L’Élysée : d’hôtel particulier à palais du pouvoir, en trois cents ans d’histoire

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L’Élysée : d’hôtel particulier à palais du pouvoir, en trois cents ans d’histoire

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Le palais de l'Elysée, un ancien hôtel particulier devenu en trois siècles le lieu de résidence officiel des présidents de la République et depuis 1959, le centre névralgique du pouvoir en France.
Le palais de l'Elysée, un ancien hôtel particulier devenu en trois siècles le lieu de résidence officiel des présidents de la République et depuis 1959, le centre névralgique du pouvoir en France.
© AFP - Eric Feferberg

De Napoléon à Macron, l’Élysée est progressivement devenu le lieu emblématique du pouvoir en France. Prestigieuse résidence d'illustres propriétaires dont on fête cette année le tricentenaire, l’Élysée est le QG de l’action présidentielle depuis que le général de Gaulle s’y est installé en 1959.

Le palais de l'Élysée a été construit il y a trois siècles pour le comte d'Évreux, lieutenant-général des armées de Louis XV, grâce au soutien financier de son beau-père, l'homme le plus riche du royaume au XVIIIe siècle, Antoine Crozat.

Il n'avait pas du tout vocation à se hisser, après Versailles ou les Tuileries, au sommet de l'action politique.

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Inauguré le 14 décembre 1720, lors d'une grande réception, en présence du Régent, l'hôtel particulier occupé ensuite, tour à tour, par la marquise de Pompadour, par un banquier et par la cousine de Louis XVI, la duchesse de Bourbon, survit à la Révolution française.

Passant de mains en mains, divisé en appartements, utilisé pour de grands bals, il devient, au début du XIXe siècle, la propriété de Joachim et Caroline Murat, sœur de Napoléon Ier.  

L'empereur, en prenant possession des lieux, en 1809, lui donne pour la première fois des caractères de résidence d’Etat et de lieu de pouvoir. 

Et c’est après la Révolution de 1848 et l'instauration de la IIe République, que le palais de l'Élysée accueille le premier président élu de l’histoire de France : Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier. 

Suite à son coup d’Etat, le nouvel empereur Napoléon III quitte les lieux tout en y faisant entreprendre une profonde rénovation. L’Élysée dans sa version moderne, celle que l'on connaît aujourd'hui, devient alors une demeure pour les souverains étrangers en visite à Paris. 

Ce n’est qu’à partir des années 1870, sous la IIIe République, que le palais est consacré comme résidence officielle du chef de l'Etat et se trouve doté très vite du téléphone, puis de l’électricité et plus tardivement du chauffage central... 

Fermé pendant la Seconde Guerre mondiale, il ne rouvre ses portes aux présidents de la République qu’en 1947, avant de se transformer, douze ans plus tard, en véritable centre névralgique du pouvoir.  

C'est le général de Gaulle, dès le début de la Ve République, qui a fait de l'institution présidentielle le principal arbitre de la vie politique française et un symbole de la pérennité de l’État.

Dans la salle des fêtes du palais de l'Elysée, le général de Gaulle tient le 9 septembre 1968, sa dix-septième conférence de presse, en tant que président de la République, devant quelque sept cents journalistes.
Dans la salle des fêtes du palais de l'Elysée, le général de Gaulle tient le 9 septembre 1968, sa dix-septième conférence de presse, en tant que président de la République, devant quelque sept cents journalistes.
© AFP

L’Élysée : un hôtel particulier ne cessant de changer de mains pendant près d’un siècle

Avant d’accueillir les présidents de la République, le palais de l’Élysée, au 55 rue du Faubourg-Saint-Honoré, dans le VIIIe arrondissement de Paris, a connu de nombreux et très variés propriétaires. Et il a changé de noms plusieurs fois, après sa construction en 1720, financée par le richissime négrier Antoine Crozat pour le compte de son gendre, Louis-Henri de la Tour d’Auvergne

D’abord baptisé l’hôtel d’Évreux, le palais de style classique, bâti entre cour et jardin, est occupé à partir de 1753 par la marquise de Pompadour. La favorite de Louis XV en modifie la décoration, avec des tapisseries des Gobelins, des lustres en cristal de Bohème et fait couvrir ses murs de boiseries et d’or. Des habitants du quartier, populaire à l’époque, dénoncent avec des graffitis, ce qu’ils considèrent comme "la maison de la putain du roi". 

