La pétition "L'Affaire du siècle" lancée en faveur d'un recours contre l'Etat pour "inaction climatique" a franchi la barre des deux millions de signatures en France. Dans le monde, d'autres Etats comme les Pays-Bas et la Colombie ont été assignés en justice pour des raisons similaires.
Elles la présentent comme "l'Affaire du Siècle". La pétition lancée par quatre associations de défense de l'environnement fait le tour des médias et des réseaux sociaux depuis le 18 décembre dernier. Elle est soutenue par plus de deux millions de personnes à ce jour. Un record jamais atteint en France. Dans cette pétition, les ONG "Notre Affaire à Tous", "Greenpeace France", "la Fondation pour la Nature et l’Homme", et "Oxfam France", se disent prêtes à attaquer l'Etat français en justice afin qu’il "respecte ses engagements climatiques, et protège nos vies, nos territoires et nos droits."
L’État a l’obligation d’agir. Il doit prendre les mesures politiques qui s’imposent, tout en garantissant la justice sociale. Il doit réduire notre dépendance au pétrole et nous fournir des alternatives en matière de transport. Il doit investir dans la rénovation des logements et promouvoir l’usage des énergies renouvelables, en abandonnant le recours aux énergies fossiles et nucléaire." - Extrait de la pétition
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L'Etat français ainsi que ses représentants ont deux mois pour répondre. En l'absence de réponse "convenable", les associations assurent qu'elles passeront à la deuxième étape au printemps 2019 : un recours juridique devant le tribunal administratif de Paris. Ces ONG se sont inspirées de différentes démarches mises en place à l'étranger.
La revendication de justice climatique est née en Amérique latine dans les années 2000 lorsque les premières victimes du réchauffement ont pointé la responsabilité des pays les plus riches. Un volet contentieux a ensuite émergé. Les actions devant les tribunaux se sont multipliées et des ONG, des citoyens, dénoncent aujourd'hui l’absence de mise en place de lois et de réglementations satisfaisantes. Pays-Bas, Pakistan, Colombie : des Etats, des gouvernements, ont déjà été confrontés à cette demande de justice climatique. Certaines affaires ont même porté leurs fruits.
Les prémices d'une justice climatique ? Dossier de Véronique Rebeyrotte dans le journal de Thomas Cluzel
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Pays-Bas : une procédure et une victoire historique
La procédure historique au Pays-Bas a particulièrement inspiré les associations à l'origine de la pétition en France. Il faut dire que cette dernière a débouché sur une victoire. En 2015, l'ONG de défense de l'environnement Urgenda entame une action en justice au nom de 886 citoyens. Les plaignants demandent à ce que le gouvernement prenne des mesures pour réduire les émissions de CO2 aux Pays-Bas de 40% d'ici à 2020, par rapport aux niveaux de 1990. Le pays figure parmi les pays les plus pollueurs de l'Union européenne.
A la suite de ce procès, la justice néerlandaise ordonne à l'Etat de revoir ses objectifs et de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d'au moins 25% d'ici 2020. Le gouvernement néerlandais fait alors appel de sa condamnation mais la Cour d'appel de La Haye confirme le jugement, le 9 octobre 2018. Elle explique sa décision en affirmant que l'Etat agit "illégalement et en violation du devoir de diligence" selon l'agence de presse néerlandaise ANP.
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Cette action en justice a eu un effet vertueux sur le plan politique, explique Marta Torre Schaub, directrice de recherche au CNRS : "Entre la première décision en première instance en 2015 et les décisions en appel en 2018, le gouvernement a annoncé qu'il fallait faire une loi sur les changements climatiques avec une majorité des partis de gauche et écologique. Initiative qui a abouti à une proposition de loi extrêmement ambitieuse en termes d'objectifs à atteindre. La France pourrait suivre cette même dynamique, sans arriver au stade du litige. Nous ne sommes pas obligés d'arriver devant un juge pour que les choses bougent."
Près d'un mois après la décision en appel, l'Etat néerlandais annonce se pourvoir en cassation. Le ministère explique ainsi avoir un "programme ambitieux" sur le climat et dénonce le fait que le jugement "limite la liberté politique de l'Etat", souligne l'AFP.
