L'expresso italien inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité ?

Publicité

L'expresso italien inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité ?

Par
Derrière le comptoir de la "Tazza d'oro" qui ne désemplit presque jamais en temps normal, les spécialistes de l'expresso italiano
Derrière le comptoir de la "Tazza d'oro" qui ne désemplit presque jamais en temps normal, les spécialistes de l'expresso italiano
© Radio France - Bruce de Galzain

Reportage. L’Italie avait jusqu’au 31 mars pour candidater et a décidé de porter une candidature unie, c’est déjà une victoire ! Après la pizza déjà reconnue par l'Unesco, l’expresso est l’un des rites les plus partagés en Italie. Le café est une culture, un patrimoine et chaque région a sa spécificité.

L’expresso en Italie c’est au bar et c’est tout le temps. À la Tazza d’oro, à Rome, Roberto s’active devant sa machine à expresso : attentif à la pression, il lui faut 25 secondes pour faire couler 25 mml de café. Laura Birozzi travaille dans le célèbre café depuis dix ans, elle estime tout à fait méritée une entrée au patrimoine immatériel de l’humanité. 

Ça fait partie de la vie de tous les Italiens. Je pense que la première chose que font 99% des Italiens quand ils se réveillent c’est de prendre un café ! L’expresso c’est quelque chose qui caractérise l’Italien donc ce serait vraiment une reconnaissance importante pour nous.

Publicité
En temps normal, touristes et italiens sont obligés d'attendre en file indienne avant d'entrer dans "La Casa delle caffè, Tazza d'oro" pour déguster l'un des meilleurs cafés de Rome
En temps normal, touristes et italiens sont obligés d'attendre en file indienne avant d'entrer dans "La Casa delle caffè, Tazza d'oro" pour déguster l'un des meilleurs cafés de Rome
© Radio France - Bruce de Galzain

Au café, chacun a son habitude, Giorgio le boit corsé : "Je le prends ristretto, très serré" explique l'homme d'une soixantaine d'année "matin, midi, même l’après-midi et systématiquement au bar !". 

Pour Umberto aussi, il n’y a "que" l’expresso : "J’ai d'abord pris un expresso normal en premier et là c'est un macchiato parce que c’est le deuxième". Et pas de doute, c'est bien l'expresso romain le meilleur : "C_hacun ses goûts, mais personnellement ce n’est pas le café napolitain que je préfère mais celui-là l’expresso fait avec la machine". _

L'actrice napolitaine Marisa Laurito chez elle devant le seul café qu'elle boit, le café napolitain
L'actrice napolitaine Marisa Laurito chez elle devant le seul café qu'elle boit, le café napolitain
© Radio France - Bruce de Galzain
Sans oser le demander
58 min

À Naples, le café est partagé 

Plus au sud, le café reste une institution mais il se boit différemment. L’actrice napolitaine Marisa Laurito nous accueille chez elle avec son impresario en robe de chambre. Il est midi. Elle vient de préparer son café dans la cuccumella, la cafetière classique napolitaine qu’il faut retourner lorsque l’eau boue contrairement à la plus connue, machinetta, qui reste sur le feu. Le café napolitain prend plus de de temps. Mais c'est cela aussi Napoli, c'est se laisser du temps et créer du lien.

Le café napolitain n’est pas seulement le café que tu bois, c’est une philosophie !

La cuccumella ou cafetière classique napolitaine se retire du feu  lorsque l'eau bout et se retourne, le café coule plus lentement
La cuccumella ou cafetière classique napolitaine se retire du feu lorsque l'eau bout et se retourne, le café coule plus lentement
© Radio France - Bruce de Galzain

À Naples, la solidarité est une deuxième nature. Marisa Laurito est très sensible à ce qui a toujours existé : le café suspendu ! "N'importe qui laisse de l’argent pour un café, deux cafés et la caissière le note sur un livret" explique la comédienne "cela permet à quelqu’un - qu’il soit pauvre ou pas - d’avoir un café sans payer, c’est vraiment la philosophie de Naples : offrir quelque chose à quelqu’un que tu ne connais pas !" Et puis à Naples quand quelqu’un meurt, la première chose que l’on apporte c’est du café avec un paquet de sucre. 