La marquise de Pompadour, deuxième propriétaire de l’hôtel d’Evreux, futur palais de l’Elysée. Tableau de Maurice Quentin de La Tour (1755)
La marquise de Pompadour, deuxième propriétaire de l’hôtel d’Evreux, futur palais de l’Elysée. Tableau de Maurice Quentin de La Tour (1755)
- RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot

A la mort de la Pompadour, le lieu devient garde-meuble de la Couronne, avant d’être racheté par un banquier, Nicolas Beaujon, en 1773.  

Bathilde d’Orléans, la duchesse de Bourbon, sa dernière occupante avant la Révolution française, s’y installe en 1787.  

L’hôtel Beaujon est alors rebaptisé l’hôtel de l’Élysée, pour la première fois. L'Élysée, choisi par la cousine de Louis XVI "férue de sciences occultes et de mythologie grecque", selon un article de France-Soir du 17 mai 1995, "signifiant pour les Grecs, séjour des âmes des héros et des hommes vertueux".  

Après la Révolution, le palais sert d’entrepôt, accueille une imprimerie, est divisé en appartements et devient aussi le théâtre de bals populaires. 

Et il a "beaucoup souffert" pendant "ces années troubles", selon François d’Orcival, membre de l’Académie des sciences morales et politiques à l’Institut de France et historien de l’Élysée :  

Toute la période révolutionnaire sera une période extrêmement chahutée, pendant laquelle le palais de l’Élysée échappe à la destruction, échappe au pire. Mais du point de vue de la propriété, entre des mains diverses et variées, il devient une sorte de parc d'attractions et son état se détériore. Il ne revient entre des mains quasi-officielles qu’en 1805, lorsque la sœur de Napoléon Bonaparte, Caroline, l’acquiert et le restaure.

Caroline et son époux le maréchal de France Joachim Murat y résident jusqu’en 1809, date à laquelle ils cèdent à Napoléon 1er la propriété que l’empereur rebaptise l’Élysée-Napoléon.

"Napoléon Ier et Benjamin Constant dans les jardins de l’Elysée en juin 1815 ", par Henri-Félix-Emmanuel Philippoteaux
"Napoléon Ier et Benjamin Constant dans les jardins de l’Elysée en juin 1815 ", par Henri-Félix-Emmanuel Philippoteaux
- RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Gérard Bl

L’Élysée : résidence d’État et lieu de pouvoir pour la première fois sous Napoléon

Les Tuileries restent le siège officiel du pouvoir quand Napoléon Bonaparte prend possession de l’Élysée. Mais cette demeure que l’empereur apprécie comme une maison de repos, "sa maison de santé", change alors radicalement de statut, pour François d’Orcival : 

1809 est une année clé, puisque l’Élysée d’une certaine façon entre à ce moment-là dans le domaine public, dans le domaine de l’État, pour ne plus le quitter par la suite. La présence de Napoléon à l’Élysée, est une présence importante à ce qu’elle lui apporte une figure majeure du pouvoir. 

Mais c’est surtout à la fin de l'Empire que l’Élysée devient un véritable lieu d’exercice du pouvoir. Napoléon y prépare "la campagne de Russie" en 1813 et après Waterloo, signe dans le Salon d’argent son acte d’abdication le 22 juin 1815. 

Entre temps et en son absence lorsqu’il est défait, en 1814, le tsar Alexandre 1er, prend possession du bâtiment, pendant trois mois, le temps pour Louis XVIII de revenir s’installer à Paris, aux Tuileries.  

Pendant cette courte période, "de 1813 à 1815, l’Élysée, souligne François d’Orcival, joue donc un rôle considérable !".

Devant un buste tutélaire de l'empereur Napoléon 1er, dans le palais de l’Elysée, le président Louis-Napoléon Bonaparte délivre ses instructions aux conjurés pour son coup d’Etat, dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851. Estampe de Philippoteaux.
Devant un buste tutélaire de l'empereur Napoléon 1er, dans le palais de l’Elysée, le président Louis-Napoléon Bonaparte délivre ses instructions aux conjurés pour son coup d’Etat, dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851. Estampe de Philippoteaux.
- Collection De Vinck / Bibliothèque nationale de France

L’Élysée : Louis-Napoléon Bonaparte, premier président à l’occuper avant la IIIe République

Tous les présidents de la République ont résidé à l’Élysée, à commencer par le premier élu au suffrage universel : Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu de l’empereur, le 20 décembre 1848, au début de la IIe République.  

Et c’est dans le palais rebaptisé Élysée National, dans le Salon d’argent, qu’il prépare son complot, son coup d’État du 2 décembre 1851, avant de déménager aux Tuileries.  

Louis-Napoléon Bonaparte, devenu à son tour empereur sous le nom de Napoléon III, ne néglige pas pour autant les lieux, en en faisant, après des travaux colossaux, la demeure des souverains étrangers en visite à Paris. 

