L'archéologie, dernier fil de coopération entre la France et l'Iran

Le site archéologique de Bazeh Hur dans le Khorasan oriental
Le site archéologique de Bazeh Hur dans le Khorasan oriental

France-Iran : la diplomatie de l'archéologie

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L'archéologie, dernier fil de coopération entre la France et l'Iran

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Dans les relations bilatérales tumultueuses entre la France et l’Iran, l’archéologie est le dernier secteur de coopération entre les deux pays.

Depuis la révolution islamique de 1979, les sujets qui fâchent ont toujours été nombreux et divers entre la France et l’Iran. Aujourd’hui, les deux pays s’opposent sur le dossier du nucléaire et le programme balistique de Téhéran ainsi que l’influence régionale iranienne au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen.

A cela, il faut ajouter d’autres "irritants" qui polluent les relations franco-iraniennes, comme le cas de Benjamin Brière, ce touriste français accusé d’espionnage ou encore celui de la chercheuse franco-iranienne de Sciences Po Paris, Fariba Adelkhah, assignée à résidence sous contrôle d’un bracelet électronique.

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Côté iranien, on reproche à la France son alignement sur les monarchies du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, ou d’accueillir le mouvement des moudjahiddines du peuple, groupe considéré comme terroriste par la République islamique.

Une longue histoire de fouilles archéologiques de la France en Iran

Au-delà de tous ces contentieux diplomatiques, il reste encore un dernier domaine de coopération, celui de l’archéologie. 

Elle s’inscrit dans une longue tradition. La France a commencé à fouiller en Iran en 1876. Aujourd'hui, le musée du Louvre et le musée national d'Iran ont lancé un chantier archéologique dans la province du Khorasan oriental.

Yannick Lintz, directrice du département des Arts de l'Islam du Louvre
Yannick Lintz, directrice du département des Arts de l'Islam du Louvre
© Radio France - Christian Chesnot

"Le site s’appelle Bazeh Hur, explique Yannick Lintz, directrice du département des Arts de l’Islam du Louvre. Il est moins prestigieux que Persépolis, mais il est original car il est situé sur la route de la soie et intéresse les Iraniens qui veulent mieux connaître cette période historique où apparaît l’islam."

La ville de Bazeh Hur se développe avec l’arrivée des Arabes aux alentours du VIIIe siècle, avec une occupation humaine qui dure jusqu’au XIVe siècle. La cité a connu beaucoup d’événements comme l’invasion des Mongols avec Gengis Khan.

Une équipe franco-iranienne fouille le site, dont il ne subsiste que la citadelle et des vestiges de la ville basse. "Il y a l’idée de reconnaissance des compétences, poursuit Yannick Lintz. Nous sommes au début de l’aventure parce que nous avons commencé à travailler il y a deux ans. Rendez-vous dans cinq ans pour voir les découvertes."

L'archéologie, une diplomatie non dite
L'archéologie, une diplomatie non dite
- Louvre/MAFIK

Cette coopération franco-iranienne ne se limite pas à ce chantier de fouilles et plonge ses racines dans une longue tradition. Le musée national d’Iran a été fondé par le Français André Godard au début du XXe siècle, qui a passé vingt-cinq ans de sa vie sur place.

C’est aussi lui qui a la demande de Réza Chah a créé l’administration des monuments historiques_.  "Il a laissé toutes ses archives au Louvre qui comprennent 12 000 documents_, précise Yannick Lintz. C’est comme si nos archives administratives des monuments historiques de Viollet-le-Duc ou de Mérimée, étaient conservées en Iran !"

L'exposition Le Louvre à Téhéran en 2018, un immense succès

Pour les Iraniens, c’est un trésor inestimable. Le Louvre et le Musée national d’Iran ont donc entamé un travail de numérisation de tous ces documents historiques. Cette coopération originale dans un contexte diplomatique tendu a été mise en valeur de façon spectaculaire par la grande exposition du Louvre à Téhéran en 2018.

L’événement a connu un immense succès et a marqué les esprits en Iran. Des centaines de milliers de visiteurs iraniens ont pu admirer pour la première fois une cinquantaine d’œuvres issues des différents départements du Louvre et du musée Delacroix.

L’archéologie et la culture sont des leviers précieux pour maintenir les fils du dialogue entre la France et l’Iran. "On a senti un redémarrage à la veille de la signature de l’accord sur le nucléaire en 2015, se souvient Yannick Lintz. Le Louvre a clairement servi de fil d’entrée."

Car, s’ils ne parlent pas de politique entre eux, les archéologues font de la diplomatie sans forcément le vouloir, et sont conscients que l’enjeu de leurs travaux dépasse le seul cadre académique.

Une diplomatie qui ne dit pas son nom

"Les impulsions dans notre domaine sont déterminées par un feu vert ou un feu rouge de nos autorités de tutelle, constate Yannick Lintz. Le fait de pouvoir continuer librement ces différents projets montre que c’est aussi un message politique fort. Au-delà de tous les aspects de tension et de difficulté de dialogue, le dialogue peut être maintenu même en pleine crise."

La chance pour les archéologues français est de travailler sur des vestiges anciens qui mettent en valeur le patrimoine historique iranien. Ils ne sont pas impliqués dans des terrains "sensibles" comme les sciences humaines, la sociologie en particulier, où la paranoïa des autorités est à fleur de peau. 

Les archéologiques prennent-ils des mesures de sécurité particulières ? "Plutôt des mesures de précaution, tient à préciser Yannick Lintz. Lors de mon dernier séjour en Iran début 2020, j’ai préféré dormir à l’ambassade de France, comme me l’avait conseillé les services diplomatiques et je ne suis pas sortie de Téhéran."

En tout cas, conclut la directrice du département des Arts de l’Islam du Louvre, "le Quai d’Orsay est plutôt content, car, qu’on le veuille ou non, notre action sert la diplomatie française."