L'avenir radieux des déchets nucléaires

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L'avenir radieux des déchets nucléaires

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Pour écouter l’émission, rendez-vous ici. Invités : Romain Garcier, géographe, maître de conférence à l’Ecole normale supérieure de Lyon et Sylvain David, physicien, chercheur du Cnrs à l’Institut de Physique Nucléaire d’Orsay.

N'hésitez pas à nous envoyer vos questions et/ou commentaires dans la rubrique "Votre commentaire" en bas de page !

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La catastrophe nucléaire au Japon provoque un débat virulent (en Allemagne, notamment) sur la sécurité des centrales au sein de l’Union européenne. Ce débat se focalise principalement sur la résistance des installations face aux catastrophes dites naturelles – le risque sismique est pourtant tout relatif en Europe du nord-ouest. Etrangement, il recouvre peu la question de la gestion des déchets nucléaires, pourtant très présente ces dernières années dans le débat public, à juste titre. Cinquante ans après l’entrée dans le nucléaire, les acteurs concernés n’ont toujours pas trouvé de solution satisfaisante – en admettant que ce soit possible. Car, comme l’écrit Michel Alberganti sur son blog En quête de sciences, il faudrait que les hommes soient parfaits pour que les catastrophes nucléaires n'arrivent pas.

Il existe aujourd’hui 143 centrales nucléaires dans l’UE, réparties sur seize pays membres qui produisent une totalité d’environ 7000m³ de déchets nucléaires tous les ans, [dont des matières à très haute radioactivité](http://ec.europa.eu/news/energy/101103_1_fr.htm 03/11/2010).

Spatial distribution of nuclear reactors worldwide
Spatial distribution of nuclear reactors worldwide

Spatial distribution of nuclear reactors worldwide ©Romain Garcier

A ce jour, il n’existe toujours pas de plan à long terme pour la gestion de ces déchets, dont la radioactivité peut pourtant perdurer jusqu’à un million d’années. En France, le projet « d’un centre de stockage profond, aux alentours de 2025 » est détaillé par une loi de 2006. Comme partout, il existe également un corpus de normes de protection pour limiter les risques d'exposition.

En même temps, l’objectif de l’UE de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20% jusqu’en 2020 a provoqué un véritable « renouveau nucléaire ». Au point où, en faisant omission de la problématique de la gestion des déchets, des pays comme la France, la République tchèque ou la Pologne promeuvent une politique nucléaire offensive au nom de la protection de l’environnement.

Les déchets à haute radioactivité peuvent ils être véritablement maîtrisés et conservés sans risques ? D’autant que cette gestion doit être viable économiquement. En attendant, les combustibles usagés et les résidus de la production d’énergie nucléaire continuent de s’amasser dans l’UE. Le verbe amasser est bien entendu un jugement de valeur assumé comme tel. Le verbe employé dans la filière comme en droit et dans les travaux scientifiques est : stocker. Les Etats se sont saisis de la question dans le cadre multilatéral de l'Organisation des Nations unies (ONU). Selon la Convention commune de l'ONU sur le combustible usé et les déchets radioactifs , les déchets doivent être stockés dans le pays où ils sont produits. Cette convention signale le souci des Etats ayant organisé une filière nucléaire de prévenir la circulation des matières nucléaires. Ce souci s'inscrit en écho aux actions visant à empêcher la prolifération nucléaire. Les seuls flux qui sont autorisés sont ceux relatifs au retraitement du combustible usé - juridiquement, celui-ci n'est donc pas qualifié de déchet. En France, la législation prohibe l'importation de déchets radioactifs à des fins de stockage.

Et au fait, qu’est ce qu’un "déchet nucléaire" ? Sa définition est contre-intuitive. Comme l’expliquent Romain Garcier (qui a très aimablement accepté de poster ses cartes ici pour vous) et Sylvain David, invités de Planète terre, la qualification en « déchet » ou « matière valorisable » est conventionnelle. Elle varie selon les législateurs. Dans chaque pays, le légisalteur en décide en fonction de critères économiques et industriels ou sociaux. Ainsi, le plutonium est en France une matière valorisable, quand il est aux USA un déchet nucléaire. Or, ce qu’on a le droit de faire avec un valorisable ou avec un déchet varie du tout au tout.

