L'exultation de l'Amérique démocrate

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L'exultation de l'Amérique démocrate

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Mandy Mc Hane, soutien de Biden qui attendait les résultats devant le QG du candidat à Wilmington, Delaware, exulte après avoir entendu que Joe Biden était Président Élu
Mandy Mc Hane, soutien de Biden qui attendait les résultats devant le QG du candidat à Wilmington, Delaware, exulte après avoir entendu que Joe Biden était Président Élu
© AFP - Jim Watson

Le monde dans le viseur. Le samedi 7 novembre dans l'après-midi, les médias américains donnent Joe Biden vainqueur de la présidentielle aux États-Unis. Une annonce qui met un terme aux quatre jours de suspense depuis la nuit électorale du 3 novembre. Le camp démocrate exulte.

La photo de Jim Watson est une sorte de "modèle du genre" de la photo d’actualité ou journalistique. Elle parle d’elle-même, et n’a pratiquement pas besoin d’être légendée. Tout y est : on y lit immédiatement qu’on est aux États-Unis, et qu’une jeune fille, soutien visible du candidat démocrate à la présidentielle Joe Biden, saute littéralement de joie. Jim Watson, photographe de l’AFP basé à Washington, a en effet saisi le moment où, indique la légende de l'image, "le 7 novembre 2020, Mandy Mc Hane, soutien de Biden qui attendait les résultats devant le QG du candidat à Wilmington, Delaware, exulte après avoir entendu que Joe Biden était 'président élu"'.

Les premiers grands médias américains (CNN, l’Associated Press, mais bientôt la très trumpiste chaîne Fox également) qui, depuis la nuit électorale du 3 novembre, réservaient leur pronostic quant au vainqueur, viennent en effet de donner Joe Biden en tête du scrutin en Pennsylvanie, ce qui lui donne mécaniquement 20 grands électeurs supplémentaires, lui en assurant au moins 279 au total, soit 9 de plus que ce qui est nécessaire pour emporter la présidentielle.

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Ces grands électeurs ne voteront et ne désigneront officiellement le 46e président américain que le 14 décembre prochain, mais en ce 7 novembre 2020 après-midi, mathématiquement les jeux sont faits : Joe Biden remporte le scrutin.

Situer le moment

"Quand on fait de la photo d'actualité, remarque le photographe Alain Buu, qui a longtemps couvert l'information politique ou internationale – dont plusieurs guerres –  pour l'agence Gamma, on se pose non seulement la question de savoir si on a saisi l'actualité de l'événement, mais aussi si le cliché sera toujours lisible dans dix ou vingt ans... Sur cette image, on a la plupart des informations qui situent le moment."

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Bien sûr, il existe des centaines, probablement des milliers de clichés de militants démocrates et autres soutiens de Joe Biden transportés de joie à l'annonce de la victoire de leur champion, mais le cliché de Jim Watson a quelque chose de plus :  d'abord, il capture l'expression de joie pure de Mandy Mc Hane. Or la capture des émotions n'est jamais évidente, explique Alain Buu : "J'ai dû faire plus de 300 manifestations en France contre le gouvernement, contre ceci ou cela. Et à chaque fois, je me promettais d'essayer de capter une image de la colère..."

En trente ans, je n'ai jamais réussi à faire une image où l'on voyait des gens en colère !

Et puis il y a le cadrage de l'image de Jim Watson. Là aussi, c'est de l'ordre du "modèle de genre". Mandy Mc Hane "est droite, alors que l'image est penchée ; l'horizon est penché... cela donne une très forte dynamique" dans le cliché, précise encore Alain Buu. De même, le regard du personnage est orienté fortement sur la gauche, là où le photographe a laissé le plus d'"air", de vide dans son image, ce qui rajoute à la dynamique. Enfin, le visage de la jeune femme est cadré juste à l'intersection de deux des quatre lignes de force classiques dans la composition d'une image, juste sur un "point de convergence". "Elle est exactement là où, quand on apprend la photo, on nous dit toujours de placer notre sujet."

Mandy Mc Hane « est droite, alors que l'image est penchée ; l'horizon est penché... cela donne une très forte dynamique ».
Mandy Mc Hane « est droite, alors que l'image est penchée ; l'horizon est penché... cela donne une très forte dynamique ».
© AFP - Jim Watson

Un cliché "instinctif"

Pour autant, il ne s'agit pas d'un coup de chance du photographe. "C'est une photo clairement faite à la volée, qui n'est pas posée ; l'une de celles dont on ne se rend pas forcément compte qu'elle est bonne quand on la prend." Mais si le cadrage est quasi parfait, c'est aussi parce qu'"on ne réfléchit pas quand on fait cette photo-là, ce sont des choses qui viennent presque naturellement. Quand on fait des photos en permanence, on a une notion du cadrage instinctive, on sait où faire le point ; ça va très vite et c'est instinctif. Un photographe professionnel sait comment cadrer et cadre tout de suite de la bonne manière. C'est le côté "professionnel" : on sait comment faire , même quand ça va  très, très vite."

Les lunettes en forme de coeur, iconique du film Lolita de Stanley Kubrick qui fit scandale aux Etats-Unis lors de sa sortie en 1962
Les lunettes en forme de coeur, iconique du film Lolita de Stanley Kubrick qui fit scandale aux Etats-Unis lors de sa sortie en 1962
© AFP - VINCENZO PINTO

Il y a enfin le contenu de l'image : "Une bonne photo, c'est une image où il y a de l'information, où il y a des couleurs, de la lumière...  Même le meilleur photographe du monde, dans un endroit où il ne se passe rien, ne fera pas grand-chose. Là, on a une belle jeune fille, jolie avec ses lunettes en forme de cœur."

Des lunettes qui portent aussi une certaine symbolique : ce sont celles de Lolita sur la célébrissime affiche du film de Stanley Kubrick qui fit scandale dans l'Amérique des années 1960. C'est aussi la victoire de cette Amérique là qui exulte en ce 7 novembre 2020 : celle des minorités raciales, sexuelles et des jeunes.Une étude du Center for Information & Research on Civic Learning and Engagement de l'université Tuft (Massachusets), 61 % des moins de 30 ans ont voté Biden, contre 36 % pour Trump. 

"Le seul reproche que je pourrais faire à cette image, si reproche on doit faire, c'est que le personnage est un peu seul... S'il avait été au milieu d'une foule, on aurait encore mieux compris de quoi il s'agissait", remarque enfin Alain Buu.

Autre élément un peu étrange  qui "tranche" avec la dynamique et le mouvement festif capté par le cliché de Jim Watson : cette lourde et rébarbative grille de fer, qui limite la profondeur de l'image mais qui aussi illustre l’exiguïté de la victoire d'un Joe Biden auquel il aura fallu près de quatre jours de dépouillement pour qu'on puisse estimer qu'il serait le 46e président américain. Mais l'un dans l'autre, conclut Alain Buu, entre sa composition, sa facile lecture et ce qu'elle dit de l'actualité "tout ça fait que cette photo va pouvoir rester"