L'Hadopi, c'est (bientôt) fini

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L'Hadopi, c'est (bientôt) fini

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L'Hadopi devrait disparaître en 2022
L'Hadopi devrait disparaître en 2022
- Montage par Fiona Moghaddam

Les députés viennent d'approuver le projet de loi sur la régulation et l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Le texte prévoit notamment la création de l’Arcom, nouveau super régulateur de la communication audiovisuelle et numérique, fruit de la fusion entre le CSA et de l'Hadopi.

Les députés viennent de voter en première lecture le projet de loi sur la régulation et l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Une procédure accélérée a été mise en place par le gouvernement, le texte, déjà adopté et amendé par les sénateurs, doit à présent être présenté en commission mixte paritaire, avant une adoption sans doute à la fin de l'été. Un texte issu de la grande réforme de l'audiovisuel dont une bonne partie avait été abandonnée il y a un an, officiellement en raison du Covid.

Sa mesure-phare est la création de l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui regroupera le CSA et l'Hadopi. La nouvelle entité, aux compétences élargies, sera notamment chargée de la lutte contre le piratage, l'Hadopi n’étant plus suffisamment efficace aujourd’hui. Longtemps critiquée, la "Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet" va donc disparaître, pour mieux renaître.

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Le pair à pair minoritaire

Cela fait plusieurs années déjà que la disparition de l'Hadopi est évoquée. Créée en 2009, l’instance de lutte contre le piratage est aujourd’hui très limitée dans ses missions. À sa création, le pair à pair (peer to peer en anglais) ou téléchargement entre ordinateurs était très populaire, "le fait de huit à neuf millions d’internautes tous les mois", d’après Pauline Blassel, secrétaire générale de l’Hadopi. Mais à cette époque déjà, la migration des pratiques de piratage avait été soulignée lors des débats parlementaires, rappelle Marc Rees, rédacteur en chef du site Next INpact, qui suit l'Hadopi depuis sa création. 

Désormais, le pair à pair est devenu minoritaire et ne représente plus qu’un quart des piratages, soit deux à trois millions de personnes chaque mois. "Par l’intermédiaire de notre procédure de réponse graduée, le pair à pair a drastiquement diminué, de plus de 60%" précise Pauline Blassel. Mais le bilan de l'autorité est nuancé par les chiffres. Comme l’avait révélé Next INpact l’an dernier, l'Hadopi a un coût important : l’autorité a perçu 82 millions d’euros de subventions publiques depuis 2009 mais n’a infligé que 87 000 euros d’amendes. "Un ratio qui permet difficilement de conclure à la parfaite réussite du dispositif" d’après Marc Rees. 

L'Arcom pour s'adapter aux nouvelles techniques de piratage

Quant au streaming et au téléchargement direct via des serveurs souvent basés à l’étranger, ils sont beaucoup plus fréquents et concernent environ neuf millions de personnes par mois. Des types de piratage contre lesquels la Hadopi ne peut pas lutter, trop limité dans ses compétences. Cependant, "hors du spectre de l'Hadopi ne veut pas dire que ces sites sont dans une zone de non droit absolu, il existe des dispositions dans le Code de la propriété intellectuelle qui permettent d’attaquer ces sites et d’ordonner leur blocage. Ce qui est certain, c’est que le projet de loi va faciliter ces mesures via différents outils", rappelle Marc Rees.

L’Arcom pourra donc s’attaquer aux sources du piratage, "c’est-à-dire les services qui organisent le piratage, qui en vivent et en profitent" ajoute la secrétaire générale de l'Hadopi.

