L’annexion de la Cisjordanie, casse-tête diplomatique pour l’Union européenne

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L’annexion de la Cisjordanie, casse-tête diplomatique pour l’Union européenne

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Ursula von der Leyen lors d'une rencontre à Jérusalem avec Benjamin Netanyahu, en juin 2015, alors qu'elle était ministre de la Défense de l'Allemagne. Elle préside aujourd'hui la Commission européenne.
Ursula von der Leyen lors d'une rencontre à Jérusalem avec Benjamin Netanyahu, en juin 2015, alors qu'elle était ministre de la Défense de l'Allemagne. Elle préside aujourd'hui la Commission européenne.
© AFP - Dan Balilty / pool

A compter du 1er juillet 2020, le gouvernement israélien pourrait enclencher le processus d’annexion de larges portions de la Cisjordanie. L’Union européenne, engagée depuis 1979 pour la solution des deux Etats, a-t-elle la volonté et les moyens de s’opposer au plan de Benjamin Netanyahu ?

Le compte à rebours a commencé. Le 1er juillet prochain, le gouvernement israélien pourrait annexer de larges portions de la Cisjordanie, en particulier les blocs de colonies juives et la vallée du Jourdain. Depuis les annonces de Benjamin Netanyahu, qui a promis "d'écrire un nouveau chapitre glorieux dans l'histoire du sionisme", les chancelleries européennes sont en ébullition.

Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, de nombreux échanges diplomatiques ont lieu par vidéo conférence pour définir une position commune européenne. Jean-Yves Le Drian, le patron du Quai d’Orsay, évoque l’option d’une "riposte", si d’aventure le plan israélien était mis en œuvre.

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L'Allemagne aussi à la manoeuvre

Même s’il émet quelques doutes, Gilbert Roger, président du groupe d’amitié France Palestine au Sénat, estime qu’il y aura une forme de réponse. "Je comprends que Jean-Yves Le Drian ne dévoile pas à l’avance ce que les Européens ont l’intention de faire. Je trouve très intéressant que l’Allemagne soit aussi à la manœuvre et évoque la notion de ligne rouge."

S’il était appliqué, le plan d’annexion israélien avalerait environ 30% de territoires palestiniens et déplacerait la frontière orientale de l’Etat hébreu à la Jordanie. Il consacrerait alors la fragmentation d’une Cisjordanie déjà composée d’enclaves urbaines sans continuité territoriale entre elles. Bref, ce serait la fin de la solution des deux Etats.

"Est-ce que la réponse de l’Union européenne sera commerciale et concernera le volume des importations et des exportations avec Israël avec un boycott, s’interroge Gilbert Roger. Est-ce que cela ira plus loin ? Moi, je serais plutôt en faveur d’actes forts qui iraient jusqu’à la reconnaissance de l’Etat de Palestine. Mais, je ne suis pas sûr que l’Europe soit encore prête à aller jusque-là."

Diplomatie incantatoire

L’histoire récente ne plaide pas en faveur d’une réponse "musclée" de la part de Bruxelles. Pendant la deuxième Intifada, l’armée israélienne avait délibérément détruit de nombreux projets financés par les Européens dans la bande Gaza et en Cisjordanie (aéroport, port, bureau des statistiques, siège de la radio-télévision, serres agricoles, laboratoire anti-terroriste, etc.). A l’époque, les consuls européens avaient protesté pour la forme. Aucune compensation financière n’avait jamais été exigée d'Israël pour réparer les dégâts.

"Je crains que nous soyons encore une fois dans une posture incantatoire, regrette un sénateur. On affiche une volonté de réagir et de pas accepter un fait accompli, et après il ne se passe rien. Par ailleurs, la première chose est de savoir si avant d’agir, tous les pays européens seront d’accords pour le faire. Et si c’est le cas, qu’est-ce que l’Europe entend entreprendre ?"

Et ce sénateur d’ajouter : "Le discours de Le Drian est sympathique et volontaire. Il est hors de question qu’une telle initiative israélienne reste sans réponse, nous dit-il_, mais tout de suite après, il ajoute : ne me posez pas de questions sur les modalités de cette riposte ! Je serais prêt à me contenter de ce discours, si derrière le rideau, ce n’était pas le vide sidéral !"_

L’UE dispose de moyens de pression sur Israël

En théorie, l’UE dispose pourtant de moyens de pression importants sur Israël. Grâce à l’accord d’association de 1995, l’Europe pèse lourd dans la balance commerciale de l’état hébreu. 

34 % des exportations israéliennes sont dirigées vers l’Union européenne alors que 43 % des importations israéliennes proviennent du vieux Continent. 

La coopération scientifique est matérialisée par la participation d'Israël au programme européen Horizon 2020. Le pays pilote aujourd’hui 846 projets, financés par l’Union européenne à hauteur de 592,9 millions d’euros – soit près de 2 % des crédits accordés à l’échelle européenne.

"Les Européens n’aiment pas le terme de sanctions, reconnaît un diplomate palestinien. Mais ils ont de nombreuses options pour agir, notamment la possibilité de revoir tous les accords de coopération, y compris militaire et scientifique."

L'exemple de la Crimée et des mesures contre Moscou

A Ramallah, on pousse à la reconnaissance de l’Etat de Palestine, qui aurait de lourdes implications juridiques. Israël n’annexerait plus simplement "des territoires" mais un Etat reconnu. Pour le moment, seuls trois Etats européens ont franchi le pas : la Suède, Chypre et Malte.

A défaut d’une reconnaissance de la Palestine, très illusoire d’ici le 1er juillet, "nous voulons que l’Union européenne prennent les mêmes mesures contre Israël que celles qu’elle avait décidées contre la Russie quand cette dernière avait annexé la Crimée en 2014", poursuit notre source diplomatique palestinienne.

L’Union européenne en a-t-elle la volonté politique ? Non, répond sans hésiter un ancien diplomate du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), le bras diplomatique de Bruxelles.

"L’UE ne va pas s’engager comme elle l’avait fait dans le passé, notamment avec la déclaration de Venise en 1979, explique cet ex-diplomate. Aujourd’hui, elle est toute occupée à gérer l’épidémie de la Covid-19 et ses conséquences. Ce n’est pas la priorité diplomatique de Josep Borrell, le haut-commissaire."

L’UE hors-jeu ?

En plus d’une administration américaine la plus pro-israélienne de l’Histoire, de nouveaux acteurs concurrents sont apparus dans le dossier israélo-palestinien, comme les pays du Golfe, Arabie saoudite et Emirats arabes unis en tête. Ces richissimes pétromonarchies n’attendent que le feu vert pour normaliser avec Israël.

Et notre ancien diplomate du SEAE de conclure sévèrement : "Sur la question israélo-palestinienne, l’UE est hors-jeu. Comme dans les tragédies grecques, Bruxelles c’est un peu le chœur antique qui, au fond de la scène, met en garde des dangers et des périls, mais qui, au fond, n’est plus qu’un spectateur en coulisse. Au mieux, les Européens donneront un coup de menton au détour d’une déclaration commune !"

Et l'Europe continuera d'être le premier contributeur du budget de l'Autorité palestinienne...