I. Typologie des déchets nucléaires : origine, taux de radioactivité et durée de vie

En fonction de leur provenance au sein du cycle du combustible, les déchets radioactifs peuvent prendre des formes boueuses, liquides, poudreuses, métalliques ou autres. Certains déchets sont générés au moment de l’exploitation des mines d’uranium d’autres lors de l’enrichissement de l’uranium (lorsque le métal est préparé en combustible pour favoriser au mieux la production d’énergie dans le réacteur) d’autres encore résultent de cette utilisation du combustible usé et résiduel.

Cycle du traitement d’un combustible nucléaire, l’uranium.
Cycle du traitement d’un combustible nucléaire, l’uranium.

Cycle du traitement d’un combustible nucléaire, l’uranium. ©Larousse.fr

Une grosse dizaine de pays produisent de l’uranium – le Canada et l’Australie sont les principaux producteurs.

Production totale (2008): 39.603 tonnes d'uranium métal
Production totale (2008): 39.603 tonnes d'uranium métal

Production totale (2008): 39.603 tonnes d'uranium métal ©Romain Garcier

Dix pays pratiquent l’enrichissement d’uranium. Cinq pays pratiquent le retraitement du combustible usé à une échelle industrielle et commerciale : la France, l’Inde, le Japon, la Russie et le Royaume-Uni (Etat qui a amassé le plus important stock de plutonium du monde). Au sein d'un même pays, les sites industriels sont souvent dispersés sur tout le territoire, et pas toujours faciles d'accès.

La distribution spatiale de l'industrie de l'uranium au Canada (données 2004)
La distribution spatiale de l'industrie de l'uranium au Canada (données 2004)

La distribution spatiale de l'industrie de l'uranium au Canada (données 2004) ©Romain Garcier

Trois pays de plus ont construit des capacités de retraitement à des fins domestiques : les USA, le Pakistan, et Israël. La Chine et la Corée du Sud l’envisagent.

Share of world uranium reserves (for an extraction cost of below US$ 80/kg) and industrial structure of the upstream (pre-use) u
Share of world uranium reserves (for an extraction cost of below US$ 80/kg) and industrial structure of the upstream (pre-use) u

Share of world uranium reserves (for an extraction cost of below US$ 80/kg) and industrial structure of the upstream (pre-use) uranium cycle. Source: OECD/NEA ©Romain Garcier

Ce retraitement (appelé aussi recyclage) débouche sur la production de plutonium, un métal très lourd, obtenu lors de l'irradiation de l'uranium, particulièrement fissile et très radioactif. Le larousse signale que "sa toxicité est extrême, puisque sa dose létale est de l'ordre du microgramme". Il est très apprécié pour ses propriétés industrielles : la fission des atomes de plutonium 239 produit encore plus de neutrons surnuméraires que la fission d’atome d’uranium 235, lui même beaucoup plus fissile que l'atome d'uranium 238. Il est donc très favorable à la réaction en chaîne opérée dans les réacteurs pour libérer de l’énergie.

Prenons, à titre d’exemple, les deux usines de retraitement de La Hague, dans le Cotentin en France. Leur capacité de traitement est de1700 tonnes de combustilble usé par an. Elles produisent donc jusqu'à, au plus, 17 tonnes de plutonium par an (le plutonium est présent à hauteur de 1% dans le combustible usé). Ce plutonium est ensuite mélangé à de l’uranium appauvri. Ce combustible composite se nomme MOX (mixed oxyde ). Ce procédé diminue de 15% la consommation d’uranium nécessaire à la fabrication de combustible. Il permet donc de repousser dans le temps le moment où le minerai d’uranium sera épuisé. La France et le Royaume-Uni cherchent à exporter une partie du MOX qu’elles fabriquent, en particulier vers le Japon. Le MOX est extrêmement radioactif. A terme, les industriels du nucléaire rêvent de mettre au point des procédés permettant de se passer d’uranium enrichi : cela permettrait d’allonger considérablement la durée d’utilisation des gisements de minerai d’uranium. L’uranium 235 est en effet naturellement beaucoup moins « abondant » que l’uranium 238. Un tel procédé, appelé réacteur de génération 4, reposerait sur une utilisation importante d'uranium appauvri et de plutonium. C’est la raison pour laquelle, en France ou au Royaume-Uni, le plutonium est juridiquement qualifié de valorisable et non de déchet. Il n'y a donc pas d'obligation en France à enfouir le plutonium sous haute protection: une grande partie de celui-ci n'est pas séparée du combustible; une autre part est séparé du combustible, donc: celui-ci est entreposée dans des piscines de stockage (immense réservoirs d'eau). Aux USA, le plutonium n'est pas non plus enfoui: il n'est pas séparé du combustible et ce combustible reste pour l'instant entreposé dans les centrales, dans des piscines ou des entreposages à sec.

