'Kitewinder' : une éolienne volante pour une énergie renouvelable nomade
Par Annabelle GrelierDemain l'éco. La jeune pousse girondine Kitewinder a développé une éolienne volante qui peut produire 100 à 250 watts quasiment en continu grâce aux vents d’altitude. Fixée à un cerf-volant, l’hélice est capable de monter jusqu’à 150 mètres. Pliable, léger, l’équipement est transportable dans un sac à dos.
Icônes de la transition écologique, les éoliennes sont aujourd’hui sources de polémique en France. Avec un peu plus de 8 000 éoliennes implantées sur le territoire qui assurent un taux de couverture de la consommation électrique de 9 %, notre pays est régulièrement pointé du doigt pour son retard sur ses objectifs en matière d’énergies renouvelables. Selon la Commission de régulation de l’énergie, la France devrait faire plus de place à l’énergie éolienne dans son mix énergétique. Mais les projets de parcs éoliens provoquent de plus en plus la colère des riverains, des ONG ou des élus locaux. Accusées tour à tour d’être dangereuses pour la santé, de porter atteinte à la biodiversité, de défigurer le paysage, d’être fabriquées à l’étranger, d’être polluantes et difficilement recyclables pour une électricité qui n’est qu’intermittente, les éoliennes rencontrent toujours plus d’oppositions ; ainsi nombreux sont les recours déposés en justice contre leurs installations qui retardent d’autant les chantiers. Par ailleurs, le Syndicat des Énergies Renouvelables, prêchant pour sa chapelle, demande que se développe plus rapidement l’éolien en mer. En effet, la France ne dispose à ce jour que d’une seule éolienne off-shore au large de Saint-Brieuc quand nos voisins européens en exploitent déjà plus de 5 000 dans la mer du Nord. Toutefois, quatre projets sont en cours à Saint-Nazaire, Fécamp, Saint-Brieuc et Courseulles-sur-Mer, pour un total d'environ 300 éoliennes et trois autres parcs sont attendus d'ici 2027.
Mais le combat contre les éoliennes en France dépasse largement les questions écologiques. C’est en effet les intérêts financiers, l’utilisation de l’argent public et les choix stratégiques européens depuis l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie, qui interrogent nombre d’opposants et d’experts.
Sur le plan technologique, elles sont également contestées au regard de leur facteur de charge assez peu faible. Les éoliennes ne parviennent en effet à produire de l’électricité en moyenne qu’à 25% de leur capacité maximale. Ce chiffre s’explique par la fluctuation de la vitesse du vent. Lorsque le vent est trop faible, les éoliennes ne produisent pas, à l’inverse, si les vents dépassent les 90 km/h les éoliennes ne peuvent plus fonctionner et sont arrêtées par sécurité. Bien que la dernière génération d’éolienne annoncée promette d’être plus efficace que les anciens modèles, les machines devront grandir toujours plus haut jusqu’à 200 à 220 mètres avec des rotors de 110 mètres de diamètre qui nécessiteront encore plus de béton et d’acier pour fabriquer et ancrer les mâts et plus de terres rares dans les aimants permanents utilisés pour réduire le volume et le poids des générateurs électriques.
Enfin, en 2021, une étude conjointe menée par l’Agence Internationale de l’Énergie et la RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité relançait la polémique assurant que le système électrique français pourrait fonctionner avec 100% d’énergie renouvelable en 2050. Quand certains experts et spécialistes tendent à démontrer que les énergies renouvelables intermittentes comme l’énergie éolienne ne pouvaient se passer d’énergie conventionnelle pilotable comme en l’occurrence le nucléaire. Quoi qu’il en soit, pro et anti-éoliens ne manquent pas d’arguments pour nourrir le débat. L’affrontement des deux camps n’est pas prêt de s’éteindre quand on sait que la feuille de route énergétique de la France inscrite dans les Programmations pluriannuelles de l’énergie prévoit l’installation de 15 000 éoliennes terrestres d’ici 2028, soit presque le double du parc existant.
Éolienne frugale et nomade
Loin des polémiques sur les éoliennes conventionnelles, dans le calme de leur laboratoire du technopôle Montesquieu à Martillac, les deux ingénieurs Olivier Normand et Dominique Rochier continuent d’explorer le potentiel des vents pour produire de l’énergie. C’est sur l’éolien aéroporté qu’ils ont décidé dès le départ de concentrer leurs recherches. Car en matière de vent, il est un principe universel : plus on est haut, plus les vents sont forts, laminaires et constants.