Au point, selon François d’Orcival, de laisser ses traces dans l’histoire du palais :  

L’Élysée moderne date d’une époque où Louis-Napoléon, alors qu’il n’est plus le président de la République, en le transformant, sera celui qui d’une certaine manière, lorsque l’Empire en 1870 va s’effondrer, lèguera le lieu intact à la République. 

Pendant son règne, il l'utilise aussi en tant que lieu de pouvoir, en y accueillant notamment, en 1855, au plan diplomatique, la reine Victoria avec laquelle il noue une alliance historique entre la France et l’Angleterre. 

Estampe de 1871 intitulée "Insurrection de Paris - Incendie du palais des Tuileries". Le palais de l’Elysée est choisi comme résidence officielle des présidents de la République, après la destruction du lieu historique du pouvoir pendant la Commune.
Estampe de 1871 intitulée "Insurrection de Paris - Incendie du palais des Tuileries". Le palais de l’Elysée est choisi comme résidence officielle des présidents de la République, après la destruction du lieu historique du pouvoir pendant la Commune.
- Maison Pellerin / Bibliothèque nationale de France

Et c’est donc dans les années 1870, après la chute du Second empire que l’Élysée est devenue la résidence officielle des présidents de la République. Le choix a d’abord été fait pour des raisons purement matérielles, explique François d’Orcival : 

La IIIe république s’installe juste après que les Tuileries ont été incendiées sous la Commune, en 1871. Les Tuileries, siège historique du pouvoir ayant disparu, on trouve un palais pour le pouvoir, un palais certes beaucoup plus petit, mais qui correspond tout à fait à la manière dont on voit le Président à l’époque. 

Alors que les présidents de la République commencent à s’installer durablement à l’Élysée, le pouvoir dans le même temps, s’en éloigne. 

Les décisions, pendant la IIIe République, sont prises par l’Assemblée nationale et le gouvernement.   

Et si l’Élysée continue à se moderniser, avec l’arrivée entre autres du téléphone dès 1880, le rapport de force est resté quasi-inchangé, pendant près de soixante-dix ans, jusqu’à l’Occupation. 

En 1940, au tout début de la Seconde Guerre mondiale, le président Albert Lebrun fait construire un bunker de 250 m2 au sous-sol de l’Élysée, un abri anti-aérien qui sera transformé, sous Valéry Giscard d’Estaing, en "PC Jupiter". 

Ce poste de commandement comprend le système de déclenchement de la force de dissuasion nucléaire française. Mais il est aussi, encore aujourd’hui, utilisé par les présidents de la République pour lancer des opérations extérieures et pour les Conseils de défense. 

Le président Emmanuel Macron en face du 1er ministre Édouard Philippe, au "PC Jupiter", le 8 mars 2020, lors du troisième Conseil de défense sur la propagation du Covid-19 en France.
Le président Emmanuel Macron en face du 1er ministre Édouard Philippe, au "PC Jupiter", le 8 mars 2020, lors du troisième Conseil de défense sur la propagation du Covid-19 en France.
© AFP - Thibault Camus

L’Élysée : centre névralgique du pouvoir en France depuis la Ve République

Dans sa préface à l’ouvrage d'Eric Branca, Les Présidents de la République, paru en 2001, Alain Decaux propose quatre catégories :

Les présidents de la IIIe République, dotés par la Constitution de 1875 de réels pouvoirs, dont seuls Mac-Mahon et Millerand ont cherché à user : la chute fut au bout de leurs velléités. Deuxième catégorie : ceux qui se sont contentés de s'incliner devant le président du Conseil, véritable chef de l'exécutif. Troisième catégorie : les deux présidents de la IVe République auxquels, cette fois, la Constitution n'accorda pratiquement aucun pouvoir, ce qui n'empêcha pas le second, René Coty, de jouer un rôle capital dans l’Histoire en appelant Charles de Gaulle à prendre sa place. Dernière catégorie : les présidents de la Ve République, dotés par la Constitution de 1958 de pouvoirs si vastes que nul, un an plus tôt, n'aurait pu imaginer un tel renversement.

La grille dite "du Coq" a été dessinée à la fin du XIXe siècle par Adrien Chancel. Porte discrète depuis l’avenue Gabriel vers les deux hectares du parc, elle permet certaines visites et aux Présidents d'aller ranimer la flamme du soldat inconnu.
La grille dite "du Coq" a été dessinée à la fin du XIXe siècle par Adrien Chancel. Porte discrète depuis l’avenue Gabriel vers les deux hectares du parc, elle permet certaines visites et aux Présidents d'aller ranimer la flamme du soldat inconnu.
© AFP - Eric Feferberg

Fermé pendant l’Occupation, l’Élysée n’est pas immédiatement rouvert à la Libération. Le général de Gaulle ne veut pas s’y installer, en privilégiant alors exclusivement le ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique. 