Glossaire (Larousse) ** MOX** ** Plutonium**** ** Résidus**** ** Uranium ***(minerai d’uranium, uranium enrichi, uranium appauvri, ...) * **
Il y a aussi les déchets de démantèlement des installations nucléaires. Des matières nucléaires résultent enfin de l’uranium et du plutonium usés (le combustible usagé ne peut être recyclé plus de trois fois).

Les déchets nucléaires peuvent être distingués selon leur taux de radioactivité (faible, moyen ou haut) et de sa durée de vie (courte, c’est à dire moins de 31ans, ou longue).

En 2009, on comptait 250.000m³ de déchets de très faible activité (dans la limite des données disponibles), plus de 550.000m³ de faible et moyenne activité et environ 35.000m³ de haute activité au sein de l’Union européenne.

En France, il existe un inventaire qui répertorie les déchets existants sur le territoire national par famille et les classe également par filière de gestion, secteur d’activité, secteur économique et propriétaire.

Exemples de radioactivité pour 1 gramme de matière
Exemples de radioactivité pour 1 gramme de matière

Exemples de radioactivité pour 1 gramme de matière ©Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra)

II. Stockage, retraitement et transmutation : des solutions temporaires

Jusqu’en 1983, la gestion des déchets nucléaires se faisait par moyens de « dilution » dans l’environnement. Cette pratique a ensuite été interdite en grande partie par la Convention de Londres. En sachant que cette Convention intervient contre des rejets spécifiques comme ceux commis à partir de bateau, et que des rejets en mer persistent à partir de tuileaux sous-marins (400m³ de déchets par jour rejetés par l’usine de la Hague en France selon Greenpeace) :


Si ces pratiques dommageables persistent, la Convention de Londres a quand même eu pour résultat que les déchets nucléaires sont aujourd’hui majoritairement traités selon des pratiques de « concentration » :

La plupart des déchets radioactifs sont stockés, ou alors entreposés en attendant la décroissance de leur radioactivité pour un stockage définitif (final ou avec option de récupérabilité). Sur les seize Etats membres européens producteurs d’énergie nucléaire, moins de la moitié disposent de sites de stockage pour les déchets de faible ou moyenne radioactivité.

Il existe également des usines de retraitement qui séparent les matières nucléaires des autres déchets pour permettre leur réutilisation. Dans une logique semblable, des recherches examinent actuellement la possibilité d’une séparation-transmutation qui viserait à séparer les déchets en fonction de la durée de vie de leur toxicité.

Catégories de déchets radioactifs en France
Catégories de déchets radioactifs en France

Mode de gestion des déchets radioactifs en France selon la catégorie des déchets©Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra)

Un rapport sur la gestion des déchets radioactifs dans l’UE, commandité par le groupe des Verts/ALE du Parlement européen, étudie les avantages et inconvénients de ces différentes stratégies.

Pour les déchets à haute activité par exemple, le rapport note qu’une sûreté absolue ne peut être garantie ni par le stockage définitif, ni par le stockage avec récupérabilité. Dans le premier cas il faudrait pouvoir garantir une sûreté d’un million d’années, dans le deuxième cas les risques liés à l’accessibilité sont difficilement calculables.

Quant au retraitement, les risques d’exposition et d’accidents sont plus importants à cause du nombre élevé d’opérations effectuées. Il reste également des résidus du retraitement qui doivent toujours être traités à leur tour. La technique de séparation-transmutation est une possibilité de plus en plus étudiée, mais les recherches s’avèrent très chères et encore peu financées. Or les risques encourus pendant ce très long processus, dépasseraient de loin encore ceux encourus par la méthode de retraitement.

Pour les déchets de moyenne et de haute activité également il existe des solutions de stockage qui sont pour la plupart temporaires.

Les solutions envisagées par l’UE actuellement se résument à un site européen unique, dont le concept doit encore être précisé. C'est en Europe de l’Est que se trouverait le candidat principal pour accueillir ce site.