Très vite, ils comprennent que pour les atteindre, il faut s’affranchir d’un mât. L’éolienne de Kitewinder devra donc voler : pour Olivier Normand, ancien ingénieur dans l’aéronautique, c’est une évidence.
Notre système consiste à accrocher une hélice à un kite, un cerf-volant monofil qu’on ne pilote pas mais qui sert de courroie. L’hélice est reliée au sol avec une dynamo. On obtient ainsi une production mécanique de l’énergie. La génératrice au sol équipée de prise universelle permet de disposer d’une énergie continue.
L’éolienne volante Kiwee One développe une puissance de 100 à 250 watts avec des vents soufflant de 30 à 40 kilomètres/heure. Le dispositif ne pèse pas plus de 6 kilos. Pliable, il peut être transporté dans un sac à dos.
Voici comment fonctionne cette éolienne volante. Explications notamment depuis l'île de Molène, dans le Finistère. Reportage d'Annabelle Grelier.
3 min
Éprouvée par nombre d’essais sur l’île de Molène par vents forts et violents, la technologie développée par Kitewinder s’est aussi avérée particulièrement fiable. Étanche, la carte électronique peut résister aux conditions météo extrêmes et la courroie n’attire pas la foudre. Elle est aussi dotée d'un système qui lui permet de se rétracter en quelques minutes si besoin.
La Kiwee One est aussi frugale en matière première. Comme elle n'a pas besoin d'être fixée sur un mât, c'est autant de tonnes de béton, d'acier en moins et de pylônes dans le paysage. Pour Dominique Rochier, c'est une grande satisfaction de pouvoir produire de l'énergie sans nuire à l'environnement.
On n'a pas cet impact sur le sol que peuvent avoir les éoliennes traditionnelles. Les vibrations, c'est aussi quelque chose d'incroyable. L'éolienne aéroportée accrochée à une tente ou l'attache remorque d'un véhicule, c'est un murmure. Pas de dangerosité non plus pour les animaux. Comme on va capter des vents très haut, il n'y a pas de risque pour les oiseaux.
Depuis leur premier brevet obtenu en 2014, les deux cofondateurs de Kitewinder ne cessent d’améliorer les performances de leur éolienne volante. Si bien que parmi les 150 équipes dans le monde qui travaillent dans ce domaine, ils sont les premiers à mettre sur le marché une telle machine. Lancés en pré-vente dans une opération de levée de fonds en 2019, 120 exemplaires ont été déjà vendus en France et à l'étranger.
Du Kirghizstan au Niger
C’est que la petite éolienne de Kitewinder peut être utile dans de nombreuses situations dès lors qu’il n’y a pas ou plus de réseau électrique. Du loisir de plein air pour alimenter un campement aux missions scientifiques dans des zones reculées, elle peut aussi servir à faire fonctionner une pompe pour puiser de l’eau dans des zones arides, ou encore du matériel de secours après le passage d’un ouragan ou sur des zones sinistrées après une catastrophe naturelle.
D’ailleurs, Kiwee One a déjà pas mal voyagé nous raconte Dominique Rochier.
En 2017, Anne-Lise Cabanat, co-responsable du programme scientifique OSI-Panthera a mené une expédition au Kirghizstan avec une dizaine d’adolescents partis à la rencontre de la panthère des neiges. L’ONG qui promeut l'éducation aux sciences et à la recherche en faveur du développement durable était partie équipée de l’éolienne portative dans les montagnes kirghizes.
En février 2020, c’est au Niger que la Kiwee One est allée alimenter une pompe de puisage d’eau pour du maraîchage. Kitewinder prévoit d’y revenir avec d’autres éoliennes pour l’éclairage de l’école du village de Torodi.
Notre machine est assez facile d’utilisation. Les enfants n’ont pas mis longtemps à savoir s’en servir. C’est tout de même magique d’amener de l’électricité là où il n’y a rien.
Le projet de Kitewinder redonne assurément du souffle aux éoliennes en ouvrant la possibilité d’une rupture technologique.
La jeune entreprise qui a pu bénéficier du soutien du Programme d'Investissements d'Avenir de l'Ademe vient de clore cet accompagnement d’un peu plus de 300 000 euros sur 3 ans en fin d’année dernière. Dotée désormais d’un atelier de fabrication industrielle au sein d’Eurekapôle de Martillac, Kitewinder est maintenant prête pour la commercialisation de son produit. Son prochain défi : implanter un centre d’essai et de formation sur l’île de Molène. L’aventure de l’éolien aéroporté ne fait que commencer. Discrètement dans le ciel, sans béton et sans défigurer le paysage...
> Découvrez ici tous les reportages de 'Demain l'éco' sur la transition économique