Ces services-là [le streaming et téléchargement direct, ndlr] s’organisent pour être insaisissables : ils disparaissent, se dupliquent. Aujourd’hui, même quand il y a une décision du juge de le fermer, dans les jours qui viennent, le service réapparaît à une autre adresse, sous une autre forme. Le texte confie à l’Arcom la possibilité d’avoir une sorte de partenariat entre les ayants droit, le juge et l’autorité publique pour qu’ensemble, on arrive à prendre ces services en étau pour les fragiliser avant la décision de justice et prendre le relais du travail du juge après, et ainsi assurer que les services qu’on aura décidé de bloquer le restent durablement.                              
Pauline Blassel, secrétaire générale de l'Hadopi

L'accent mis sur le streaming d'événements sportifs

Parmi les sites de streaming illicites qui se sont fortement développés ces dernières années, il faut souligner la forte progression de ceux relatifs aux retransmissions sportives. Ils rassemblent chaque mois près de trois millions d’internautes et leur succès est grandissant ces dernières années.

"Il est particulièrement compliqué d’intervenir car quand le match est terminé, il a perdu toute sa valeur. Donc si l’on veut éviter le préjudice colossal que cela génère, il faut absolument pouvoir intervenir en direct", souligne Pauline Blassel. Et faire interrompre immédiatement la retransmission. 

Pour cela, l'Hadopi s’est inspirée du Portugal et du Royaume-Uni. Au Royaume-Uni, une brigade spéciale est chargée de la lutte contre le piratage en ligne. L'Arcom sera dorénavant dotée d'agents assermentés et habilités pour mener les investigations. Le Portugal a décidé de mettre en place une collaboration entre les fournisseurs d'accès, les moteurs de recherche et les réseaux sociaux afin de permettre de fermer les sites en bloquant leurs adresses et les flux de rediffusion volés. Autre prérogative de la future Arcom : celle d’établir une liste noire des sites qui portent atteinte de manière grave et répétée au droit d’auteur et aux droits voisins.  

Le principe de la riposte graduée reste de mise

Si l’Arcom sera dotée de compétences élargies par rapport à l'Hadopi, il ne s’agit pas non plus d’abandonner sa compétence principale aujourd’hui, celle de la réponse graduée. En cas de piratage constaté, l’internaute qui consomme un bien illicite reçoit d’abord deux avertissements avant que la justice ne soit saisie. L’amende encourue est de 1 500 euros. D’après l'Hadopi, cette mesure a un effet dissuasif et porte ses fruits : dans 70% des cas, les faits ne sont pas réitérés après un premier avertissement. Des outils complémentaires pour Pauline Blassel qui veut éviter de reproduire les mêmes erreurs qu’au lancement d’Hadopi. "On ne peut pas répondre au piratage avec un seul type d’outil. Il faut s’attaquer à la source mais ce n’est pas pour autant qu’il faut rompre le dialogue avec les utilisateurs. La procédure de réponse graduée a vocation à se poursuivre et deviendra alors un outil parmi d’autres pour lutter contre le piratage", ajoute-t-elle.  

Pauline Blassel : "La procédure de réponse graduée deviendra un outil parmi d'autres pour lutter contre le piratage."

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On se retrouve avec une trousse à outils intégrale et qui permet de par la transmission des compétences de la Hadopi vers le CSA de maintenir la réponse graduée contre les internautes mais en plus d’y ajouter la lutte contre les sites illicites et notamment les sites de contournement ou les sites de piratage des contenus sportifs.                              
Marc Rees, rédacteur en chef de Next INpact 

Autre donnée non sans conséquence dans la lutte contre le piratage, l’arrivée d’une importante offre légale, aussi bien pour la musique que pour les films ou séries. Elle a permis de limiter la progression du piratage d’après l'Hadopi. "62% des internautes ont un abonnement à une offre payante légale sur internet mais une partie importante des abonnés a également des pratiques de piratages", rapporte Pauline Blassel. Ainsi, la moitié des abonnés à Netflix pirate aussi des contenus

Dans cette fusion ou plutôt fusion absorption car le CSA "engloutit" la Hadopi, les 50 agents de l'Hadopi vont être transférés dans les locaux du CSA; avec comme enjeu pour les équipes de réussir à se construire ensemble. Si le projet de loi est définitivement adopté, l'Arcom pourrait être lancée en 2022.