Pour un aperçu de la gestion des déchets nucléaires en France, voir l’inventaire national des déchets radioactifs, ainsi que le site de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN, qui informe sur les différents acteurs impliqués ou encore l’expertise disponible en France. Voir également l’article de Sylvestre Huet sur le Plan national de gestion des déchets radioactifs, publié en juin 2010 sur son blog Sciences².

**III. Retours d’expériences : l’exemple du démantèlement **

L’incertitude qui règne sur la gestion à long terme des déchets radioactifs dans le monde incite à l’échange d’expertise et à l’analyse comparative à l’échelle internationale. La question se pose également dans le cadre du démantèlement des installations nucléaires, lorsqu'elles arrivent en fin de cylce d'utilisation, ou lorsqu'un pays a décidé de sortir du nucléaire.

En 2002, l’OECD-AEN (l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OECD) a publié un premier rapport exhaustif collectant différents retours d’expérience sur le démantèlement des installations nucléaires en Europe (protection des travailleurs, de l’environnement, du public coûts etc.).

A l’échelle des institutions européennes, la France, dont le paysage réglementaire a beaucoup évolué au cours des dernières années, a fait l’objet d’un rapport pays détaillé commandé par la Commission européenne.

Face à des études qui se focalisent beaucoup sur les coûts et les risques, et aux enseignements à tirer des accidents et catastrophes, le monde professionnel du nucléaire s’attèle à diffuser les exemples de démantèlements réussis.

IV. La circulation des matières nucléaires saisie par les acteurs internationaux

La coopération internationale porte également sur le retraitement.

Seuls deux Etats de l'UE ont construit des installations de retraitement du combustible usé. Ceci provoque des flux de matières nucléaires au sein de l'UE. Ces flux sont encadrés par la Convention commune de l'ONU sur le combustible usé et les déchets radioactifs évoquée plus haut. Ainsi, les Pays-Bas et l’Italie, par exemple, envoient une partie de leur combustible usé en France . Une fois le combustible retraité, la loi française oblige les pays à le récupérer pour stockage. Cependant, la convention de l'Onu stipule que les résidus issus de ce retraitement sont stockés dans le pays où le retraitement a eu lieu.

Le Royaume-Uni est actuellement bien embarrassé: selon The Guardian repris dans Le Courrier International, suite à l'accident de Fukushima, les Japonais, vont probablement suspendre ou interrompre leur approvisionnement en Mox issu de l'usine de retratement du Royaume-Uni ; ce qui risque de coûter cher aux Britanniques.

Les informations et les actions des Etats, qu'elles soient nationales ou dans un cadre international, font face à celles d'ONG antinucléaires transnationales. Greenpeace a ainsi publié en 2005 un rapport très critique sur l’envoi de combustible usé en Russie par des électriciens européens (dont, à cette date, EDF). Grenpeace s'inscrit en faux contre la distincition juridique matière valorisable/déchets - pour les ONG antinucléaires, tous les combustibles usés et résidus sont des déchets. Elle s'inquiète vivement des conditions de transport et de l'absence de rigueur qui entoure le stockage par les autorités russes des déchets qu'il leur appartient de garder sur leur territoire. Pour l'Ong, il conviendrait de prohiber la circulation ( d’interdire l’exportation de déchets dit elle) du combustible usé.

En savoir plus :

--> Organisations internationales

Commission internationale de protection radiologique (CIPR)

Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des radiations ionisantes (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation ou UNSCEAR)

Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)

L'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN), une agence spécialisée de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

--> Projets de recherche

Garcier R. (dir.) Catégorisation des matières et géographie des flux dans l’industrie nucléaire du Centre de Recherches et de Documentation pour l’Amérique Latine (CREDAL – UMR 7169 CNRS), avec le soutien de l’Ecole normale supérieure ( département de géographie).

Activités scientifiques de l'Institut de Physique Nucléaire d'Orsay

--> Publications

David S., Dessus B., " Peut on sauver la planète sans changer nos modes de vies?", éd. Prométhée, 2010.

Hecht G., " Le rayonnement de la France - Energie nucléaire et identité nationale après la Seconde Guerre mondiale", éd. La Découverte, 2004.

Tertrais B., " Atlas mondial du nucléaire ; civil et militaire" (Cartographie et infographie d'Alexandre Nicolas), éd. Autrement, 2011.