C’est seulement en janvier 1947 que le premier président élu de la IVe République, Vincent Auriol, reprend possession des lieux. 

Et c’est en deux étapes que Charles de Gaulle va faire du palais le centre du pouvoir, précise l'historien de l'Élysée, François d’Orcival : 

Quand René Coty lui cède sa place, le général comme à la Libération ne s’installe pas au palais, mais à Matignon. Ce n’est que lorsqu’il décide d’être à son tour président, sous la Ve République qu’il accepte d’entamer son mandat le 8 janvier 1959, à l’Élysée, bien qu’il n’a jamais vraiment aimé cet endroit qu’il qualifie de caserne ! Charles de Gaulle était de ceux qui auraient préféré des lieux plus prestigieux, comme l’École militaire ou le château de Vincennes, mais on lui a montré que le lieu des pouvoirs au centre de Paris, en dehors de Matignon, c’était l’Élysée tout simplement. Et donc il y est resté.

Symbole de l’importance que prend le palais sous la Ve République, le traité scellant la réconciliation franco-allemande signé par le général de Gaulle et Konrad Adenauer, le 22 janvier 1963 dans le Salon Murat, porte le nom de "traité de l’Elysée".
Symbole de l’importance que prend le palais sous la Ve République, le traité scellant la réconciliation franco-allemande signé par le général de Gaulle et Konrad Adenauer, le 22 janvier 1963 dans le Salon Murat, porte le nom de "traité de l’Elysée".
© AFP

Sous la Ve République, le pouvoir exécutif s’installe définitivement à l’Élysée qui devient le QG de l’action présidentielle, avec quelque 900 personnes sur place - pour son fonctionnement du point de vue militaire et civil - contre une centaine sous la IIIe République.  

Le général de Gaulle y tient ses conférences de presse et signe avec Konrad Adenauer, le 22 janvier 1963, un traité consacrant une nouvelle coopération franco-allemande, le "traité de l’Élysée". Et comme le souligne François d’Orcival : 

Jamais l'Élysée, jamais le nom Élysée n’avait été ainsi utilisé jusque-là ! C’est certainement un des tous premiers signes forts de la remontée du président de la République dans le palais, au sommet de la hiérarchie gouvernementale. 

Dans sa version moderne héritée de Napoléon III, le Salon Murat accueille les Conseils des ministres et le Salon doré, le bureau du président de la République, occupé par tous les chefs de l’État de la Ve République, à l’exception de Valéry Giscard d’Estaing et d’ Emmanuel Macron, qui l’ont tous deux délaissé au profit de l’ancienne "chambre de la Reine". 

Le président Jacques Chirac, le 27 avril 1996, dans le Salon doré au premier étage de l'Élysée, avec le bureau Louis XV en bois de violette qu’utilisait son mentor, le général de Gaulle.
Le président Jacques Chirac, le 27 avril 1996, dans le Salon doré au premier étage de l'Élysée, avec le bureau Louis XV en bois de violette qu’utilisait son mentor, le général de Gaulle.
© AFP - Jacques Demarthon

François Mitterrand qui détient le record de longévité, pendant deux septennats, 14 ans à l’Élysée, a profondément changé le mobilier et les décorations, dans ce Salon doré, avant de le restituer comme il était auparavant sous le général de Gaulle à son successeur, Jacques Chirac. 

Et à part son épouse, Bernadette Chirac, qui a eu beaucoup de mal à quitter l’Élysée, ses hôtes s’y sont sentis bien souvent prisonniers :  

Une demeure "trop bourgeoise, où l’esprit ne souffle pas", pour le général de Gaulle. 

Valéry Giscard d’Estaing n’y résidait pas pendant son mandat, mais continuait à vivre dans son appartement parisien. 

Parmi leurs prédécesseurs, sous la IIIe République, Raymond Poincaré déclara croire habiter la "maison des morts" ; "ces murs m’écrasent !", s’exclama Paul Deschanel. 

Et la famille de Georges Pompidou, en parlant de "maison du malheur", attribue à l’Élysée en tant que lieu de pouvoir, une partie de la responsabilité de la maladie qui l’a emporté, au début des années 1970, en plein exercice de sa présidence. 

Georges Pompidou, lui-même, qualifiait l'Élysée de "palais de bric et de broc".

L'Élysée vu du ciel en janvier 2015.
L'Élysée vu du ciel en janvier 2015.
© AFP - Kenzo Tribouillard