Un an après que le séisme et le tsunami eurent frappé le Japon, le 11 mars 2011, Globe vous propose de poser un regard multiscalaire sur la catastrophe nucléaire de Fukushima.
Un an après que le séisme et le tsunami eurent frappé le Japon, le 11 mars 2011, Globe vous propose de poser un regard multiscalaire sur la catastrophe. C'est en glissant d'une échelle à l'autre, méthode chère aux géographes, qu'on peut au mieux dresser un bilan de la catastrophe : celle-ci est à la fois l'événement le plus meurtrier au Japon depuis la Seconde guerre mondiale, et l'accident nucléaire le plus grave au monde depuis Tchernobyl (1986). Le bilan se saisit tant, à grande échelle, dans les mutations du territoire nippon qu'à petite échelle dans l'espace mondial.Globe tente de répondre à des questions simples en apparence. Où habitent les Japonais aujourd'hui ? Où sont passées les grandes rizières de la région de Fukushima ? Quelles sont les nouvelles stratégies des entreprises automobiles high-tech ?Globe vous propose, à travers l'exemple de l'industrie automobile et des microprocesseurs qui équipent les véhicules, d'apprécier les effets de la catastrophe dans la mondialisation. Quand le local devient global, 10 000 km ne suffisent pas à séparer la centrale de Fukushima des voitures des constructeurs français. Les rouages de la mondialisation ne connaissent pas de frontières.
Globe espère que vous trouverez dans les lignes qui suivent quelques éléments de réponse. Vous pouvez aussi en trouver dans les précédents billets de Globe et dans les émissions passées :
le Japon face à la catastrophe : le recours aux échelles géographiques 8 avril 2011
Le Japon, entre résilience et catastrophe, 15 juin 2011
Marie Augendre et Magali Rhegezza vous parlent du risque au Japon dans un entretien intitulé "les catastrophes ont changé de nature"
Elles sont intervenues dans l'émission Planète terre du 28 mars 2011. À écouter et à podcaster ici
Sylvain David est intervenu à deux reprises, dont une avec Romain Garcier. Réécoutez l'émission du 7 septembre 2011 sur "les scénarios énergétique à l'horizon de 2050" et l'émission du 27 avril 2011 "routes et territoires des matières nucléaires". Vous pouvez aussi lire leurs billets respectifs :
les scenarii énergétiques d'ici 2050 : renouveler la démarche, 9 septembre 2011
l'avenir radieux des déchets nucléaires, 27 avril 2011
Daniel Letouzey propose plusieurs billets sur le Japon depuis mars 2011, dont celui du 19 janvier 2012.
Pour écouter et podcaster l'émission du 7 mars 2011 l'Homme, la nature, les sciences et les catastrophe, avec Yohann Moreau et Philippe Pelletier rendez-vous sur le site de l'émission Planète Terre
I : La catastrophe de Fukushima a-t-elle une fin ? Les tremblements de terre et les tsunamis menacent toujours le Japon. Même en période de fête, les habitants de l’archipel restent sur leurs gardes. Ainsi un tremblement de terre de magnitude 6,8 sur l’échelle de Richter secoua Tokyo le 31 décembre 2011 en début d’après-midi, soit près de dix mois après le 11 mars 2011. Si aucun dégât n’est à déplorer, aucun mort à signaler, il rappelle que les risques « naturels » menacent toujours l'archipel. La stabilisation du réacteur de la centrale de Fukushiam-Daiichi est toujours en proie à de potentiels tremblements de terre et tsunamis.
La stabilisation à long terme du réacteur est d’autant plus en suspens que les trois thermomètres permettant de surveiller l’activité résiduelle du défunt réacteur donnent des données contradictoires, entre 35°C et 82°C (le maximum autorisé étant de 80°).
II : Un bilan (provisoire ?) en quelques chiffres et quelques cartes. Bilan humain et matériel Si le pire des scénarii ( évacuation de Tokyo), quoiqu’envisagé par les autorités japonaises, a été évité, le bilan humain et matériel de la catastrophe reste impressionnant. Ce sont près de 20 000 morts et environ 359 200 bâtiments qui ont été détruits totalement ou partiellement.
Pour avoir un bilan détaillé des destructions et du nombre de morts en fonction des unités administratives, Globe vous invite à parcourir la carte interactive de ce webdocumentaire réalisé par France 24 ainsi que par Science&avenir . La carte met au jour un bilan très contrasté. le webdoc est aussi disponible dans son intégralité à cette adresse. Vous y trouverez notamment une galerie de cartes très informatives et de nombreuses vidéos. Un autre webdocumentaire est disponible ici.