Naples et le consortium de Trévise s'allient pour défendre l'expresso italien

À Rome, à Naples, à Trieste, à Milan, à Trévise, chacun a sa façon de faire le café et tous pensent être les meilleurs. Une trentaine de millions d'Italiens boivent chaque jour un expresso. L'an dernier, l'Italie avait renoncé à déposer sa candidature au patrimoine culturel immatériel de l'humanité car la région de Naples, la Campanie, et le "Consortium pour la sauvegarde du traditionnel expresso italien de Trévise" n'avaient pas réussi à s'entendre pour présenter une candidature commune à l’Unesco. Mais cette année est la bonne et tous vont défendre l’espresso italiano. Mais le café ne se résume pas à l’expresso et à Trévise, Elisa Urdich a décidé il y a quatre ans d'ouvrir un café et d’éduquer les Italiens à d’autres cafés. Elle est championne d’Italie de café… filtre !  

Benedetta et Elisa mettent un soin particulier à verser l'eau en 3 fois dans le filtre pour exalter les arômes du café
Benedetta et Elisa mettent un soin particulier à verser l'eau en 3 fois dans le filtre pour exalter les arômes du café
© Radio France - Bruce de Galzain

Contrairement à l’expresso qui se fait avec une machine, le café filtre se fait à la main. Elisa ne fait pas bouillir l'eau, il faut atteindre une température comprise entre 88 et 94 degrés. Sont nécessaires alors 15 g de café dont la torréfaction idéale doit être assez légère, ce qui renforce l'acidité naturelle et préserve les arômes. Puis l'eau se verse en 3 fois dans le filtre d’abord 30 mml puis 120 puis 100 mml. Tout un art avec lequel Elisa Urdich veut conquérir le palais des Italiens. 

Parfois, on se trouve devant des murs mais heureusement il y a de plus en plus de gens qui veulent comprendre ce qu'ils boivent et ce qu'ils mangent ; il y a toujours plus de curiosité en général pour le monde du vin, de la bière et heureusement, cela arrive aussi pour le café !

Mais ce n'est pas si simple de convaincre les Italiens, les touristes sont plus curieux ou plus habitués : "Nous pensons que le café doit obligatoirement être crémeux, corsé, amer, et nous n'imaginons pas qu’il puisse être beaucoup plus que cela" se désole Elisa qui rappelle que "le café est en fait la graine d'un fruit, il est tout à fait normal et même naturel qu'il puisse avoir des notes un peu plus fruitées, plus fraîches".

Benedetta verse avec délicatesse un café filtre d'origine éthiopienne
Benedetta verse avec délicatesse un café filtre d'origine éthiopienne
© Radio France - Bruce de Galzain

Aujourd’hui, comparé à il y a quatre ans à l'ouverture du café, les clients apprécient de plus en plus les différentes saveurs. Elisa Urdich a su éduquer les amateurs à gouter plusieurs cafés et à comprendre que tous les cafés ne sont pas les mêmes. 

Que l’on préfère l’expresso, le capuccino, le café filtre, le plus important pour tous reste la matière première, le café, qu'il vienne d’Inde, d’Éthiopie, de Colombie, du Brésil, du Guatemala

Les passionnés de café, les nombreux bars italiens qui le servent al volo, au comptoir ou à table devront encore attendre un moment avant de savoir si l'espresso italiano est reconnu patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'Unesco car l'agence onusienne prendra le temps d'étudier tous les dossiers et ne se prononcera pas avant novembre ou décembre 2023.

À réécouter : Les chemins de la connaissance - Les avatars du goût : l'épopée du café 3/5
Les Nuits de France Culture
29 min
À réécouter : Café Society