Pour les quatre associations à l'initiative de la pétition française, obtenir un jugement semblable à celui des Pays-Bas serait une victoire. Mais Celia Gautier, responsable climat à la "Fondation pour la Nature et l’Homme", précise tout de même que les conditions ne sont pas les mêmes : "Nos droits sont différents bien que nous ayons des choses en commun. Nous sommes obligés de regarder en particulier quelles obligations européennes, internationales et nationales, la France a prises."
Nous regardons précisément le droit français et les différentes lois ou directives que la France a adoptées ou signées. Par exemple, la France s'est engagée à atteindre 23% d'énergie renouvelable en 2020 dans le cadre des accords européens mais elle ne le respecte pas." - Celia Gautier, responsable climat à la Fondation pour la Nature et l’Homme
Retour sur l'action en justice aux Pays-Bas avec Pierre Bénazet.
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Etats-Unis : la Cour suprême gèle la procédure
L'initiative de 21 enfants et adolescents de porter plainte contre le gouvernement des Etats-Unis et sa politique environnementale a été largement médiatisée. L'action des ces jeunes Américains et Américaines a d'ailleurs été renommée "Youth v. United States" (La jeunesse contre les Etats-Unis).
Il y a plus de trois ans, en août 2015, ces jeunes âgés entre 10 et 21 ans déposent un recours devant un tribunal de l'Oregon. Ils sont soutenus par l'association Our Children's Trust et accusent le gouvernement de les mettre en danger et de violer "leurs droits constitutionnels" en soutenant notamment les industries fossiles responsables du changement climatique_._ Barack Obama est alors toujours au pouvoir.
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L'action en justice va ensuite connaître plusieurs rebondissements, notamment lorsque Donald Trump est élu président des Etats-Unis. "Cette action en justice a pris encore plus de sens", commente Celia Gautier. L'administration Trump a essayé à plusieurs reprises de faire en sorte que la Cour suprême juge cette action irrecevable. Cela a beaucoup retardé la procédure."
Malgré ces tentatives, le quotidien Reporterre écrit que le 30 juillet 2018, la Cour suprême des États-Unis a autorisé l'action en justice contre le gouvernement fédéral et rejeté "la demande de suspension de l’administration Trump". Le procès est censé débuter le 29 octobre de cette même année. Pourtant, aujourd'hui, il n'a toujours pas eu lieu. Une première question reste en suspend : quelle Cour pour traiter l'affaire ? De plus, l'administration Trump a demandé un délai supplémentaire pour obtenir davantage d'expertises et d'informations sur le dossier. En clair, une bataille de procédures est lancée mais le fond de la question n'est toujours pas traité.
Pakistan : la victoire d'un fermier face au gouvernement
C'est l'histoire de la victoire d'un seul homme face au gouvernement. En 2015, une fois encore, Asghar Leghari, fermier et fils d’agriculteurs au Pakistan, assigne le gouvernement devant la Haute Cour de Lahore. Il demande aux juges de contraindre le Pakistan à adopter une législation climatique capable de protéger l’exploitation de ses parents, et leur droit à l’alimentation. "L'exploitation agricole des parents était menacée, ils ne pouvaient plus vivre dignement de leur activité donc leurs conditions de vie étaient également menacées par le changement climatique. Là, le préjudice était directement mesurable", ajoute la responsable climat à la "Fondation pour la Nature et l’Homme".
La cour donne raison à Asghar Leghari et demande la création d'une commission nationale composée à la fois de membres du ministère et d'observateurs qui surveilleraient l'action du gouvernement sur les changements climatiques. Une décision de justice qui inspire également les initiateurs de la pétition en France, explique Celia Gautier : "La gouvernance qui participe pleinement à la démocratie environnemental est essentielle."
On aimerait voir émerger en France un comité d'expert indépendant qui puisse être observateur et donner des indications contraignantes à l'Etat lorsqu'il dérape du point de vue de ses engagements climatiques."
Pour Valérie Cabanes, juriste internationale spécialisée dans les droits humains, ces premiers succès aux Pays-Bas et au Pakistan montrent les prémices d'une nouvelle ère sur le plan juridique : "Cela va progressivement amener à des propositions plus contraignantes au niveau international et à une obligation des Etats de plus en plus affirmée sur le plan international".