Plus contrastés encore sont les dégâts à grande échelle. Grâce au site « memories for the futur » élaboré par Google et dédié à l’événement, Globe vous propose de mesurer les impacts du séisme et du tsunami dans la région de Sendai à deux endroits différents. Le premier, et le plus spectaculaire, se situe en bord de mer (cercle rouge) à Ishinomaki. L’habitat dont la densité est plutôt faible, est individuel et de faible hauteur. Presque tout a été rasé.
L’autre site est en plein cœur de la ville de Sendai (cercle rouge). Contrairement au premier, l’habitat est dense, collectif et se fait sur plusieurs étages. Quelques kilomètres seulement les séparent. Et pourtant l’effet est diamétralement opposé. Ici les dégâts sont à peine perceptibles.
Un constat qui remet en cause la pertinence des découpages administratifs et rappelle la nécessité de sans cesse affiner les échelles tout en prenant en compte des éléments de paysage urbain comme le type de construction ou la densité de l’habitat.
Si un effort colossal a été mis en œuvre pour nettoyer les dégâts de la catastrophe comme en témoigne ce diaporama, seulement 5% des 22,5 millions de tonnes ont été traités. Une lenteur qui rend difficile pour les autorités de tenir les plans prévus (terminer en mars 2014).
La contamination du territoire nippon par la radioactivité Un an après la catastrophe, et après de nombreuses études, il est désormais possible de dresser un bilan de la contamination du territoire.
Le 28 septembre 2011, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire ( IRSN) a publié une note qui fait état de la contamination du territoire. Le blog scientifique de Libération vous propose un résumé de l’enquête qui met au jour deux logiques géographiques distinctes. À la fois une contamination radioconcentrique et une diffusion plus linéaire en fonction des vents qui ont porté le nuage radioactif.
Le bilan spatial de la contamination est néanmoins moindre que celui de Tchernobyl (1986).
L’enquête des reporters d’Arte qui ont suivi des scientifiques de la Criirad (Commission de recherche de d’information indépendante sur la radioactivité) mettent en évidence les différences de contamination à très grandes échelle et selon le type de terrain. Un terrain sec sous une balançoire peut faire grimper les chiffres de contamination des sols et ce dans une région encore habitée.
La contamination se mesure dans l’espace, mais aussi dans le temps : plus il avance, plus la contamination diminue.
Quant à l’ impact environnemental sur les personnes, il reste pour le moment modéré. À ce jour, aucun symptôme d’irradiation majeur n’a été détecté sur les travailleurs de Tepco (Tokyo Electric Power Compagny) ni sur les populations évacuées.
III : Les transformations du territoire à l’échelle régionale La mobilité des réfugiés nucléaires Dans l’urgence de la catastrophe, les autorités ont évacué les régions les plus potentiellement touchées par les retombées radioactives. De nombreux flux de personnes ont ainsi été générés. La carte ci-dessous montre la logique de la mobilité forcée des habitants de la région touchée. On observe principalement un rayonnement en étoile à partir de la centrale, qui s'intensifie dans la direction opposée du nuage radioactif. Mais on observe aussi des déplacements entre les centres.
Ces mobilités sont liées à la définition de zones d'évacuation selon une logique radioconcentrique. Vous pouvez trouver une chronologie interactive des évacuations à cette adresse.
Vers une nouvelle organisation du monde agricole ? Le nord de l’Archipel est le centre de production agricole. Les volumes y sont les plus importants ainsi que les rendements (production par rapport à la superficie). De fait, l’accident nucléaire touche l’un des principaux centres de production agricole au Japon.
On peut supposer une réorganisation de la production agricole dans l’archipel. Les récents scandales concernant la sécurité alimentaire du riz, mais aussi la contamination de la viande de bœuf, vont profondément remodeler le territoire agricole ainsi que les pratiques alimentaires.
