedy en 1960… Donc il traverse toute cette Amérique-là avec cette fougue de la jeunesse. Et il est aujourd'hui à la pointe, face au XXIe siècle, avec la montée des minorités et de la diversité." Une diversité incarnée par sa vice-présidente, Kamala Harris, d'origines jamaïcaine et indienne, à qui il va donner le flambeau.

Kamala Harris, lors de sa présentation officielle par Joe Biden, le 12 août 2020 à Wilmington, dans le Delaware.
Kamala Harris, lors de sa présentation officielle par Joe Biden, le 12 août 2020 à Wilmington, dans le Delaware.
© Getty - Toni L. Sandys / The Washington Post

Joe Biden Président, c'est peut-être aussi, simplement, l'incarnation du rêve américain classique. Issu d'un milieu modeste, il s'est construit seul à travers les années et les crises. Contrairement à Trump, qui vitupère contre les élites, il n'est pas issu de la Ivy League, les universités les plus prestigieuses des États-Unis, une première pour un Président depuis les années 1980. C'est un homme du peuple qui sait ce que c'est d'avoir perdu ce qu'on a de plus cher. Il a construit sa carrière politique autour de ce sentiment de dépossession. Dans une Amérique désunie, fatiguée par les crises sanitaire, économique et écologique, Joe Biden incarne en 2020 la résilience dont l'Amérique a apparemment besoin.

Joe Biden en quelques dates
Joe Biden en quelques dates
© Visactu