Colombie : les jeunes contre la déforestation
En Colombie, comme aux Etats-Unis, l'action en justice a été menée par un groupe de jeunes soutenu par une association. Mais à la différence des Nord Américains, la Cour suprême de Colombie a donné raison aux plaignants et l'organisation Dejusticia qui les accompagnait. Les 25 jeunes ont poursuivi l'Etat afin qu'il prenne des mesures pour lutter contre la déforestation et garantisse ainsi leurs droits fondamentaux à la vie et à l’environnement. La Colombie s'est engagée à éradiquer la déforestation en Amazonie d'ici 2020 mais en 2017, elle continuait à perdre des milliers d'hectares de forêt : 219 973 hectares, soit l'équivalent du Luxembourg.
Le 5 juillet 2017, dans un objectif de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité en Colombie, la Haute Cour a donné cinq mois au gouvernement pour créer un programme de lutte contre la déforestation dans la région. Une victoire, là encore, plus que symbolique d'après Celia Gautier : "Non seulement, on reconnaît que le changement climatique menace l'avenir de ces jeunes citoyens mais en plus qu'il y a une responsabilité du gouvernent dans le fait de laisser filer la déforestation et qu'il faut donc prendre des mesures supplémentaires."
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Dans ce procès, la justice colombienne a rendu un arrêt extraordinaire en reconnaissant les droits de la nature et donc de la forêt amazonienne. L'Etat colombien a l'obligation de la protéger et de la conserver. Une approche inhabituelle mais pas nouvelle souligne le site The Conversation : "La Cour constitutionnelle colombienne avait en effet déjà statué en 2016 (décision T-622) que le fleuve Atrato, très pollué, avait des « droits » à la protection et la conservation."
Malgré ces victoires, particulièrement mises en valeur par la pétition en France, Marta Torre Schaub préfère rester prudente : "Nous sommes toujours au stade la pétition, ce n'est pas encore un recours contre le juge. Quand on sera au stade du recours, on saura ce qu'on demande à l'Etat."
De plus, Valérie Cabanes rappelle : "On a un cadre juridique sur le climat qui reste très léger. Que ce soit la convention cadre sur le climat, l'accord de Paris. A la limite, le protocole de Kyoto était légèrement plus contraignant... Nous sommes dans une situation où, finalement, il n'y a aucune obligation par contrainte."
Des actions contre les Etats et contre les multinationales
La victoire d'Urgenda au nom des 886 citoyens aux Pays-Bas a inspiré d'autres organisations, d'autres personnes dans leur lutte pour la planète. Ces actions n'ont pas toujours abouti.
Ainsi, en Nouvelle-Zélande, en juin 2017, une étudiante en droit a dénoncé l'inaction du gouvernement contre le réchauffement climatique. Quelques mois plus tard, le tribunal a rejeté son dossier, la nouvelle Première ministre socialiste ayant fait de sérieuses promesses.
Les jeunes se montrent particulièrement mobilisés dans ce combat pour de meilleures politiques environnementales. Plus récemment, le discours de la jeune Suédoise Greta Thunberg a bousculé la COP24 en décembre 2018 : "Vous dites que vous aimez vos enfants par dessus tout et pourtant vous volez leur futur devant leurs yeux".
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Parmi les affaires marquantes, l'association "Notre Affaire à Tous" mentionne également le recours climatique en octobre 2017 de sept jeunes Portugais intenté contre 47 Etats européens devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Enfin, les démarches citoyennes en justice ne pointent pas seulement l'inaction des Etats. Elles dénoncent également les activités des multinationales. En Californie par exemple, le journal Libération revient sur l'attaque des géants pétroliers par différentes collectivités. Aux Philippines, archipel particulièrement touché par les catastrophes naturelles, la commission des droits de l'homme a accepté d'enquêter sur la responsabilité de certains industriels dans le réchauffement climatique.
Valérie Cabanes conclut : "C'est extrêmement important de pointer la responsabilité des multinationales mais aussi des banques : 5 300 milliards continuent à être investis dans les énergies fossiles chaque année par les Etats et les banques. Il faut arriver à travailler sur ce triptyque qui n'agit pas assez aujourd'hui pour changer le système énergétique pour mieux préserver les conditions de vie sur terre."