L’ embargo sur le riz de la région de Fukushima datant de novembre 2011 met fin à l’activité agricole dans la région de Fukushima. La délimitation d’un territoire non-agricole se poursuit par l’ extension de l’embargo à de nouvelles localités. Cela n’empêche pas quelques paysans de rester dans la région. Mais en terme de production, l'agriculture reste marginale et se voit reléguée au statut d’épiphénomène, d’autant plus que la vente de ses produits est interdite.
l'extension nationale du problème L’insécurité alimentaire se traduit aussi dans un espace moins matériel mais tout aussi réel : celui de la finance. L’échelle devient alors nationale car la conjoncture financière s’applique au riz produit dans l’ensemble du territoire, y compris dans les régions qui ne sont en rien touchées par la contamination. Démonstration : le marché du riz a été rouvert à la cotation au Japon en août 2011 (la dernière cotation date de 1939). Le cours du riz a tellement fluctué en une journée, à cause de l’incertitude frappant la denrée, que la cotation a été fermée avant le temps réglementaire. Cette conjoncture est en partie liée à la peur nationale de manger du riz qui rend incertaine toute estimation de la demande en riz sur le territoire. Ce phénomène ne touche pas seulement le riz, mais toutes les denrées qui doivent être surveillées comme le rappelle la note de l’IRSN. Le blog scientifique de libération fait un résumé complet : le lait, les épinards, les abricots, le bambou et le thé risquent d’être touchés par le phénomène.
Une nouvelle gestion de l’énergie L’accident nucléaire de la centrale de Fukushima-Daiichi a poussé l’État japonais à repenser la question énergétique. À la fois en terme de production, mais aussi en terme de gestion.
Sur les 54 réacteurs, plus que 2 sont encore en activité. On remarquera d’ailleurs que ces derniers se situent tous sur la côte ouest du Japon.
La production énergétique de l’archipel est désormais presque exclusivement d’origine fossile. La nouvelle stratégie pose de véritables problèmes géopolitiques. L’approvisionnement en énergie fossile est soumis au jeu de la diplomatie internationale ; pour rester dans le camp occidental auprès des Etats-Unis, le Japon a dû cesser d’acheter du pétrole en Iran (10% du pétrole japonais) et renégocier des contrats avec ses trois principaux fournisseurs arabes (Qatar, Arabie Saoudite, Émirats arabe unis).
L’austérité énergétique se fait aussi sentir à très grande échelle, dans la vie quotidienne des Japonais : les ascenseurs sont à l’arrêt, les escalators sont éteints, tout comme les climatiseurs. Les économies escomptées sont de l’ordre de 15 à 25%.
Ces économies d’énergie imposées amènent les industriels à revoir entièrement leur système productif. Au programme ce sont des répartitions de temps d’activité, congés forcés pour certains employés et nouveau dress-code pour les travailleurs.
IV : La mondialisation de Fukushima Le monde est un village, et l’accident nucléaire n’affecte pas seulement l’économie japonaise (qui d’ailleurs signe son plus mauvais bilan depuis plus de trente ans), mais une grande partie du secteur automobile à l’échelle mondiale.
Leader de la fabrication des microprocesseurs d’automobile, le Japon a perdu du jour au lendemain ses moyens de production. La destruction d’usines ainsi que la diète énergétique imposée, ont créé une véritable tension sur les composant qui illustre la fragilité de la chaîne d’approvisionnement de l’industrie automobile notamment française.
Pour prolonger votre réflexion : sur le Japon " la mégalopole japonaise", Planète terre, France Culture, avec Augustin Berque et Philippe Pelletier
le dossier pluridisciplinaire du café pédagogique
Philippe Pelletier, "La géographie bafouée au Japon", l'Espace géographique 2/2011
La catastrophe en vidéos et en animations dans une vidéo de National Geographic sur ce blog
Sur Fukushima, les billets de mars à juin du blog de mon camarade et collègue Michel Alberganti, producteur de Science publique sur France Culture : En quête de sciences Sur les risques : Ulrich Beck, la politique dans la société du risque , Surhkamp Verlag, 1991, pp. 9-29
Le blog de Yohann Moreau et son article "Catastrophe : l'attribut sauvage"
Les sociétés face aux risques naturels: Concepcion (Chili) 1 mois après le séisme. 3 questions à Alain Musset Globe, 28 mars 2010.
Les sociétés face aux risques naturels: Xynthia un mois après. 2 questions à Fernand Verger Globe, 28 mars 2010.
1 mois après les catastrophes, les sociétés face aux risques naturels: 3 questions à Stéphanie Beucher et Magali Reghezza Globe, 28 mars 2010.
Magali Reghezza-Zitt,
Paris coule-t-il ?, Fayard, 2012
Valérie November et alii (dir.),
Habiter les territoires à risques , Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2011
Yves Dupont (dir.), Dictionnaire des risques , , Armand Colin, 2007
Revue internationale des livres et des idées, n°15, 14 et 9